(1) Cette délégation est composée de : M. Mathieu Darnaud, président ; MM. Julien Bargeton, Arnaud De Belenet, Mmes Catherine Conconne, Cécile Cukierman, M. Ronan Dantec, Mme Véronique Guillotin, M. Jean-Raymond Hugonet, Mmes Christine Lavarde, Catherine Morin-Desailly, Vanina Paoli-Gagin, MM. René-Paul Savary, Rachid Temal, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. Jean-Jacques Michau, Cédric Perrin, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mme Catherine Belrhiti, MM. Éric Bocquet, François Bonneau, Yves Bouloux, Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Philippe Dominati, Bernard Fialaire, Mme Laurence Harribey, MM. Olivier Henno, Olivier Jacquin, Roger Karoutchi, Jean-Jacques Lozach, Cyril Pellevat, Alain Richard, Stéphane Sautarel, Jean Sol, Jean-Pierre Sueur, Mme Sylvie Vermeillet.
PREMIÈRE PARTIE :
LE NUMÉRIQUE, UN PUISSANT ANTIVIRUS
I. LES MULTIPLES USAGES DU NUMÉRIQUE FACE À LA CRISE
Omniprésent dans nos vies, le numérique a été omniprésent dans la crise sanitaire. La hausse spectaculaire de certains usages a permis d’assurer la continuité de la vie économique et sociale, alors que la moitié de l’humanité était confinée, et l’exploitation des données a contribué à faire avancer la recherche scientifique à une vitesse inédite. Toutefois, c’est son utilisation dans le cadre de dispositifs de gestion de crise, et plus particulièrement de contrôle des restrictions sanitaires, qui pose les questions les plus difficiles - et constitue l’objet du présent rapport.
A. ASSURER LA CONTINUITÉ DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
La crise sanitaire a, tout d’abord, donné lieu à une augmentation spectaculaire du recours au numérique pour assurer la continuité de la vie économique et sociale : télétravail, enseignement à distance, télémédecine, maintien des liens familiaux et amicaux, e-commerce, streaming vidéo etc. Il s’agit là d’un phénomène majeur, et parfois même d’un basculement, certaines pratiques nouvelles étant appelées à demeurer une fois la crise terminée.
Ces évolutions générales, qui posent de très nombreuses questions d’ordre politique, économique, technique ou encore juridique, sont toutefois hors du champ du présent rapport.
B. FAIRE PROGRESSER LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
De façon plus spécifique, le numérique a également joué un rôle déterminant dans la recherche sur le Covid-19, afin de mieux connaître le virus, son génome, ses modes de propagation ou encore ses conséquences sur la santé, afin aussi de développer traitements et vaccins.
La recherche médicale en général s’appuie depuis longtemps sur un recours intensif au numérique, avec l’exploitation de grandes bases de données et la mobilisation de techniques d’intelligence artificielle. Si la crise du Covid-19 présente à cet égard une spécificité, ce n’est pas dans le recours au numérique, mais dans l’ampleur sans précédent de la mobilisation des chercheurs et des financements engagés. Ces sujets n’entrent donc pas non plus dans le champ du présent rapport.
Il y a toutefois une exception : la modélisation épidémiologique, située aux confins de la recherche médicale et de la surveillance sanitaire, et à ce titre abordée dans les développements qui suivent. En effet, la crise du Covid-19 a marqué une évolution majeure, en particulier du fait de l’ampleur et la diversité des données collectées et utilisées pour affiner les modèles épidémiologiques, qui sont parfois les mêmes que celles qui sont susceptibles de servir au contrôle du respect des mesures sanitaires, et qui en tout état de cause appuient très directement les décisions politiques.
Les exemples sont multiples. Parmi ceux qui seront détaillés dans les parties suivantes, on peut notamment citer l’analyse des données des opérateurs téléphoniques (antennes GSM) ou des géants du numérique (géolocalisation) pour étudier l’évolution de la mobilité et le respect des règles de confinement, l’analyse des eaux usées pour détecter la présence du virus, ou encore l’analyse des recherches Google portant sur les symptômes du Covid-19 pour prédire l’évolution de la maladie.
Précisons enfin que la recherche scientifique ne se limite pas à la recherche médicale : durant la crise sanitaire, les sciences humaines, économiques et sociales ont-elles aussi eu recours à l’analyse de données pour étudier l’impact du Covid-19 sur la société dans son ensemble - par exemple sur les inégalités entre les femmes et les hommes ou entre les différentes catégories socio-professionnelles.
C. GARANTIR LE RESPECT DES MESURES SANITAIRES
La grande spécificité de la crise du Covid-19, et le cœur du présent rapport, concerne le recours aux nouvelles technologies dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire, en particulier pour assurer ou contrôler le respect des restrictions sanitaires : applications de contact tracing, de tracking ou de géolocalisation, pass et passeport sanitaires, utilisation de drones ou de caméras thermiques etc. - sans compter les immenses perspectives - et les risques associés - qu’ouvrent les technologies numériques pour l’avenir.
De fait, la gravité de la crise sanitaire a conduit les gouvernements du monde entier à recourir à de telles solutions, parfois très intrusives, afin de freiner la progression de l’épidémie ou d’accompagner le déconfinement. Par rapport aux outils classiques de gestion d’une crise sanitaire - ou d’une crise comparable (catastrophe naturelle ou industrielle etc.) - les outils numériques peuvent théoriquement permettre un ciblage précis, individuel et en temps réel des mesures ou des contrôles, même si la plupart n’ont eu ni cette finalité, ni cet effet.
Plusieurs typologies permettent d’appréhender les solutions mises en œuvre, dans leur grande diversité. On peut, par exemple, les classer :
- en fonction de leurs finalités : informer la population, protéger les personnes vulnérables, permettre la levée des restrictions, repérer voire sanctionner les contrevenants etc. ;
- en fonction de leur degré d’intrusivité : certains outils reposent sur l’identification précise des personnes, leur géolocalisation et le croisement de données personnelles voire sensibles (dont les données médicales) afin de faire respecter des règles, tandis que d’autres sont anonymes, ne collectent ou ne conservent pas les données, ne débouchent sur aucune conséquence automatique ni mesure contraignante, et ne visent qu’à informer ou rendre des services ;
- en fonction de leur caractère obligatoire ou facultatif, avec une large gamme de nuances entre ces deux modèles ;
- en fonction de la nature et de l’ampleur des données collectées ;
- en fonction des acteurs responsables de leur mise en œuvre ;
- en fonction des technologies utilisées ;
- et bien sûr selon leur efficacité.
II. DÈS LE DÉBUT DE LA CRISE, LE NUMÉRIQUE A CONSTITUÉ L’UN DES PILIERS DE LA STRATÉGIE DES PAYS D’ASIE ORIENTALE
A. SIX PAYS AUX STRATÉGIES DISTINCTES
Si l’épidémie de Covid-19 a d’abord touché les pays d’Asie orientale, la situation s’est inversée dès le début de l’année 2020 : alors que l’Europe, les États-Unis puis l’Amérique du Sud étaient touchés de plein fouet, ces pays réussissaient à freiner de façon spectaculaire la progression de l’épidémie, quand ils ne parvenaient pas l’arrêter complètement, grâce à un ensemble de mesures vigoureuses, pour certaines éprouvées lors des épidémies précédentes (H5N1 en 1997 puis en 2007, SRAS en 2003, MERS en 2012). Ces mesures se sont appuyées sur la discipline de la population, et des facteurs culturels en général, mais aussi sur un recours intensif aux outils numériques, y compris les plus intrusifs.
Pourtant, tous ces pays ne sont pas des régimes autoritaires, loin s’en faut. Si le cas de la Chine peut être mis à part, celui des cinq autres pays étudiés ci-dessous montre qu’il est possible, lorsque la population y adhère, de s’appuyer sur les technologies numériques pour lutter contre l’épidémie, avec une très grande efficacité.
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