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Allocution de Valéry Giscard d’Estaing

(RTL, 19 janvier 1974)

mercredi 16 juin 2010

Bonsoir Madame, bonsoir Monsieur, bonsoir Mademoiselle. Je dois vous annoncer et vous expliquer ce soir une décision importante qui a été prise ce matin par le gouvernement. Cette décision consiste à suspendre pendant six mois l’obligation pour la Banque de France d’intervenir sur le marché des changes, c’est-à-dire de fournir dans certaines conditions des devises provenant de nos réserves contre des francs présentés sur les marchés des changes.

Pourquoi cette décision et quelles en sont les conséquences ? Nous sommes attachés, vous le savez, depuis longtemps à un système ordonné monétaire international, c’est-à-dire un système qui repose sur des parités fixes et sur la convertibilité des principales monnaies entre elles. Or, que constatons-nous à l’heure actuelle ? Deux choses. La première, c’est qu’il n’y a aucune chance en 1974 et aucune chance en 1975 que le système monétaire international soit réformé. Nous avons pu nous en convaincre et je m’en suis convaincu personnellement en participant cette semaine, jeudi et vendredi, à la conférence des ministres des Finances réunis à Rome. Et donc, le régime mondial des changes va rester pour les principales monnaies celui du flottement. À l’heure actuelle, les grandes monnaies, c’est-à-dire le dollar des États-Unis, le dollar canadien, la livre britannique, la monnaie italienne, la monnaie japonaise et même la monnaie du pays qui est traditionnellement géré de la façon la plus conservatrice au point de vue monétaire, c’est-à-dire la Suisse, sont toutes des monnaies flottantes. Il n’y a donc aucune perspective dans l’immédiat de voir mise en œuvre la réforme du système monétaire international. Le deuxième élément, c’est que les événements qui se sont succédé au cours de l’automne dernier, notamment les événements pétroliers, ont créé dans le monde et vont créer en 1974 des déficits de paiements très importants dans la plupart des pays. Au total, il va y avoir en 1974 environ soixante milliards de dollars de déficit parmi les principaux pays et à l’heure actuelle on ne sait pas comment ces déficits seront financés. Dans ces conditions, on peut prévoir un système monétaire international perturbé et instable au cours de la période à venir. Dans ces conditions, si un pays conserve l’obligation de fournir ses propres réserves contre les demandes qui lui sont présentées, notamment qui peuvent lui être présentées par la spéculation, ce pays s’expose à perdre ses réserves et à devoir un jour ou l’autre céder devant cette spéculation. C’est pourquoi il a été décidé de suspendre l’obligation pour la Banque de France d’intervenir sur le marché des changes.

Quelles sont les conséquences de cette décision ? Elles comportent deux avantages et un inconvénient. Le premier avantage, c’est de protéger notre encaisse, nos réserves monétaires, puisque nous serons libres d’intervenir dans les limites et dans les proportions où nous le jugerons utile. La France dispose à l’heure actuelle d’importantes réserves monétaires extérieures, soit en or, soit en devises, et ainsi nous gardons la liberté de conserver nous-mêmes le niveau jugé nécessaire de ces réserves. C’est donc une mesure de protection de l’encaisse monétaire de la France et des Français. Le deuxième avantage, c’est d’accroître notre liberté de conduire la politique économique que nous jugeons nécessaire dans la période que nous allons traverser. Si en effet nous étions liés par des obligations trop étroites sur le plan monétaire extérieur, cela voudrait dire que nous donnerions la priorité, toute la priorité, à la politique monétaire. Or, certes, nous avons des préoccupations de politique monétaire, mais nous avons aussi, vous le savez, des préoccupations de politique économique concernant les exportations, le niveau d’activité et le maintien de l’emploi. La décision que nous prenons accroît notre liberté d’action dans la conduite de notre politique économique. Deux avantages importants mais aussi un inconvénient sérieux. C’est celui d’ouvrir une parenthèse dans le progrès de l’Union économique et monétaire de l’Europe, puisque les obligations que nous avions d’intervenir sur les marchés des changes résultaient en fait d’un accord avec certains pays européens. Or, le président de la République, le gouvernement, nous tous sommes très attachés, vous le savez, à l’organisation économique et monétaire de l’Europe. Et cela veut donc dire que pendant cette période que nous ouvrons de six mois, il y aura une parenthèse dans ce progrès. Mais, soyons réalistes, dans cette Europe à l’heure actuelle deux des grandes monnaies sont flottantes, je l’ai dit, la monnaie britannique et la monnaie italienne. Nous n’avions aucune indication que ces monnaies puissent revenir dans l’avenir prochain à un système de parité fixe avec nous et donc, de toute façon, on ne pouvait pas espérer de progrès pour cette Union économique et monétaire au cours des prochains mois. Mais la France reste attachée à la poursuite de ce progrès et c’est pourquoi nous avons tenu à procéder aujourd’hui à des consultations approfondies, d’abord avec le ministre des Finances de l’Allemagne fédérale qui est actuellement le président du Conseil des ministres de notre union économique européenne et, d’autre part, avec monsieur Ortoli qui est le président de la Commission économique européenne. Et j’ai indiqué à l’un et à l’autre que notre objectif était de poursuivre cette construction monétaire et donc de procéder aux consultations périodiques nécessaires pour suivre ensemble les événements et déterminer les circonstances qui nous permettront de reprendre ce progrès. Deux avantages, un inconvénient, et je voudrais maintenant terminer par trois observations.

Certaines d’entre vous et certains d’entre vous, en m’entendant parler du flottement de la monnaie, doivent se dire que sans doute le flottement de la monnaie, cela veut dire un certain désordre. Or, je voudrais les rassurer, ça veut dire simplement que le franc sera dans la même situation que toutes ces grandes monnaies dont je parlais tout à l’heure. Et de même que nous avions demandé, lorsque ces autres pays pratiquaient cette technique monétaire, qu’ils prennent les dispositions nécessaires pour conserver un fonctionnement ordonné de leurs marchés des changes, bien entendu nous ferons le nécessaire pour conserver un fonctionnement ordonné de notre marché des changes. Nous suspendons l’obligation d’intervenir, mais nous conservons la liberté, la faculté et les moyens de le faire. Et je tiens à préciser à ce propos que toutes les dispositions en vigueur du Marché commun agricole continuent bien entendu à fonctionner intégralement. Mais selon mon observation, c’est que cette décision que nous avons prise ce matin – notez-le – nous l’avons prise à froid, calmement, nous-mêmes sans subir aucune pression venue de l’extérieur, ni aucune spéculation. La journée de vendredi a été particulièrement calme sur notre marché des changes. C’est une décision qui a été mûrement réfléchie, j’ai eu l’occasion d’en entretenir trois fois le président de la République avant que la décision définitive ne soit arrêtée, et si elle a été prise, c’est parce que nous considérons que dans les circonstances actuelles, c’est celle qui est le plus apte à protéger les intérêts de l’économie française et les intérêts des Français eux-mêmes. En troisième réflexion, c’est que c’est une décision importante en effet. Nous en prendrons d’ailleurs d’autres au cours de cette période. Et je répète devant vous ce que je vous ai dit et ce que je répèterai chaque fois, au cours de cette période je vous garantis que l’économie française sera conduite.

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