Une poignée de riverains sont en colère après la décision de la mairie de Montagnac (Hérault) de vendre un terrain sur lequel se trouve un forage à une société d’eau embouteillé, Alma.
Un bras de fer s’est engagé entre des habitants de Montagnac dans l’Hérault, et le leader sur le marché de l’eau embouteillée Alma, qui possède entre autres Saint-Yorre, Vichy, Cristaline ou encore Thonon. La raison ? L’accaparement par l’entreprise d’un terrain pour y installer une nouvelle usine d’embouteillage.
Vendues par la mairie pour 30 000 euros, ces parcelles sont une aubaine pour la société Alma. Et ce, pour deux raisons : la première est qu’à près de 1 500 mètres de profondeur dort une nappe d’eau souterraine, officiellement classée « masse d’eau souterraine stratégique pour l’alimentation en eau potable » ; et la deuxième est qu’un forage existe déjà sur le terrain. L’entreprise pourrait donc à terme l’exploiter si elle en obtenait le droit.
La source de la discorde sur une terre assoiffée
Une situation ubuesque pour la population aux alentours qui peine déjà à avoir de l’eau au robinet et qui est elle-même contrainte d’acheter de l’eau en bouteille. « Dans notre vallon, nous n’avons pas d’eau de la commune, chacun est ici dépendant soit d’un forage ou d’un puits », explique auprès de Novethic Christophe Savary de Beauregard. Ce viticulteur dépend essentiellement d’un puits pour son approvisionnement en eau, mais il dit être obligé d’acheter chaque semaine de l’eau minérale en bouteille pour sa consommation personnelle, et celles de ses clients puisqu’il a également deux gîtes.
Depuis plusieurs mois, Christophe Savary se bat avec son association « Veille Eau Grain » et d’autres riverains pour que ce projet ne voit pas le jour. « Cette réserve d’eau est colossale et nous estimons que la commune doit la garder en cas de coup dur », insiste-t-il. Cette source pourrait, selon ses estimations, alimenter un ville de 20 000 habitants. Or l’eau est une denrée rare dans la région. D’après le site gouvernemental VigiEau, la ville de Montagnac se trouve sur une zone dite en « crise », à savoir le plus au niveau d’alerte mis en place. A ce stade, seuls les usages prioritaires sont autorisés, tandis que les prélèvements en eau pour l’agriculture, ou les usages domestiques et publics sont strictement interdits.
Des emplois à la clé
Interrogée par Novethic, la société Compagnie Générale d’Eaux de Source (CGES), filiale d’Alma, assure que « la commune de Montagnac a proposé la reprise du forage pour une éventuelle exploitation, ainsi que les parcelles sur lesquelles il est implanté ». De son côté, la mairie est restée muette à nos sollicitations. Alma a promis d’y installer une usine d’embouteillage avec à la clef vingt emplois au démarrage et une soixantaine à terme. Un argument bien insuffisant pour Christophe Savary. « De tels postes existent déjà non loin d’ici, et ils ne sont pas pourvus. Donc pourquoi en créer de nouveaux ? », s’interroge-t-il.
L’autre argument avancé par la municipalité de Montagnac pour justifier cette vente est le coût de la remise en état du forage, estimé à 400 000 euros. Pour l’heure, l’entreprise n’a signé qu’une promesse de vente et n’est donc pas encore propriétaire du forage. Cette vente reste conditionnée « au déclassement préalable, par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, du gîte actuellement soumis au code minier », mais également aux conclusions de l’étude d’impact environnemental qui vient d’être lancée en juillet dernier et qui devrait durer dix-huit mois, reportant ainsi tout projet à janvier 2025.
Le secteur de l’eau en bouteille fragilisé par le changement climatique
La création de cette nouvelle source reste une opportunité pour le groupe Alma, leader sur le marché français de l’eau en bouteille avec 28,4% des parts de marché, à égalité avec Nestlé Waters et loin devant Danone (19,3%). Or la crise climatique et les sécheresses successives fragilisent de plus en plus cette économie, pourtant en pleine expansion. Un certain nombre de compagnies sont aujourd’hui accusées par les populations locales d’épuiser les nappes phréatiques, comme à Vittel dans les Vosges ou à Volvic en Auvergne.
« Cette économie aggrave le problème car elle perturbe le cycle naturel de l’eau », explique à Novethic l’ingénieure hydrologue Charlène Descollonges, et auteure de « L’eau, Fake or Not » aux éditions Tana. Cette eau puisée pour être embouteillée et exportée ne retournera jamais dans son milieu d’origine. « Cela représente des volumes considérables d’eau ainsi détournée ». En 2021, la France a produit 11,3 milliards de litres d’eau, dont 1,835 milliard ont été exportés jusqu’en Chine ou en Argentine.
« On devrait plutôt s’attacher aujourd’hui à remettre de l’eau dans les nappes. Or on continue d’accorder des droits d’exploitation à des entreprises pour les assécher toujours plus », regrette Charlène Descollonges. De son côté, le secteur se défend d’altérer cet écosystème. « On travaille avec des nappes aquifères très profondes, qui ne sont pas impactées par les aléas climatiques », a expliqué à Novethic Antoine Cardon, le délégué général du Syndicat des eaux de source et des eaux minérales naturelles.
La scientifique déplore toutefois les méthodes de gouvernance et de gestion de l’eau toujours plus déconnectées des besoins des citoyens, dont Montagnac est le parfait exemple. Mais ce nouveau projet pourrait bien tomber à l’eau au regard de la dernière décision de la préfecture de l’Hérault de rejeter l’installation d’un nouveau golf, jugé trop gourmand en eau…