Comme toujours des faits troublants
Sinaï, Lattaquié, Beyrouth, Paris, des actes terroristes récents auxquels il faut ajouter les 102 morts d’Ankara le 10 octobre, où, comme à Paris, il conviendra de ne pas ignorer de persistantes zones d’ombre. En effet s’il est à peu près assuré que dans la capitale anatolienne l’ÉI a bien été le bras armé d’un indéniable acte de guerre, dans ce cas précis, spécialistes et grande presse élitiste ont avec insistance pointé du doigt l’État profond] ; autrement dit des strates occultes du pouvoir turc. Ceci pour souligner que derrière les versions officielles et les certitudes premières, se cachent éventuellement des réalités stratégiques d’une puissante et obscure complexité.
Il est trop tôt et il serait malvenu au moment où le deuil frappe tant de Français, de procéder à une analyse méthodique de tous les éléments troublant qui s’accumulent au fil des heures et viennent de facto fragiliser des conclusions faciles tirées à la hâte. Déjà nombre de détails attirent l’attention comme par exemple cet étrange passeport syrien découvert très vite et très opportunément… cela rappelle la carte d’identité de l’un des frères Kouachi curieusement abandonnée le 7 janvier dernier, après la tuerie de la rue Nicolas-Appert, sur le siège arrière d’un véhicule volé. Ce qui renvoie encore, et furieusement, au passeport volant retrouvé le 11 septembre 2001 dans les décombres des Tours jumelles de Manhattan. Des Tours qui avaient changé de propriétaire peu avant les attentats, à l’instar du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes et du Bataclan, dernier en date. Des faits anodins pris isolément mais dont la répétition finit par laisser perplexe. D’autres dérangeantes similitudes entre différents épisodes terroristes existent, celles-ci ne manqueront pas d’être bientôt soulignées par des dissidences intellectuelles non astreintes au devoir de réserve.
En tout état de cause les attentats de Paris sont l’aboutissement d’une terrible série qui a auparavant tué 142 personnes au Yémen, le vendredi 20 mars, jour de la prière, au cours d’une vague d’attentats revendiqués par l’ÉI contre des mosquées chiites. Puis, le 18 juillet en Irak au nord de Bagdad, un attentat, également revendiqué par Daech faisait 90 victimes.
Ce serait donc à grand tort que l’on espérerait appréhender et expliquer la nuit de sang et de cendre du 13 novembre à Paris en voulant ignorer ces précédents qui de toute évidence participent d’une même continuité stratégique dans le cadre d’une politique de la terreur et des chocs intercommunautaires à très large échelle. Stratégie à multiples entrées et objectifs, parfois dissonant entre eux. Entendons ici que si les acteurs sont vraisemblablement tous des psychopathes plus ou moins drogués [4], les donneurs d’ordre, eux, pouvant être divers et poursuivre des buts de guerres divergents. Une donnée d’autant plus présente que l’on garde en mémoire que l’entité ÉI n’est qu’un instrument, un simple outil dans une guerre innommée et rien d’autre.
La France ambiguë rattrapée par la guerre terroriste
Hélas, au-delà du chagrin et des larmes, force est de poser quelques questions pénibles. Ainsi pourquoi la France membre de l’impressionnante Coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie [5] sous commandement américain, destinée en principe à l’annihilation de l’ÉI - dont les premières opérations remontent au 8 août 2014, mais pour quels résultats ? – a-t-elle attendu jusqu’à aujourd’hui pour lancer de frappes massives sur Raqqa capitale de l’ÉI ? C’est pourtant – possiblement - dans le poste de commandement détruit par les bombes françaises qu’ont pu être décidées et planifiées les tueries du vendredi 13. Attendait-on que le carnage eut lieu pour sévir ? Et à cette occasion resserrer les liens sociaux coercitifs d’une démocratie qui n’en a plus que le nom… depuis déjà un certain temps ?
Ajoutons que jusqu’à l’entrée dans la danse de l’aviation russe, le 30 septembre, les bombardements cosmétiques de la coalition n’avaient pas le moins du monde freiné l’avancée des troupes djihadistes approvisionnées à l’occasion par certaines erreurs de largages commises par les ravitailleurs de l’US Air force [6]. Une progression marquée spectaculairement par la prise de Palmyre le 21 mai, laquelle sera suivie par l’égorgement public d’un lot de victimes expiatoires… parmi lesquelles le conservateur en chef après la destruction de certains des monuments remarquables de la cité antique.
Rappelons enfin que jusqu’à l’instant présent, Paris a soutenu sans défaillir les factions terroristes supposées modérées. Or comme l’a souligné le président russe, Vladimir Poutine, même « modéré » un terroriste reste un terroriste. Ce qui se vérifie sur le terrain où il appert que les gens de l’Armée syrienne libre se comportent la plupart du temps avec une férocité égale ou supérieure à celle de Daech. En dépit de quoi ceux-ci ont bénéficié dès 2012, au tout début de la crise syrienne, de l’actif soutien matériel, financier, diplomatique des É-U, de la France, de l’Allemagne, du R-U, d’Israël, de Turquie [LeFigaro21juin2012]. États et parties belligérantes inavouées qui ont largement recouru aux filières des Frères musulmans, c’est-à-dire des wahhabites eux aussi « modérés » [7]. Reste qu’en ce qui concerne les Frères, il s’agit là de bons terroristes, modérés, démocrates en lutte contre un régime que Washington, par le truchement de ses factotons européens, veut abattre coûte que coûte… mais qui, volens nolens, constitue de puis près de cinq ans un précieux rempart pour l’Occident contre la guerre terroriste. Barrage que nous avons sapé avec une inconséquence et un cynisme ébouriffant. En témoigne la phrase que prononçait en déc. 2012 le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, laquelle restera dans les annales : « Al Nosra fait du bon boulot » [8] !
Si les citoyens français se rendaient compte que leur gouvernement français soutient en Syrie, dans le dessein de renverser un gouvernement légitime, élu et réélu selon des modalités guère moins démocratiques que partout ailleurs au Proche-Orient, notamment en Turquie, d’authentiques bandes d’égorgeurs, tout en prétendant les combattre sur son propre sol, alors certainement la nation s’insurgerait-elle ouvertement contre les pseudo-élites qui ont confisqué le pouvoir grâce aux tricheries institutionnalisées de la partitocratie.
Contexte géostratégique des attentats de Paris
Certes les attentats parisiens sont intervenus trois jours après que l’armée syrienne, épaulée par le Hezbollah libanais et des Gardiens de la Révolution iranienne, eut le 10 novembre brisé l’encerclement de l’aéroport militaire de Kweires à l’est d’Alep, assiégé depuis avril 2013 par plusieurs factions rebelles. Cette offensive commencée fin septembre, constitue en fait la première victoire significative de l’armée régulière syrienne. Dans ce contexte, on comprend mieux la rafale d’attentats – Lattaquié, Beyrouth, Paris - qui, au-delà de la vengeance, avaient pour but de divertir et diviser les forces gouvernementales concentrées sur la bataille d’Alep, dès lors contraintes de quitter le front pour renforcer le dispositif de protection de la capitale et autres centres urbains névralgiques.
N’oublions pas que Damas est pareillement une ville en état de siège où plusieurs enclaves wahhabites poursuivent la lutte à moins de deux kilomètres du centre et des quartiers d’affaires. Jobar qui jouxte le quartier chrétien, est le théâtre de combats quotidiens, les takfiristes retranchés dans un labyrinthe de tunnels à couches multiples – de huit à quinze étages courant sous cette partie de la cité – livrent bataille sans répit dans les ruines d’une ville fantôme. Chaque nuit, et souvent le jour, Damas retentit des coups sourds de l’artillerie, dont la fréquence informe de l’intensité des combats. Au demeurant la vie se poursuit et les sept millions d’habitants de Damas continuent à vaquer à leurs activité dans une impressionnante indifférence.
Cependant si l’on resitue les attentats de Paris, indépendamment des revers de Daech dans la région d’Alep, dans la série plus longue des attaques terroristes perpétrées depuis le début de l’année, l’on voit aisément qu’il ne s’agit pas seulement de desserrer l’étau qui commence à broyer les forces djihadistes. Mais bel et bien d’une guerre d’un nouveau type, conçue et mise en œuvre par des stratèges de la terreur et planificateurs de haut vol. Car si meurtrir Lattaquié et Beyrouth peut se concevoir dans le contexte régional de la guerre, l’on ne voit pas bien pourquoi il fallait attraire Paris !? La réponse ne s’est en effet pas faite attendre et l’unique porte-aéronefs français le Charles de Gaulle, sorti de sa paresseuse torpeur, s’est enfin décidé à appareiller en direction de la Méditerranée orientale. Bref, dans la logique de conquête de l’ÉI, porter le fer et le feu en Europe hors et loin de l’Irak, du Yémen et du front syro-libanais, comporte quelque chose d’irrationnel, d’incohérent. Nous avons là par conséquent une autre zone d’obscurité qu’il convient a minima de signaler. Quel était l’intérêt de frapper Paris ? Question élémentaire, simpliste, mais en vérité essentielle.
Daech Golem occidentaliste
Outre les soutiens logistique occidentaux et les livraison d’armes, qui sont amplement documentés, il faut souligner que les revenus de Daech – l’argent étant le nerf de la guerre - sont principalement assurés par des ventes de pétrole via la Turquie, pilier oriental de l’Otan. C’est donc avec le concours du gouvernement de M. Erdogan que sont rendus possibles les exportations de brut de l’ÉI. Un commerce lucratif - un million de $/jour - sans lequel la guerre n’aurait pu se prolonger si longtemps. Ankara et l’Otan ne peuvent évidemment ignorer le transit de ces hydrocarbures à travers le territoire turc, il apparaît ici que l’un des membres éminent de l’Alliance atlantique, est conjointement l’un des commanditaires directs de la guerre terroriste. Les pays les plus riches de la planète, le G20, réuni à Antalya, en Turquie, ne viennent-ils pas de révéler que 40 États, et non des moindres, soutiennent financièrement Daech… parmi lesquels l’Arabie et la Turquie.
Alors peut-être conviendrait-il que les nations accordent leurs violons et instaurent une réelle discipline internationale. Qu’elles renoncent pour un temps aux excès du double, voire du triple langage et réintroduisent un zeste de morale en politique. Faute de quoi, malgré le rapprochement sensible des présidents Obama et Poutine, malgré les revirements qui se dessinent relatifs au maintien ou au départ d’el-Assad de la présidence syrienne, il faudra désormais admettre que les attentats de Paris s’inscrivent dans une véritable logique de guerre civile intercommunautaire. Logique alimentée par des vagues migratoires qui sont elles-mêmes autant d’actes de guerre et au sein desquelles se sont glissés quelques milliers de candidats au martyr. Têtes brûlées et têtes fêlées gavées de Captagon qui croient accéder au paradis alors qu’elles ne sont que les soldats sacrifiés de la nouvelle Révolution mondialiste. Celle qui prévoit, selon un haut fonctionnaire des Nations Unies en poste à Beyrouth - information recueillie à la bouche du cheval - le démantèlement programmé de l’Irak, de la Syrie, du Yémen et… de l’Arabie séoudite.