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Bill Gates, apôtre de l’impérialisme humanitaire

lundi 5 janvier 2009

Genèse d’une fondation

A l’aube de l’année 2000, poursuivant la tradition familiale et joignant sa femme au projet, Bill Gates de son vrai nom William Henry Gates, troisième du nom, fusionne sa fondation caritative avec celle de son père pour créer la Bill & Melinda Gates Foundation.

Cette nouvelle structure poursuit et étend les desseins déclarés des précédentes en produisant ses initiatives dans les domaines de l’éducation, de la fourniture d’ordinateurs dans les bibliothèques et de l’assistance aux familles défavorisées dans la région du Nord-Ouest des États-Unis. Mais son plus important secteur d’intervention est celui de la santé mondiale, particulièrement à travers des programmes de vaccination dans les pays émergents.

William Henry Gates père, fort de son expérience d’avocat d’affaires et de mécène patenté, prend les rênes de la fondation de son fils et de sa bru, avec Patty Stonesifer, ex-cadre dirigeante de Microsoft. Celle-ci, après presque dix ans de bons et loyaux services, est remplacée par Jeff Raikes.

Financée à sa création par près de 30 milliards de dollars, c’est à terme, 95% de la fortune de son fondateur qui doivent revenir dans les caisses de cet organisme, les 5% restants étant réservés à ses héritiers. Et, en juin 2006, Warren Buffet, lequel succède à Bill Gates au titre de l’homme le plus riche du monde, devient le plus important donateur à une organisation caritative en apportant 37 milliards de dollars, soit plus de 80% de sa fortune, à l’œuvre de son ami. Suivant son exemple, il déclare vouloir léguer le reste de sa fortune à la fondation.

Grâce à cet apport, la déjà puissante fondation Gates cumule désormais une force financière de plus de 60 milliards de dollars. En comparaison, le budget de l’Unesco approche à peine le milliard de dollars. Les contributions qui entrent chaque année dans ses coffres équivalent au budget annuel de l’Organisation Mondiale de la Santé. Depuis sa création, elle a lancé pour plus de 12 milliards de dollars de projets, autant en valeur que l’OMS. Et sa puissance budgétaire la consacre maintenant à l’égal d’une institution telle que le Fond Monétaire International [FMI]. En effet, elle dispose de ressources représentant deux fois le montant des prêts du FMI.

Par conséquent, l’influence d’un tel bailleur de fonds sur les ONG avec qui il coopère est énorme. Il est en position de décider des programmes à vocation humanitaire à mettre en œuvre, de dicter leurs orientations et de choisir les cibles. De plus, les milliards de dollars brassés ont un impact majeur sur les industries qui vont être amenées à travailler en partenariat avec lui. On assiste là à l’apparition d’un nouveau schéma de l’aide humanitaire, au mécanisme très différent de celui traditionnellement élaboré pour venir en aide aux pays sous développés.

Dans un nouveau style d’action appelée « venture philanthropy » [1], la fondation Gates affiche l’ambition de résoudre les graves problèmes de la planète. Par définition, les actes d’un bienfaiteur sont motivés par la générosité et non par la recherche du profit. Pourtant, on assiste aux Etats-Unis à l’avènement d’une nouvelle charité alliant financements caritatifs et investissements lucratifs. Ce concept a émergé, il y une dizaine d’années, avec la parution d’un article dans la Harvard Business Review intitulé « Capital vertueux : ce que les fondations peuvent apprendre du capital risque » dont l’idée essentielle était qu’il fallait considérer l’acte philanthrope non pas comme un acte charitable mais comme un investissement.

Bill Gates, maître incontestable en la matière a plaidé, quant à lui, en faveur d’un capitalisme créatif en exhortant les dirigeants présents au forum économique mondial de Davos à s’engager sur cette voie afin de concilier ainsi, les deux principaux objectifs, d’après lui, de la nature humaine : « la satisfaction de ses propres intérêts et l’altruisme. » [2]

Le magazine électronique Slate, qui publie chaque année une liste des 60 plus généreux donateurs, dresse le portrait de ces nouveaux philanthropes : « Ils sont partenaires plutôt que bienfaiteurs. Ils n’aiment pas le mot charité, préfèrent parler d’investissements sociaux. Ils ont un vocabulaire d’entrepreneurs. Ils préfèrent travailler à l’échelle mondiale plutôt que locale …. » .

« Charity must be considered as an industry » selon ces néo-philanthropes.

Mais pourquoi monter sa propre association humanitaire au lieu de faire des donations à un organisme ou à une association existants, qui partagent les mêmes objectifs et qui disposent déjà d’une expertise reconnue dans ce domaine ?

Les deux raisons de créer une fondation philanthropique pour les milliardaires américains, les plus évidentes, sont la fiscalité très avantageuse accordée aux capitaux placés dans une fondation à caractère caritatif et une bonne image de marque qui se répercute à l’ensemble des activités de son fondateur. Les fondations américaines sont régies par l’article 501c3 du code des impôts américain qui leur permet des exonérations d’impôts importantes et leur a même accordé en 1981 une nouvelle liberté : elles sont seulement tenues à un minimum de distribution égal à 5 % de leur dotation. [3]

Dans le cas de la fondation Gates, cela représente près de 2 milliards de dollars. Les 95% des fonds restants sont gérés et investis, par un cabinet propre à la fondation, « Cascade Investment L.L.C. » [4], qui n’est pas tenu de divulguer quoi que ce soit de ses activités. Et, selon une enquête du Los Angeles Times, seulement 5% de l’argent, le minimum légal donc, est offert tous les ans aux causes soutenues par la Fondation [5] et les 95% restants sont investis principalement dans l’industrie pétrochimique et pharmaceutique .
 [6]

Partenariats et intérêts communs bien compris

A l’occasion du Forum économique mondial de Davos de 2000, la toute nouvelle fondation Bill & Melinda Gates dote de 750 millions de dollars, l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination [GAVI] et son bras financier le « Vaccine Fund. GAVI est une coalition d’organisations constituée pour lutter contre la stagnation des taux de vaccination dans les pays en développement. Plusieurs gouvernements nationaux, le programme PATH pour les vaccins de l’enfance, la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM), des instituts de recherche et de santé publique, la Fondation Rockefeller, l’UNICEF, le Groupe de la Banque mondiale font également partie de GAVI.

En juin 2001, une structure mise sur pied par les Nations unies, à l’instigation de Kofi Annan, voit à son tour le jour, c’est le « Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose ». Et également lancée par Kofi Annan, lors de la réunion de 2003 du Forum économique mondial, la Global Initiative Health (GHI) a pour mission d’inciter les entreprises à conclure des partenariats publics-privés afin de lutter contre le SIDA, la tuberculose, la malaria et de renforcer les systèmes de santé des pays émergents. La Fondation Gates en assure l’administration, conjointement avec le NIH (équivalent américain du Ministère de la Santé). Cette initiative se focalise sur la fabrication de vaccins.

Les sièges que détient la Fondation Gates aux conseils d’administration de ces institutions lui permettent de peser sur les politiques et les priorités en matière de santé mondiale. Son influence croît par l’importance de ses contributions à la plupart des grandes initiatives mondiales de santé publique.

Lors du G8 de 2005, un nouvel outil de financement est conçu : la « facilité internationale de financement pour la vaccination » ou IFFIm. Elle accélère la disponibilité des capitaux destinés aux programmes de santé et de vaccination. La mécanique est simple, l’IFFIm émet un emprunt obligataire sur le marché des capitaux internationaux, dont le remboursement est assuré par les Etats participant à l’opération. L’IFFIm a permis de doubler les ressources financières que GAVI consacre à ses programmes de vaccination. Autre innovation : la garantie de marché ou l’AMC pour « Advanced Market Committments ». Par ce mécanisme, l’industrie pharmaceutique obtient la garantie d’achat d’un nombre déterminé de vaccins à un prix fixé à l’avance par Gavi Alliance. Avec l’AMC, les industriels sont assurés de leur futur marché.

Gavi Alliance a généré un véritable marché du vaccin dans les pays pauvres. Les laboratoires pharmaceutiques qui limitaient, auparavant, leurs champs d’intervention aux pays développés qui ont les moyens d’acheter leurs produits, n’ont pas tardé à s’intéresser à ce nouveau secteur. En effet, depuis que la fondation Gates a créé GAVI, la vaccination des enfants pauvres contre l’hépatite B est passée de 20 à 60%.

Aux côtés des mécènes milliardaires, des hommes politiques s’activent. Ainsi, Bill Clinton organise à New York un forum annuel pour collecter des fonds qui réunit un millier de participants parmi lesquels figurent les plus grosses fortunes du monde et de nombreux décideurs internationaux. L’objectif de la Clinton Global Initiative (CGI) « est de créer un groupe permettant de réunir des personnalités disposant d’importants moyens financiers et des décideurs ayant les idées les plus novatrices ». La CGI agit comme un entremetteur. Dans le cadre de cette initiative, considérée comme « une bourse aux dons destinés à des causes utiles », des promesses de dons d’un montant d’environ 10 milliards de dollars ont déjà été enregistrées.

Hillary Cliton, étant nommée à la tête de la diplomatie américaine, la liste des donateurs de la fondation a été révélée, parmi lesquels des gouvernements, de grands groupes et des milliardaires ayant chacun leurs propres intérêts dans la politique étrangère des Etats-Unis.

Autre partenaire privilégié de la Fondation Gates, l’USAID, l’agence du gouvernement américain chargée de fournir assistance économique et humanitaire à travers le monde. Un récent rapport d’Oxfam America (ONG qui se bat contre la famine dans le monde) pointe les insuffisances du système américain d’aide à l’étranger. Ce système serait de plus en plus militarisé et se détournerait des objectifs humanitaires. Ainsi, cette agence a établi une nouvelle coopération avec l’armée américaine non seulement en Irak et en Afghanistan, mais aussi en Afrique et en Europe. Selon réseau Voltaire [7], ce rapprochement entre les civils de USAID et les militaires rend public ce qui se produit depuis la fondation de USAID, et le gouvernement américain utilise cette agence comme couverture pour leurs actions secrètes d’infiltration et de déstabilisation.

Les pays pauvres, nouveaux marchés et cobayes de l’occident

Ces orchestrations de campagnes massives de vaccination et ces financements de recherches médicales ont réveillé l’industrie pharmaceutique qui cherche maintenant de nouveaux traitements et vaccins pour les pays pauvres, en plus de ceux déjà existants qu’elle leur propose désormais.

Saisissant cette opportunité, la société américaine Merck, l’une des cinq plus grandes sociétés pharmaceutiques mondiales, s’est associée aux principaux organismes de santé et de développement oeuvrant à l’échelle internationale, ainsi qu’à quatre autres sociétés pharmaceutiques dans le but de former une nouvelle entreprise coopérative des secteurs public et privé destinée à accélérer l’accès aux soins et aux traitements relatifs au SIDA dans les pays en développement. Merck s’est engagée à travailler conjointement avec le programme ONUSIDA, l’OMS, la Banque mondiale, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), ainsi qu’avec les sociétés Boehringer-Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, GlaxoWellcome et F. Hoffmann-La Roche.

Mais que penser des pratiques de ces laboratoires pharmaceutiques, partenaires pour l’Afrique de la fondation Bill & Melinda Gates ?

En 2003, au Cameroun, les règles éthiques de la recherche biomédicale ne sont pas respectées par Gilead, entreprise américaine, qui teste sur 400 prostituées son antiviral Viread, sans leur consentement éclairé sur les risques encourus et sans prise en charge en cas de maladie déclarée au cours du test [8]. Le promoteur de cet essai, Family Health International (FHI), le présente comme devant permettre de « savoir si le Viread peut jouer pour le sida le même rôle que la pilule en matière de prévention de la grossesse. » FHI est un organisme financé à hauteur de 6,5 millions dollars par la Fondation Gates [9].

Et cette année, c’est au tour du laboratoire GlaxoSmithKline de déclencher la polémique en testant un vaccin expérimental contre la pneumonie sur les enfants de moins d’un an en Argentine, en Colombie et au Panama. Ce laboratoire est accusé de faire pression sur des parents pauvres pour qu’ils engagent leurs enfants dans des essais expérimentaux de médicaments qui ont entraîné la mort d’au moins 12 enfants [10]. GlaxoSmithKline est partenaire du programme PATH, programme mondial de vaccins de l’enfance, fondé sur la base d’un financement initial de 50 millions de dollars issus toujours de la Fondation Bill & Melinda Gates.

Dans un film « The constant gardener », tiré d’une nouvelle de John Le Carré, sont dénoncées les dérives de grands groupes industriels pharmaceutiques qui prennent, en Afrique, des libertés avec les règles d’éthique qu’ils sont contraints de respecter dans les pays riches. Une fiction qui semble s’être nourrie de la réalité.

Outre ces dérives, malgré toutes les déclarations d’intentions humanitaires, on retrouve, dans la santé comme dans les autres secteurs de l’industrie, les mêmes obstacles juridiques à l’usage de la technologie au profit de l’humanité. L’industrie pharmaceutique est la plus rentable au monde, après celle de l’armement, et l’une des plus riches. Pour mieux comprendre le rapport de force qui existe entre cette industrie et les gouvernements africains, il suffit de comparer le poids économique de ces entreprises avec celui des Etats qui tentent de lutter contre leur pouvoir absolu. Un exemple : les bénéfices 2000 de Merck, toutes pathologies confondues, sont équivalents au produit intérieur brut du Congo.

Ainsi, ces firmes pharmaceutiques ont intenté un procès à l’Etat sud-africain, qui voulait faire passer une loi sur les médicaments génériques. L’urgence sanitaire devrait pourtant permettre aux pays pauvres qui ont désespérément besoin de médicaments de se les procurer au prix le plus faible grâce à une fabrication locale de génériques. Mais l’industrie pharmaceutique, largement soutenue par l’administration américaine et par la commission européenne, a réussi à faire inscrire, dans les traités commerciaux internationaux, un pilier de l’Organisation mondiale du commerce [OMC] : la priorité quasi-absolue du droit des brevets sur toute autre considération. Ce sont les accords ADPIC ou TRIPS conclus en 1994.

En 1999, s’est tenu à Genève l’Assemblée Mondiale pour la Santé réunissant les ministres de la santé des Etats membres de l’OMS. A cette occasion, la résolution intitulée « Stratégie Pharmaceutique Révisée (SPR) » était proposée au vote. Donnant mandat à l’OMS pour s’introduire dans les négociations internationales relatives aux politiques d’accès aux traitements, elle devait lui permettre de contrebalancer les positions soutenues par l’OMC. Mais au final l’OMS ne remet pas en question les coûts prohibitifs des traitements fixés par les compagnies pharmaceutiques qui font des bénéfices exorbitants et qui conservent un monopole sur le marché mondial des médicaments.

Enième péripétie, en novembre 2001, la conférence ministérielle de l’OMC, réunie à Doha au Qatar, adoptait une « Déclaration sur la propriété intellectuelle et la santé » [11]. Selon les termes de cette déclaration, les pays en développement étaient autorisés à contourner les monopoles liés aux brevets, lorsque cela est nécessaire pour assurer l’accès aux médicaments pour l’ensemble de leurs populations.

Mais «  l’utilisation de la Déclaration de Doha est quasiment impossible, du fait des pressions politiques exercées par l’administration Bush », affirme le Dr Pedro Chequer qui dirigeait jusque fin 2005 le Programme national brésilien de lutte contre le sida. « C’est exactement ce qui est arrivé au Brésil l’année dernière, quand nous avons tenté d’utiliser les licences obligatoires, disposition pourtant prévue dans la Déclaration de Doha ».

L’article 5 (b) de la Déclaration de Doha affirmait pourtant que « Chaque état membre de l’OMC a le droit d’accorder des licences obligatoires, et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées ». La licence obligatoire est décidée par le gouvernement d’un Etat sans l’accord du propriétaire. Mais force est de constater que le recours à ces licences est en pratique extrêmement rare et la déclaration de Doha reste lettre morte.

Cinq ans après, selon des chiffres de l’OMS, il n’y a toujours aucun générique disponible dans la plupart des pays en voie de développement et malgré les négociations à l’OMC pour permettre aux populations des pays en développement d’accéder à des médicaments bon marché, la politique de libre-échange des Etats-Unis réduit à néant les quelques avancées obtenues. Au mépris de leurs engagements multilatéraux, les Etats-Unis se sont lancés dans une politique effrénée d’accords régionaux et bilatéraux de libre-échange avec les pays en développement. Ces accords imposent systématiquement aux pays signataires des dispositions en matière de propriété intellectuelle, dites « ADPIC+ », plus contraignantes que celles de l’accord ADPIC (rallongement de la durée des brevets au-delà de 20 ans, extension des critères de brevetabilité, blocage de l’enregistrement des génériques, etc.). Elles limitent également le recours à un certain nombre de flexibilités prévues par la déclaration de Doha sur l’accord ADPIC et la Santé Publique, notamment le recours plein aux licences obligatoires et aux importations parallèles.

Ce n’est pas Bill Gates qui s’élèvera contre ce principe de protection des brevets et de monopole. Fondateur de la multinationale informatique Microsoft, sa fortune fut acquise grâce à une démarche commerciale agressive qui tenta d’imposer partout dans le monde un système d’exploitation et les logiciels coûteux qui les accompagnent. Ainsi, lors d’une tournée en Afrique effectuée avec son épouse pour le compte de sa fondation, il a organisé une réunion en 2003, sur le thème de « L’édification de la société de l’information en Afrique ». A cette occasion, il a qualifié Microsoft de « meilleure entreprise du monde » pour proposer des logiciels gratuits, des formations, le tout subventionné par la Gates Foundation dont les sommes énormes ont déjà séduit des pays comme l’Ouganda, l’Angola et la Namibie, les dissuadant d’utiliser les logiciels libres. A ce titre, il cherche à s’immiscer dans le projet « One Laptop per Child » [12] qui vise à terme à équiper les enfants scolarisés des pays émergents d’ordinateurs à prix réduit, soit 100 dollars. Conformément à cette démarche, ces machines sont pourvues de logiciels libres dont Linux ; voyant cela, le PDG de Microsoft, qui avait dénigré ce projet dans un premier temps [13], a fait ajouter une carte externe à ces ordinateurs pour pouvoir les faire fonctionner sous Windows.

Des choix et des priorités incohérents

Signée en 2000, la déclaration de l’ONU des Objectifs du Millénaire pour le développement [14]fixe huit buts à atteindre d’ici 2015 par ordre d’importance :

  • Réduire l’extrême pauvreté et la faim
  • Assurer l’éducation primaire pour tous
  • Promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes
  • Réduire la mortalité infantile
  • Améliorer la santé maternelle
  • Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies
  • Assurer un environnement durable

Le classement par ordre d’importance des OMD diffère de celui des missions élues par les fondations privées. Pour celles-ci, la lutte contre le VIH-SIDA et les autres maladies infectieuses, et donc la fourniture de traitements médicamenteux et de vaccins, est la première des priorités alors qu’elle n’est que le 6e pour l’ONU. Autrement dit, les OMD n’inspirent pas directement la conception des programmes des fondations et la conduite de leurs activités philanthropiques internationales. Les fondations tendent à déterminer elles-mêmes leurs politiques et leurs stratégies.

En fonction de quels objectifs ? Et pourquoi ce manque de cohésion dans les politiques humanitaires à l’échelle mondiale, lequel ne peut que minorer les résultats sur le terrain ?

D’autre part, si les pays dits « émergents » apparaissent comme les cibles privilégiées des programmes internationaux des fondations, aucun pays parmi les pays les moins avancés (les pays les moins développés socio-économiquement de la planète) ne figure parmi les dix principaux récipiendaires de cette aide. On ne trouve ainsi que cinq PMA dans la liste des 50 premiers récipiendaires de l’aide des fondations. Les pays émergents tels que la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde ou le Mexique sont en revanche destinataires de 60 % de ces fonds.

Pourquoi les pays les moins développés, les plus pauvres d’entre les pauvres, ne sont-ils pas les cibles privilégiées de la bienfaisance des fondations caritatives privées ?

La fondation Bill & Melinda Gates, quelle que soit l’ampleur de ses moyens, peut-elle réussir là où les ONG s’escriment depuis des années ? Favorise-t-elle les stratégies vitales pour les pays pauvres ? Pourquoi promouvoir la vaccination de masse de maladies infantiles telles que la rougeole ou les oreillons, bénignes dans la grande majorité des cas, alors que tant d’enfants dans les pays en voie de développement meurent des conditions pour lesquelles aucun vaccin n’existe (malnutrition, diarrhées dues au manque d’eau potable…) et que les matériels chirurgicaux de base nécessaires pour sauver des vies manquent ou sont obsolètes ? Que penser des campagnes de vaccination contre l’hépatite B alors que beaucoup d’enfants africains meurent d’autres maux longtemps avant d’atteindre l’âge auquel ce prétendu vaccin les protègera éventuellement de la contamination par cette maladie ?

Sans contrôle sur l’utilisation des fonds, sans concertation avec les institutions mondiales et sans consultation sur les besoins réels, le risque est grand que soient sélectionnés des projets rentables au détriment de ceux réellement nécessaires aux populations défavorisées.

Beaucoup de médecins experts discutent de la façon dont des priorités sont définies dans les programmes nationaux d’immunisation dans les pays en voie de développement, conduits par la poussée des donateurs externes. Des entreprises pharmaceutiques peuvent conduire l’ordre du jour, cachées au sein des agences comme GAVI. Ce rôle des agences internationales et de leur connexion avec les compagnies multinationales, en influençant les priorités de santé publique des pays en voie de développement a déjà reçu une certaine analyse critique.

D’autres, sans remettre fondamentalement en cause la légitimité de cette approche, en soulignent les effets pervers : « Les difficultés que nous rencontrons dans le cadre de la réduction de la pauvreté, des maladies et de bien d’autres problèmes ne sont pas d’ordre financier », a affirmé Randolph Kent, directeur du projet « Humanitarian Futures » au King’s College, de l’Université de Londres, « lorsqu’on injecte plus d’argent pour tenter de résoudre des problèmes, on court plus le risque de voir ces derniers se multiplier que d’apporter des solutions idoines à ces problèmes ». Sur le terrain, en effet, les fonds globaux payant des augmentations de salaire pour les cliniciens qui fournissent la thérapie de drogue antiretroviral pour des patients de HIV/SIDA, les médecins et les infirmières entrent dans le soin de SIDA pour recevoir ces augmentations, créant un exode des compétences et une pénurie de cliniciens et infirmiers pour assurer les soins de base. Au Botswana, par exemple, où l’initiative spécifique au Sida a été déclenchée avec la société Merck, les dépenses de santé par habitant, amplifiés par les donations, sont six fois la moyenne pour l’Afrique. Cependant le taux de mortalité maternelle a presque quadruplé et le taux de mortalité infantile a augmenté nettement, l’espérance de vie au Botswana ayant progressé seulement de 41.1 ans en 2000 à 41.5 ans en 2005.

Constat

Bill Gates, qui n’a que 52 ans, a cédé en juin la gestion quotidienne de Microsoft, tout en gardant un poids décisionnaire dans ce groupe, pour consacrer plus de temps à sa Fondation. Dans le cadre des objectifs officiels de celle-ci, il a choisi d’œuvrer en partenariat avec de grands groupes pharmaceutiques américains et européens plutôt que de favoriser l’émergence d’industries nationales et locales fabriquant des génériques à moindre coût pour les populations. De plus, les fonds investis au nom de cette dernière le sont, non seulement dans des industries polluantes implantées dans les pays émergents mais aussi dans ces multinationales du médicament qui imposent leur monopole aux plus faibles et qui sont peu respectueuses des règles d’éthique en matière d’essai thérapeutique. Cela met la Fondation Bill & Melinda Gates dans une contradiction irrévocable et révèle un conflit d’intérêt évident. En outre, les pays choisis pour les interventions de la Fondation ne sont pas ceux qui souffrent le plus et les actions suivies le sont sans tenir compte des priorités établies par les experts mondiaux ou les décideurs locaux. Cette indépendance trahit des buts inavoués.

Sous prétexte de charité, Gates impose la loi de la finance jusque dans le domaine des solidarités internationales. A travers sa fondation, le philanthrope américain domine progressivement la scène mondiale de l’action humanitaire et impose sa suprématie donc ses diktats. Sa fondation est en cela un instrument essentiel de l’influence américaine dans le monde. Une poignée d’individus confisque ainsi l’aide humanitaire avec la passivité complice des Etats qui renoncent à leur rôle de garant du bien collectif et de la justice sociale.

La fondation Bill & Melinda Gates, c’est à la fois la privatisation de l’action humanitaire au profit des multinationales et le cheval de Troie de l’impérialisme américain.

Rédaction Geopolintel

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