Le système AEGIS : le véritable bouclier anti-missile américain - Geopolintel
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Le système AEGIS : le véritable bouclier anti-missile américain

samedi 13 mars 2010

De la composante navale de la Missile Defense

Le système de Défense Anti-missile (BMDS) développé par les États-Unis, héritier de l’Initiative de Défense Stratégique du président Reagan, met depuis quelques années à contribution, comme la dissuasion, les trois armées. Alors que jusqu’en 2002 ce sont la composante terrestre et l’Air Borne Laser qui monopolisaient l’attention des commentateurs, cette période a vu la composante navale compléter la triade puis, à la surprise de certains, devenir presque exemplaire par la réussite de ses projets et de ses essais.

Les raisons de toute nature qui ont provoqué ce résultat sont pour l’essentiel les suivantes :

➢ il y a à évoquer tout d’abord – puisque nous ne reviendrons pas sur ce sujet – l’influence du très dynamique lobby « Marine », en général très proche des conservateurs voire des néo conservateurs, qui sait utiliser toutes les voies utiles pour promouvoir ses intérêts ;

➢ il y a aussi le poids d’une expérience technique dont la mise en œuvre fut muselée par le traité ABM jusqu’en 2002 ;

➢ il y a, bien sûr, des arguments opérationnels forts pour utiliser aux fins de la défense antimissile le vaste espace de manœuvre que constituent les océans ;

➢ il y a, enfin, une longue tradition de coopération et d’interopérabilité entre les marines de sensibilité occidentale, ce qui facilite considérablement la mise en place de politiques d’acquisition et de mise en œuvre coordonnées. Cet ensemble semble devoir garantir à l’US Navy une présence prolongée dans ce domaine capacitaire.

Le système de combat AEGIS

Un peu d’histoire

La « Sea Based Ballistic Missile Defense » (SBMD) s’appuie sur le système AEGIS, en service depuis maintenant un quart de siècle à bord des croiseurs et des destroyers de l’US Navy. Conçu à l’origine comme un système de combat intégrant toutes les fonctions – lutte anti-surface, anti-aérienne et anti-sous-marine, il s’est avéré au fil des ans avoir pour tâche première la défense contre la menace aérienne puis contre les missiles. Depuis son embarquement en 1983 sur le croiseur Ticonderoga, il a été modifié au fil de l’évolution des technologies disponibles et des besoins opérationnels, déclinant à ce jour six versions successives, la septième étant en cours de finalisation.

Les premières tentatives de l’US Navy en matière de défense contre les missiles balistiques sont antérieures à la naissance d’AEGIS : en 1965, des missiles de défense anti-aérienne Terrier et Tartar ont été testés contre des SRBM représentatifs de ceux qu’auraient pu utiliser les navires de combat soviétiques. Ces premiers essais ont été infructueux mais permirent de mieux cerner le problème et, en particulier, favorisèrent la conception et l’évolution du missile Standard, père de toute la série des missiles anti-aériens actuels de l’US Navy, vers une capacité anti-balistique.

Ainsi le SM 2 – deuxième version du Standard Missile – devait-il être l’arme du concept qui a précédé la SBMD, le « Navy Area Tactical Ballistic Missile Defense » ou « Navy Theater Wide ». Le SM2 dans sa première version avait donc une capacité de défense de zone en sus de celle d’auto défense de ses prédécesseurs y compris à l’égard des missiles balistiques de courte portée. Pour faire mieux, c’est-à-dire prendre en compte des missiles de catégorie supérieure, il fallait améliorer à la fois le missile (portée, accélération, vitesse finale), le radar (portée, poursuite, capacité de discrimination) ainsi que le système de combat en général en l’interfaçant avec d’autres senseurs équipant d’autres navires voire des sites terrestres ou des satellites.

Dans ce cadre, une troisième version du missile Standard, le SM 3, fut mise en chantier au début des années 1990 avec des performances cinétiques améliorées ; au-delà de celles-ci, il était prévu pour mettre en œuvre le « Light Exo Atmospheric Vehicle » (LEAP), équivalent « Navy » de l’Exoatmospheric Kill Vehicle (EKV) des intercepteurs basés à terre, et destinés à détruire la cible visée par impact direct et non par une charge explosive à fragmentation, solution mise en œuvre sur son prédécesseur. Le LEAP fut testé – sans succès – avec des missiles Terrier entre 1992 et 1995 ; une seconde chance lui fut donnée au tournant du siècle (1999/2000) avec le programme « AEGIS LEAP Intercept » (ALI) ; le LEAP était alors emporté par le prototype du SM 3 et la première interception fut enfin réussie en 2002.

Une architecture du système encore plus développée était difficilement compatible avec le traité ABM qui, entre autres, bannissait les moyens d’interception à portée stratégique – sauf sur un site fixe unique – et, surtout, les équipements d’alerte avancée (« early warning ») déportés à distance du territoire national dont, évidemment, ceux portés par des navires. La défense anti-missile à la mer et à partir de la mer butait donc sur cet obstacle pour aller plus loin encore. Sans doute faut-il voir là une des raisons pour lesquelles l’administration américaine acquit la conviction que le traité ABM n’avait plus de mérites et se décida à le dénoncer en 2002.
C’est en juin de cette année là que le traité ABM fut aboli et que l’« AEGIS Weapon System/Ballistic Missile Defense » (AWS/BMD) pût enfin prétendre à la configuration souhaitée par la Missile Defense Agency (créée elle aussi en 2002) et par l’US Navy.

Ainsi, un système de combat conçu pour la défense de zone à la mer se retrouva être partie à un concept de défense stratégique à couverture globale s’adressant aux missiles de toutes portées et dans lequel on se fixait pour objectif d’avoir une capacité d’interception dans toutes les phases de vol du missile assaillant. Les travaux antérieurs à cet avènement l’auront, comme cela a pu être constaté (voir ci-dessous), bien préparé. L’extension de mission qui en découlait et la mise en place du système qui pouvait y répondre sont l’objet des développements et des réalisations aujourd’hui en cours.

Aspects techniques

Moyens de l’US Navy

La MDA vient de valider l’AWS/WMD dans sa version 3.6. Ce système est fondé sur le radar SPY-1 D, les missiles SM 2 et SM 3 stockés à bord dans des lanceurs verticaux (Vertical Launch System – VLS), des calculateurs de gestion des pistes et des engagements ainsi que des moyens de transmission permettant la coopération tant entre navires qu’avec les autres composantes du BMDS1. Le SPY-1 est un radar déjà ancien et qui a été décliné en une demi douzaine de versions différentes dont certaines seulement sont adaptées à la mission « Missile Defense » et dont la plus récente, SPY- 1 D, est la seule semblant réellement en être effectivement capable.

Il semble évident que les versions ultérieures (un SPY-1 E est en développement) préserveront cette capacité. Le SPY-1 dans ses versions récentes assure la détection et la poursuite de tous les objets en portée radar, y compris les Missiles intercontinentaux (ICBM). Le missile SM 2 Extended Range (ER) a montré quelques capacités contre les missiles de courte portée, y compris en phase terminale de leur vol (lower tier) ; le missile SM 3 est dédié à l’interception de SRBM et de MRBM au cours de leur vol balistique (mid-course) et, peut être, du début de leur entrée dans l’atmosphère (upper tier). L’amélioration du SM 3, menée en coopération avec le Japon, devra lui donner une capacité contre des missiles de portée intermédiaire (IRBM) à mi-course. Sa mise en œuvre à partir de VLS permet des renouvellements de tir plus rapides, compatibles avec l’aptitude du système de combat à traiter un nombre important de pistes simultanément.

Cooperative Engagement Capability (CEC)

Dans cette phase de montée en puissance, deux types d’adaptation à la mission BMD sont réalisés à bord des navires de l’US Navy :

  • certains ne sauront qu’assurer la fonction de recueil et de partage d’information : Long Range Search & Tracking (LRS&T),
  • les autres ayant en outre l’aptitude à mettre en œuvre des intercepteurs.
    L’objectif que se sont fixées la MDA et l’US Navy est de disposer en 2009 de trois croiseurs et de quinze destroyers aptes à l’ensemble de la mission BMD.

Cet objectif sera très vraisemblablement tenu puisque :

  • les croiseurs Shiloh (CG 67), Lake Erie (CG70) et Port Royal (CG 73), qui ont déjà tous les trois participé aux essais du SM 3 sont, après quelques enrichissements de leur système AEGIS2, opérationnels ;
  • sept destroyers étaient déjà aptes à la mission BMD complète début 2007, sept autres n’étant encore capable que du LRS&T.

Entre janvier 2002 et avril 2007, dix tirs d’essai d’interception de cibles balistiques par missile SM 3 ont été réalisés à partir des croiseurs AEGIS/BMD. Huit ont été déclarés comme des succès, ce qui est très supérieur aux résultats que revendique, par exemple, le « Ground Based Interceptor » de la « Ground Based Missile Defense ». Le dernier tir du SM 3 (4 avril 2007) a été réalisé conjointement à un tir SM 2 sur un missile de croisière : la double interception a été réalisée.

Place actuelle de l’US Navy dans la BMDS

Le système AEGIS devient donc maintenant plus que le système de défense aérienne élargie dont l’US Navy souhaitait disposer. En premier lieu, les capacités qui ont été développées dans cette optique sont maintenant utilisables dans des configurations qui vont au-delà des stricts besoins d’une force navale à la mer : il est capable d’opérer en zone littorale pour protéger des forces projetées contre des tirs SRBM et MRBM qui les viseraient mais aussi d’assurer la défense d’infrastructures sensibles (ports, aéroports, agglomérations, installations militaires ou industrielles,…) localisés en zone côtière sur le territoire des États-Unis ou de leurs « friends and allies ».

Cette dernière mission se situe dans le droit fil des besoins exprimés par la « National Strategy for Maritime Security »(NSMS) éditée en septembre 2005 et qui est elle-même une déclinaison de la « National Strategy for Homeland Security » (NSHS).

Ces croiseurs ont été équipés à leur mise en service du SPY-1B qui a dû subir quelques modifications matérielles et logicielles.
Par ailleurs, la contribution apportée par la « Sea Based MD » à la détection initiale et à la gestion de la bataille anti-balistique globale qu’organise la MDA avec son « Battle Management Command, Controland Communications » (BMC3) est vraisemblablement essentielle. En revanche, il est vrai que les capacités d’interception de missiles à longue portée (IRBM et ICBM) ne sont pas encore de nature à participer à la défense contre les missiles assaillants de cette catégorie, quelle que soit la phase de vol. C’est donc, pour l’heure, le LRS&T qui représente la contribution la plus importante et le BMDS doit à sa composante navale de pouvoir effectivement prétendre assurer une couverture globale.

De nombreux arguments opérationnels justifient l’emploi de moyens navals pour améliorer l’efficacité opérationnelle du Système BMD ; tous résultent du fait que les navires, mobiles, peuvent se déployer sans contrainte dans tout le domaine maritime afin de rallier les positions les plus favorables à l’exécution de la mission et qu’ils peuvent faire cela, si nécessaire, avec un degré de discrétion élevé.

Ainsi, en matière de participation au BMC3, il est attendu que les croiseurs et destroyers del’US Navy :

➢ puissent occuper des positions inaccessibles aux moyens terrestres à des fins de détection initiale et d’amorce de poursuite ;

➢ fournissent des informations complétant ou recoupant sous des angles différents celles provenant d’autres senseurs et d’ainsi améliorer la poursuite et la discrimination ;

➢ s’adaptent en se déplaçant à des besoins émergents sans mise en œuvre d’une logistique lourde. Il n’y a pas, bien sûr, que des avantages à la mise en œuvre de la composante océanique de la Missile Defense ;

➢ la gestion d’un nombre réduit de porteurs ayant la capacité BMD pourra obliger à un choix entre cette mission et les autres qui leur reviennent ;

➢ les navires AEGIS sont coûteux (acquisition et fonctionnement) si on les compare aux systèmes terrestres dédiés BMD ;

➢ le mauvais temps peut altérer la qualité d’exécution de la mission et ainsi porter tort au système global ;

➢ un navire, enfin, a une vulnérabilité propre et son indisponibilité (avarie ou destruction) provoquerait un « trou dans la raquette » du BMC3.

Il importe d’indiquer à cet égard qu’un autre moyen naval participe à la fonction BMC3 : la MDA vient, après quelques difficultés de mise au point, de mettre en service le SBX (Sea Based X-band radar), outil de détection, de poursuite et de discrimination installé sur une ancienne plate-forme pétrolière norvégienne. La nature de son porteur rend ce système de détection moins sensible aux effets du mauvais temps que ceux des navires de combat de l’US Navy. Le SBX sera basé à Adak, dans les Iles Aléoutiennes, et pourra se déployer dans le Pacifique nord ; ce positionnement indique bien sa vocation d’emploi contre une menace asiatique.

L’ensemble des inconvénients cités ci-dessus peut également être porté au passif de la mise en œuvre d’intercepteurs à bord de porteurs maritimes. Se pose, en outre, la question des performances maximales accessibles à ces missiles, dés lors qu’il n’est pas envisageable de les dimensionner physiquement comme on peut se le permettre pour des systèmes terrestres.

Il y a toutefois aussi des avantages à déployer des intercepteurs sur des navires de combat :

➢ ils peuvent être mis en œuvre avec avantage le long de trajectoires survolant le domaine maritime ;

➢ leur déploiement près des côtes peut permettre des défenses trèsefficaces : « One to four Navy ships operating in the Sea of Japan,for example, could attempt to defend most or all of Japan against theater-range ballistic missiles fired from North Korea » ;

➢ leurs performances, à condition d’être significativement accrues par rapport aux réalisations actuelles, peuvent leur permettre d’intercepter des missiles en phase de propulsion assez loin dans la profondeur d’un territoire au large duquel croiserait le navireporteur ;

➢ et bien sûr, mobilité et réactivité sont là aussi des atouts.

Des missions de type interposition entre la Corée du Nord et le Japon seront accessibles aux navires AEGIS dès la mise en service du SM 3 Block IIA (voir ci-après). Les missions du type interception d’un ICBM au-dessus du domaine maritime ou interception en phase propulsée ne pourront être réalisées sans le déploiement d’un nouveau missile beaucoup plus lourd et volumineux.

On peut, au total, penser que la vision globale qu’ont les États-Unis de la Missile Defense ne pourrait s’accomplir sans le déploiement maritime de nombreux systèmes de détection et de poursuite performants ainsi que, sans doute, de moyens d’interception élaborés. La question est bien de savoir si le dimensionnement de la Sea Based BMD – 18 navires - est suffisant pour cette tâche alors que des déploiements envisageables couvrent des zones multiples et éloignées les unes des autres : côtes occidentale et orientale des États Unis, Méditerranée, mer Rouge, golfe Persique, océan Indien, mer du Japon, Taiwan…

Une première solution pourrait être d’augmenter le nombre des navires ; elle est souhaitée par certains lobbyistes mais aurait pour conséquence d’accroître des dépenses déjà très importantes – en moyenne un milliard de dollars par an sur trois ans. [Voir CRS Report for Congress - Sea-Based Ballistic Missile Defense — Background and Issues for Congress – 27 avril 2007.] Dont deux au moins doivent continuer d’assurer les essais du système ainsi que d’aller contre la lente mais réelle réduction du nombre des navires mis en œuvre par l’US Navy. C’est sans doute là une des raisons pour lesquelles la MDA met en avant avec insistance l’intérêt des coopérations internationales.

Coopérations internationales

La volonté de la MDA de mettre à contribution d’éventuels moyens de Missile Defense d’amis et d’alliés est présentée comme répondant au besoin de défendre des intérêts communs :« The security and economic interests of our allies are inextricably tied toour own. As a result, we will seek opportunities – in conjunction with the Department of Defense and other organizations of the U.S. government -to increase our allies’ acquisition of BMDS technologies where appropriate. »

Le Système AEGIS a déjà été assez largement exporté, des contrats supplémentaires ont été engagés et d’autres sont prévisibles :

  • le Japon dispose de quatre destroyers AEGIS du type Kongo. Leur radar est le SPY-1 D, adapté à la Missile Defense. Cette flotte sera complétée d’ici deux ans de deux destroyers Atago dotés du même radar ;
  • l’Espagne met en œuvre quatre frégates F 100 AEGIS, en attend une quatrième pour la fin de la décennie et envisage d’en acquérir une sixième ; elle planifie en outre deux frégates F 105. Les navires en service sont équipés du SPY-1 E, version allégée aux capacités de détection inférieure et qui, sans doute, ne peut contribuer de façon satisfaisante à un BMC3 étendu ;
  • la Norvège alignera en 2009 cinq frégates « Fridtjof Nansen » dont deux sont déjà sur la liste navale. Comme les F 100 espagnoles, dont elles sont inspirées, ces frégates auront le SPY-1 E pour radar ;
  • l’Australie décidera à l’été 2007 du type de navire que sera son « AirWarfare destroyer » (AWD) en sélectionnant soit un navire américain équipé du SPY-1 D, soit une frégate dérivée des F 100 espagnoles équipée du SPY-1 E. Trois navires devraient être commandés ;
  • la Corée du Sud mettra en service entre 2008 et 2012 trois destroyers KDX 3 emportant le SPY-1 D.Taiwan a vigoureusement manifesté au début de la décennie son souhait d’acquérir des Destroyers AEGIS auprès des Etats-Unis ; cette demande n’a toujours pas été agréée, pour des raisons diplomatiques que l’on comprend bien. L’Inde, en revanche, s’est vue proposer l’acquisition de systèmes AEGIS, aucune réponse à cette initiative n’ayant encore été formulée.

A ce jour, l’US Navy ne peut donc compter sur l’appoint que des quatre Kongo japonais pour remplir la mission SBMD. Au début de la prochainedécennie, alors que les deux Atago et les trois KDX 3 seront entrés enservice, ce seront neuf navires non américains pleinement aptes à cette mission qui pourront se déployer dans l’ouest du Pacifique et l’on peut penser que ce théâtre sera ainsi convenablement dotés en termes de BMC3 sans effort important de la part de la marine américaine. A cette époque également devrait entrer en service le SM3 Block II (voir ci-dessous) ce qui devrait donner, aux navires américains et japonais au moins, une capacité d’interception couvrant un nombre accru de menaces.

Sans attendre la mise en service de ces nouveaux navires, la coopération opérationnelle entre l’US Navy et les navires japonais a d’ores et déjà été démontrée par le déploiement au Pays du Soleil Levant du Destroyer AEGIS « CurtissWilbur » en 2004 puis par celui du CG « Shiloh » à l’été 2006 et les exercices d’engagement coopératif auxquels ils ont donné lieu. Un autre aspect de la coopération entre les États-Unis et le Japon est le développement du missile SM3 Block II. Le but est ici d’accroître les performances de cet intercepteur de SRBM et de MRBM pour lui faire aussi couvrir la menace IRBM, voire certains aspects de la menace ICBM. A cette fin, il s’agit d’accroître les performances cinétiques par allègementdu missile et amélioration de son deuxième étage ainsi que d’optimiser lesperformances du « Kill Vehicle » dérivé du LEAP.

Un « Memorandum of Understanding », datant de 1999, associe le Japon aux États-Unis dans cette tâche ; il prévoit les développements suivants :

➢ mise au point d’une nouvelle coiffe pour le missile, à charge du Japon ;

➢ accroissement du diamètre du deuxième étage, réalisé conjointement ;

➢ remplacement du dispositif de pilotage du « Kill Vehicle » afin de le rendre plus agile (ADACS multipulse) et de l’alléger, à charge des États-Unis ;

➢ développement d’un détecteur infrarouge travaillant sur plusieurs plans focaux à deux ou trois fréquences différentes. La marine australienne envisage de se joindre au développement du SM3 Block IIA ; le déploiement de ce missile est prévu pour le début de la prochaine décennie (2011/13). Et peut être douze. [Voir B. Gruselle : « L’accélération du programme japonais de défense antimissile », Note de la FRS, 25 janvier 2007, sur www.frstrategie.org]

Il existe, enfin, un autre aspect de coopération dans lequel le système AEGIS BMD est impliqué, celui de la défense anti-missile israélienne. Israël a développé depuis de nombreuses années le système Arrow afin de se protéger des missiles à courte portée ou à portée intermédiaire dont se dotent ses voisins les plus hostiles.

Ce système est essentiellement de conception indigène mais il existe des axes forts de coopération avec les États-Unis :

➢ le missile Arrow lui-même a fait l’objet d’un développement qui a été assisté par Boeing à qui, d’ailleurs, la production a maintenant été confiée, en totalité semble-t-il ;

➢ mais surtout, des efforts communs importants sont faits avec la MDA et l’US Navy pour parfaire l’interopérabilité entre le système israélien (Arrow et PAC III) et le système AEGIS ; cela comprend essentiellement l’interfaçage des équipements d’interception, de poursuite et de désignation d’objectif par des passerelles mettant en œuvre la liaison 16 de défense aérienne (par ailleurs utilisée parl’OTAN) puis, sous peu, des liaisons satellitaires.

Ce dernier type de coopération est évidemment extensible aux alliés européens des États-Unis et la MDA l’a déjà cité comme un des exemples de ce qu’elle souhaiterait faire avec ceux-ci. Le développement conjoint de capacités nouvelles pour la Missile Defense peut effectivement se faire en coopération comme le montre l’exemple japonais.

Il reste qu’il faut :

➢ avoir une analyse identique de la menace existante ;
➢ y consacrer du financement ;

➢ accepter une certaine dépendance à l’égard de la stratégie et des industries américaines ;

➢ éventuellement renoncer à des développements nationaux préservant un minimum d’avenir aux industries indigènes. Pour l’une ou l’autre de ces raisons d’autres pays que le Japon, dont les principaux pays européens, ne se sont pas résolu à franchir le pas malgré des avances américaines.

Développements futurs de la SBMD

L’US Navy prépare maintenant la relève de ses navires AEGIS. Le remplacement des Destroyers DDG 51 sera conduit en deux étapes : sept DD 1000 entre 2012 et 2018 puis une soixantaine de DD (X) à partir de 2028. Ces navires auront, outre une vocation anti-sous-marine, un rôle essentiellement tourné vers la projection de force à terre. Le rôle défense anti-missiles balistiques reviendrait alors à une force de dix-huit croiseurs CG (X) – remplaçant nombre pour nombre les destroyers et croiseurs [ « Year Ballistic Missile Defense 2004 » conférence – Berlin, 19-20 juillet 2004 (Archives privées) aujourd’hui retenus pour cette mission – dérivés du concept DD (X) et programmés pour rejoindre la flotte entre 2019 et 2029.

La marine américaine s’oriente donc vers un ensemble de navires moins polyvalents ce qui devrait faciliter l’arbitrage aujourd’hui difficile entre les multiples tâches revenant à des navires bons à tout faire. Les CG (X) seront des navires d’un tonnage légèrement supérieur à 14 000 tonnes, soit 50 % plus lourds que les croiseurs Ticonderoga. Ilsbénéficieront d’un nouveau radar et d’un « Advanced Vertical LaunchSystem » (AVLS) permettant l’emport de missiles un tiers plus lourds que les VLS actuellement en service. Même s’il est probable qu’ils mettront en œuvre les variantes alors en service des SM 3, la question des intercepteursem barqués reste ouverte.

En effet un nouvel intercepteur, le « Kinetic Energy Interceptor » (KEI) est en cours de développement avec pour objectif de disposer d’un système terrestre mobile apte à un emploi dans toutes les phases de vol – phase de propulsion, exo atmosphérique et phase de rentrée – de missiles assaillants ; une capacité de destruction de toutes les catégories jusqu’au bas ICBM en est attendue. Or, la MDA souhaite que le KEI puisse être également déployé à la mer, ce que le tandem Northrop Grumann/Raytheon avance pouvoir réaliser sur les croiseurs AEGIS.

Ce missile présente pour la Navy deux inconvénients : il sera propulsé par des propergols liquides (problème de sécurité à bord) et son encombrement important, incompatible, en tout cas, avec les dimensions de l’AVLS13 ; il faudrait donc, pour résoudre ce deuxième point, renoncer à la versatilité souhaitée pour ces tubes de lancement pouvant embarquer toutes catégories de missiles. Pour mémoire, il était envisagé en 2005 d’assurer dans le programme KEI deux phases de faisabilité/développement en parallèle, l’une en national US, l’autre en coopération internationale. Seule la voie nationale est maintenant retenue faute de volontariat étranger en particulier en l’absence de réponse positive de la part des agences de défense européennes qui auraient pu participer au financement du programme.

Les industriels américains chargés du programme ont jusqu’à 2011 pourdépenser les 4 milliards de dollars que leur a attribué à cet effet la MDA et une entrée en service est prévue pour 2012/13.

Bien d’autres évolutions sont examinées dans le cadre du « spiral development » de la Sea Based MD, dont :

➢ la mise au point, initiée en 2002 d’un nouveau processeur à archi-tecture ouverte, le BSP, destiné à accroître de façon spectaculaire la capacité de discrimination du SPY-1 et qui devra équiper tous les bâtiments AEGIS BMD à partir du début de la prochaine décennie ;

➢ l’adaptation au SM 3 d’un Multiple Kill Vehicle, charge utile remplaçant le LEAP et apte à traiter plusieurs cibles simultanément.

Synthèse, conclusion

Dans l’optique d’une défense globale contre les missiles balistiques, les États-Unis ont retenu de s’adresser à tous les types de missile, quelle que soit leur provenance et en les interceptant dans toutes les phases de vol. Pour ce faire, il semble intuitif de mettre en œuvre simultanément des moyens terrestres, aériens, maritimes et spatiaux et c’est donc le choix qui a été fait. Ce faisant, les coûts s’additionnent et il est légitime de se poser laquestion de savoir quelles solutions, parmi le foisonnement de celles qui sont envisagées, ont un avenir assuré.

En termes de détection/discrimination/poursuite, la composante navale est la seule indispensable pour assurer une couverture radar de l’ensemble du globe avec des émetteurs de grande puissance et de grand volume ; elle est, à ce titre, un précieux complément de la composante spatiale, qu’elle soit elle-même radar (le futur SBR) ou optique/infrarouge (le STSS) ainsi que de la composante terrestre.

L’interfaçage de l’ensemble de ces moyens et des moyens terrestres et aériens, dans l’esprit de la« Cooperative Engagement Capability » et des « Network Centricoperations » est aujourd’hui assurément à la portée des moyens de transmission et de calcul dont disposent les forces armées américaines. Dans ce cadre global, les bâtiments AEGIS de l’US Navy disposent ou disposeront de l’ensemble des informations recueillies par une impressionnante accumulation de senseurs et ont ou auront donc tous les éléments pour procéder à une interception si leur positionnement a été judicieusement choisi.

Dans ce domaine, on ne peut pas douter que des progrès substantiels seront encore faits dans les années qui viennent. Reste la question des intercepteurs. Comme cela a été vu ci-dessus, les intercepteurs actuellement retenus pourl’US Navy ne sont pas en mesure de répondre à l’ensemble des missions opérationnelles qui pourraient être dévolues à la composante navale de la BMD. Le KEI apporte certes une réponse, au moins partielle, à cette difficulté mais il ne le fait pas sans soulever quelques nouvelles questions dont il est prématuré de pouvoir dire comment elles recevront réponse. C’est en tout cas à coup sûr ici que l’accroissement de capacité sera le plusdifficile à réaliser.

Au total, au-delà de la mission d’auto défense au niveau du théâtre d’opérations d’une Task Force, les moyens de lutte contre la menace balistique de l’US Navy seront dans peu de temps en mesure d’assurer avec quelque efficacité l’interception de missiles de courte ou moyenne portée pour la défense d’un territoire menacé (national, ami ou allié) ou dans le cadre d’opérations de projection de forces vers une puissance régionale hostile. C’est donc la réponse à une menace du type Corée du Nord ou plus généralement « rogue state » qui répond au dimensionnement de la Sea Based Missile Defense du début de la prochaine décennie.

C’est ce type de réponse qui motive des pays tels que le Japon et la Corée du Sud, qui ont d’ores et déjà adopté les systèmes AEGIS les plus récents et dont l’intérêt pour le missile SM 3 se concrétise, au moins pour le Japon, par la mise en place d’une coopération avec les Etats Unis allant de la R&Dà la production. D’autres pays ayant acquis le système AEGIS sont allés moins loin et ne pourraient dépasser le stade actuel qu’à grand prix, obligés qu’ils seraient obligés de mettre en service des navires d’un tonnage beaucoup plus important que ceux qu’ils ont programmés ; ils ne ressentent pas, non plus, la même menace à leur proximité.

Toujours est-il que l’intérêt de la « Missile Defense Agency » pour l’exportation vers des pays amis du système de combat AEGIS ne fait pas que répondre au souci de faire vivre les industriels américains ou de partager les frais. C’est aussi un moyen d’accroître la capacité d’une coalition qui se formerait autour des États-Unis à contrôler la menace balistique de façon globale par la mise en commun de réelles capacités de détection à grande distance, de discrimination et de poursuite des cibles. C’est, enfin, parce que les marines alliées entretiennent des liens opérationnels consistants depuis de nombreuses décennies, une opportunité de les entretenir sur des voies choisies par la stratégie américaine.

Les opinions exprimées ici n’engagent que la responsabilité de leur auteur.
Picard, Chercheur associé, FRS

http://www.frstrategie.org

Voir aussi l’article :
William Schneider Jr, la face cachée de l’ABM américain

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