Un rapport confidentiel de l’IGF dénonce les dysfonctionnements de la vente de l’immeuble de la rue de la Convention.
Connaissez-vous l’immeuble du 27-29, rue de la Convention à Paris dans le XVe arrondissement ? C’est un bâtiment de 20 000 mètres carrés de bureaux et de 10 000 mètres carrés d’activité comme il en existe peu dans la capitale. Et ce bâtiment a fait couler beaucoup d’encre depuis l’été. Propriété de l’Imprimerie nationale, une société anonyme détenue à 100 % par l’État, l’immeuble a été vendu en 2003 au groupe Carlyle pour 85 millions d’euros (hors taxe). Carlyle l’a cédé mi-2007 à l’État qui veut y regrouper les services des Affaires étrangères pour la bagatelle de 325 millions d’euros (hors taxe)... Empochant au passage une plus-value brute de 240 millions en quatre ans.
À la demande du ministre du Budget, Éric Woerth, l’Inspection générale des finances (IGF) s’est penchée sur les conditions de vente et de rachat de l’immeuble afin d’y voir plus clair sur cette plus-value astronomique. Le rapport, qui vient d’être bouclé et que Le Figaro s’est procuré, ne trouve rien à redire sur le rachat de cet immeuble par l’État en juin 2007.
Cette opération « a été et demeure une opération de modernisation et de rationalisation dont l’intérêt et, à bien des égards, l’exemplarité sont incontestables », conclut l’IGF qui évoque « les multiples autres hypothèses de localisation » examinées et les « conditions financières raisonnables au regard des conditions de marché ». Traduction : compte tenu du prix de l’immobilier de bureau qui a doublé entre 2003 et 2007, des 100 millions de travaux que Carlyle est en train de faire réaliser et de la rareté de ce type de surface à Paris, l’immeuble vaut bien les 325 millions d’euros déboursés.
L’IGF adresse en revanche de vives critiques à l’Imprimerie nationale qui aurait très mal vendu cet immeuble en 2003. Les « dysfonctionnements » mentionnés dans le rapport concernent en réalité tous les aspects de la vente. D’abord, le prix de cession qui aurait pu être beaucoup plus élevé. Pour l’IGF, il « a été inférieur d’une dizaine de millions d’euros à ce qu’il aurait pu ou dû être (...) et d’environ 25 millions supplémentaires » si l’Imprimerie nationale avait fait les démarches nécessaires préalables pour convertir 10 000 mètres carrés de locaux d’activité en bureau pour mieux valoriser son bien. Traduction, l’Imprimerie nationale aurait pu empocher 120 millions d’euros au lieu des 85 millions, soit un manque à gagner de... 35 millions. Rien de moins.
Autre problème : les délais de bouclage de l’opération. Comme prévu entre le vendeur et l’acquéreur, il s’est passé 31 mois entre la signature de la promesse de vente le 19 juin 2003 et celle de l’acte authentique intervenue début 2006. « Un délai inhabituellement long » qui a pesé d’autant plus lourd que les modalités de règlement étaient incroyablement favorables à Carlyle. Le paiement par le groupe américain est intervenu début 2006. La promesse de vente n’« a été assortie d’aucun acompte, ni règlement échelonné, ni intérêt » à la charge de Carlyle alors que, dans le même temps, l’Imprimerie nationale contractait un crédit-relais auprès de Crédit agricole Indosuez qui au final lui a coûté 5,3 millions d’euros. Compte tenu du délai de 31 mois, la promesse de vente aurait par ailleurs dû intégrer des clauses concernant l’évolution de la valorisation de l’immeuble. Or, s’il y a bien dans la promesse de vente une clause de complément de prix, elle est loin d’être favorable à l’Imprimerie nationale. Au final, celle-ci a touché un complément de prix de 18 millions d’euros en juillet là où elle aurait pu toucher bien plus.
Mauvaises influences
L’Imprimerie nationale, qui était certes dans une situation financière critique et s’apprêtait alors à recevoir de l’État - et donc du contribuable - 63 millions fin 2003 portés à 197 millions mi 2005, n’aurait-elle pas eu intérêt à retarder de deux ans la signature de la promesse de vente ? C’est évidemment ce que pense l’IGF, qui estime qu’en pareil cas l’Imprimerie nationale aurait empoché 45 millions d’euros de plus.
Et c’est même, selon le rapport, cette solution qui avait été envisagée début 2003 par l’ancien président de l’Imprimerie nationale. Mais si elle n’a pas été retenue, « c’est de toute évidence sous l’influence du conseil Auguste Thouard et plus encore de la Direction du Trésor en tant que tutelle qui ont finalement convaincu l’Imprimerie nationale de préférer une stratégie de sécurisation de la vente ». Mieux vaut tenir que courir, dit le proverbe.
Source
http://www.lefigaro.fr/immobilier/2...
Vente du patrimoine immobilier de l’Imprimerie nationale
13 ème législature
Question orale sans débat n° 0036S de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat
(Paris - CRC-SPG)
publiée dans le JO Sénat du 20/09/2007 - page 1639
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi sur les causes et les conséquences des transactions immobilières concernant les anciens locaux de l’Imprimerie nationale, rue de la Convention réalisés ces dernières années. En effet, en 2004 l’État a vendu pour 85 millions d’euros au fonds d’investissement Carlyle, les anciens locaux de l’Imprimerie nationale situés rue de la Convention à Paris. Le ministère des Affaires Étrangères les a rachetés cette année pour une somme de 376,7 millions d’euros.
La plus value payée par l’État est exorbitante et en tout état de cause on ne peut qu’être surpris d’une telle gestion du patrimoine public par l’État, qui connaissait depuis de nombreuses années ses besoins de locaux.
De plus cette gestion illustre l’incapacité de l’État de contribuer ni à la sauvegarde industrielle de l’Imprimerie nationale, ni à celle de son patrimoine culturel.
Elle lui demande des explications précises sur cette gestion.
Réponse du Secrétariat d’État chargé de la consommation et du tourisme
publiée dans le JO Sénat du 24/10/2007 - page 4022
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la question n° 36, adressée à Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le scandale des locaux de l’Imprimerie nationale est maintenant public. Les 30 000 mètres carrés vacants à la suite du démantèlement de cette entreprise d’État ont fait l’objet, en 2003, d’une promesse de vente au bénéfice du fonds d’investissement Carlyle, pour 85 millions d’euros. Les paiements par le groupe américain sont intervenus, semble-t-il, le 31 janvier 2006, lors de la signature de l’acte authentique, soit trente et un mois plus tard. Aucun acompte n’avait été versé, aucun paiement partiel effectué, aucun intérêt payé entre la promesse de vente et la signature de l’acte n’authentique.
S’ajoute à la somme perçue en 2006 une clause de complément de prix peu avantageuse pour l’Imprimerie nationale, malgré ce délai de trente et un mois. Ce complément s’élèverait, selon le récent rapport de l’Inspection générale des finances, à 18 millions d’euros - cette somme a été perçue le 10 juillet 2007 -, auxquels il faut soustraire 1,78 million d’euros pour divers travaux de dépollution et 5,3 millions d’euros d’intérêts intercalaires supportés par l’Imprimerie nationale, au titre d’un prêt relais de 50 millions d’euros.
Le ministère des affaires étrangères a racheté ces locaux, le 18 juin 2007, pour la somme de 376,7 millions d’euros, toutes taxes et travaux compris.
De plus, profitant d’une faille fiscale, Carlyle échappe à la taxation de la plus-value, taxation dont le produit aurait rapporté environ 30 millions d’euros à l’État.
L’État a donc payé une plus-value d’au moins 135 millions d’euros.
Auditionnés par la commission des finances du Sénat, les gestionnaires de cette affaire - M. Vialla, ancien directeur de l’Imprimerie nationale, Carlyle, le ministère des affaires étrangères, les domaines - n’ont rien trouvé à redire ou à ajouter au rapport de l’IGF.
En rachetant au prix de 376 millions d’euros un bien vendu auparavant 85 millions d’euros, avec une promesse de vente incroyablement favorable à Carlyle, l’État a pour le moins dilapidé les fonds publics et alimenté la spéculation. Ces sommes auraient sans doute été plus utiles, par exemple, pour soutenir l’activité industrielle de l’Imprimerie nationale.
Le rapport de l’IGF laisse subsister des zones d’ombre très regrettables. Les différentes estimations du coût des travaux vont de 65 millions d’euros à 120 millions d’euros, voire à 170 millions d’euros. En outre, le ministère des affaires étrangères devra encore débourser de 500 euros à 1 000 euros par mètre carré pour finir d’adapter les locaux à ses besoins.
J’ai demandé la constitution d’une commission d’enquête parlementaire, ce que la majorité sénatoriale ne semble pas vouloir accepter. C’est dommage ! Je réitère donc ma demande, car il me paraît être du devoir du Parlement de mener de véritables investigations sur une si lamentable gestion du patrimoine public, c’est-à-dire de l’argent des contribuables.
Je demande également au Gouvernement, par votre entremise, monsieur le secrétaire d’État, de faire la clarté sur ce dossier, en particulier sur les responsabilités de l’État et de ses représentants dans cette affaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la consommation et du tourisme. Madame le sénateur, présidant en ce moment même la conférence de lancement du cycle de discussions avec les partenaires sociaux sur l’emploi et le pouvoir d’achat, Mme Christine Lagarde m’a chargé de répondre à votre question.
S’agissant de la transaction immobilière des anciens locaux de l’Imprimerie nationale, le fonds Carlyle a effectivement revendu cet été l’immeuble de la rue de la Convention au ministère des affaires étrangères sensiblement plus cher qu’il l’avait acheté à l’Imprimerie nationale, soit 325 millions d’euros environ, contre un prix d’achat de 103 millions d’euros.
Cette plus-value s’explique essentiellement par deux raisons.
D’une part, Carlyle a effectué de très importants travaux pour transformer en bureaux modernes des locaux qui étaient occupés en partie par des ateliers. Le coût de ces travaux est estimé à près de 100 millions d’euros. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat fait un signe de dénégation.)
D’autre part, Carlyle a clairement tiré profit de la très forte hausse du prix de l’immobilier parisien, qui a plus que doublé entre 2003, date de la promesse de vente, et 2007, date de la cession.
Il faut également souligner que l’Imprimerie nationale a partiellement bénéficié de cette hausse grâce à une clause de partage de la plus-value, qui lui a rapporté 18 millions d’euros, et que les deux opérations de vente et de rachat de l’immeuble ont été réalisées au prix du marché. La vente par l’Imprimerie nationale, en particulier, a été réalisée au plus offrant, à l’issue d’un appel d’offres large, ouvert à plus de cinquante investisseurs potentiels.
Toutefois, il aurait certes été préférable que le besoin du ministère des affaires étrangères eût été identifié dès la vente de l’immeuble de la rue de la Convention par l’Imprimerie nationale.
Des réflexions ont donc lieu afin d’anticiper, de globaliser davantage l’identification des besoins et d’éviter de tels effets de vente-rachat.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne m’avez pas répondu sur deux points.
Tout d’abord, le flou des chiffres est tout de même curieux et anormal. Le coût des travaux ayant été estimé entre 65 et 120 millions d’euros par le rapport de l’IGF, vous faites une cote mal taillée, évoquant la somme de 100 millions d’euros !
Ensuite, le rapport de l’IGF relève que, lorsque le ministère des affaires étrangères a exposé son schéma pluriannuel de stratégie immobilière au Conseil immobilier de l’État le 12 décembre 2006, il n’a pas « indiqué à cet organisme de façon claire que l’acquisition de l’immeuble Gutenberg était très avancée ». Pourquoi ?
Toujours selon ce rapport, le 23 mars 2007, date à laquelle les opérations de vente par l’État des terrains Gutenberg à Carlyle n’étaient pas terminées - Carlyle devait encore verser une somme complémentaire de 18 millions d’euros, montant dont la faiblesse était loin de compenser la moins-value immobilière de l’État —, le président du Conseil immobilier de l’État, bien avisé, a adressé un courrier au Premier ministre pour le mettre en garde et lui exprimer « ses préoccupations à propos de ce projet, l’estimant peu compatible avec l’objectif de rationalisation des implantations administratives parisiennes et attirant son attention sur le montant de la plus-value qui en résulterait pour le groupe Carlyle. ».
Plus grave encore, le rapport de l’IGF indique que « non seulement cette lettre ne reçut pas de réponse, mais tout fut fait pour qu’elle n’en reçût point avant que l’opération ne devînt irréversible. » N’est-ce pas là une sorte de délit d’initié ?
La mise en place d’une commission d’enquête parlementaire s’impose. Si la décision n’est pas de votre ressort, monsieur le secrétaire d’État, votre majorité, en revanche, pourrait s’en soucier. Des sanctions devront être prises à l’encontre des responsables d’une telle situation.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
http://www.senat.fr/questions/base/...
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Vous pouvez aussi consulter le rapport de l’Assemblée Nationale