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La finance de l’ombre : le hors bilan bancaire

vendredi 20 septembre 2019

L’application des règles prudentielles et la conjoncture sévèrement dégradée obligent les banques à s’engager sur le chemin d’une véritable sélectivité du crédit. Autrement dit, les établissements financiers sont davantage à la recherche de certitudes concernant des contreparties que dans une simple logique de resserrement du crédit souvent nommé le » credit-crunch « .
Dans ce contexte, les banques demeurent des sociétés commerciales dans lesquelles le hors-bilan existe. Rappelons qu’un engagement hors-bilan enregistre des droits et obligations susceptibles de modifier le montant ou la consistance du patrimoine de l’entité considéré. Telle est la définition de l’article 448/80 du Plan Comptable Général. Typiquement un engagement hors-bilan correspond, par exemple, aux engagements pris en matière de pensions et obligations similaires : voir le cas impressionnant de cette question à la SNCF soumise à la norme IAS 19.

Le hors bilan assure le suivi comptable des activités qui n’impliquent pas un décaissement ou un encaissement de la part d’une entreprise ou d’une banque mais qui fait courir à celle-ci un certain nombre de risques. Il s’agit régulièrement de contrats en cours d’exécution qui n’ont pas fait l’objet d’un paiement. Les activités enregistrées dans le hors bilan bancaire sont pour l’essentiel les engagements par signature, les opérations de change et les opérations sur dérivés.

Les banques demeurent des sociétés commerciales dans lesquelles le hors-bilan existe

S’agissant des banques, la situation nous semble préoccupante au regard d’une notion cardinale nommée : l’image fidèle. Dans bien des cas, le hors-bilan est une sorte de grenier mal rangé que l’on prend pour un attique sans grande importance alors que son poids, en position faîtière, peut menacer l’édifice.

Crédit Bail

Sans prétendre à la moindre exhaustivité, rappelons que les opérations de crédit-bail sont enregistrées en hors-bilan alors même que l’accélération du rythme des défaillances d’entreprises soulignée par une récente étude de la COFACE renforce donc le risque inhérent à ce produit fort répandu. De fait, le hors-bilan le plus fréquent est celui dans lequel un établissement apporte sa garantie aux obligations d’un tiers et répond donc du risque qui en découle. Concrètement, cela signifie que la défaillance d’un client garanti induit une perte immédiate ou – autre solution palliative – induit l’acquisition, par la banque, d’une créance de qualité inférieure qui impacte alors son contenu bilanciel. C’est ce type de mécanisme itératif risqué qui a expliqué pour partie l’accélération de la dépréciation d’actifs de la banque Bankia dont les besoins de liquidité sont passés de 5 à 20 milliards en moins de trois semaines ( avant sa nationalisation ). Ainsi, par les montants engagés, le hors-bilan est un mécanisme redoutable puisqu’en cas de sinistre, les règles en vigueur obligent à effectuer des dépréciations d’actifs.

Cession d’actifs

De même, peu d’observateurs ont l’œil attiré par les » opérations passibles de recours « . Celles-ci concernent les cas de figures dans lesquels une banque décide de céder un prêt ( ou un actif quelconque ) à un tiers mais demeure dans l’obligation d’assumer le risque de crédit dans l’hypothèse d’une défaillance de l’emprunteur ou dans l’hypothèse ( conjoncturellement crédible ) de détérioration de la valeur de l’actif considéré. Ce genre de pratique de cession d’actifs passibles de recours est d’usage qualifiable de courant : chacun mesure aisément les risques encourus.

Garantie à première demande

Plus connue, la » garantie à première demande » est aussi un élément du hors-bilan. Elle consiste à voir la banque souscrire une obligation envers un bénéficiaire identifié et d’exécuter les conditions de dédommagement prévues au contrat dans le cas où le client de la banque ne serait plus en état d’y procéder. Ce type de contrat peut concerner des livraison de marchandises, l’exécution d’un contrat de construction ( voir, là encore, le risque systémique espagnol toujours vivace selon notre analyse ), etc.

Conventions de ducroire

Pour leurs grands comptes, les établissements financiers acceptent régulièrement de signer des » conventions de ducroire « , c’est à dire qu’ils jouent le rôle du commissionnaire qui se porte ducroire donc pleinement garant de la solvabilité des personnes avec lesquelles ils traitent. Ils garantissent ainsi, in concreto, le paiement des marchandises fournies. Si l’on songe aux sinistres du volailler Doux, d’Heuliez, de Virgin ou des risques chez des sous-traitants de Peugeot, il est loyal et aisé de comprendre que ces instruments de confiance – inscrits au hors-bilan – peuvent devenir des mines dérivantes pour la sécurité du navire amiral lui-même.

Swaps de devises et de taux d’intérêt

Pour aller plus loin, il faut entrer un peu plus dans la technique d’un autre type d’opérations bancaires et aborder la question des swaps de devises et de taux d’intérêt. Lors d’un swap de devises, deux entités considérées prennent l’engagement d’échanger des mouvements de fonds. Ceci est généralement exprimé dans des devises différentes mais de même valeur nette lors de la signature du contrat. Lors d’un swap de type » plain vanilla » ( swap de taux d’intérêt classique ) les deux entités conviennent de s’échanger les paiements des intérêts ( et parfois d’une fraction du principal ) liés au même montant de dette ayant même échéance et similitude de dates de règlement. L’une des parties devant honorer le paiement à taux d’intérêt fixe et l’autre devant assurer des paiements à taux variable. Et réciproquement. Le swap de base ( de type swap à taux variable reposant sur plusieurs indices comme le taux débiteur de base contre LIBOR ) et des swaps combinant taux d’intérêt et devises ( dits » swaps CIRCUS » ) sont fréquents. Qu’en déduire ? Tout simplement l’importance volumique de ces échanges et le rôle pivot des banques qui assurent souvent un rôle d’intermédiaire entre les entités qui concourent à de telles opérations. Dans la plupart des cas, le rôle des établissements financiers est de garantir chaque principal d’une éventuelle défaillance de l’autre. Parfois, ils sont directement placés en rôle de principal entre les deux acteurs économiques unit par cette opération de swap et signent alors des engagements contractuels avec chacun d’entre eux. Comme le lecteur l’aura clairement appréhendé, les risques que courent les établissements viennent de leurs prises de positions lors de tels swaps et de la défaillance toujours possible d’une des contreparties qui les exposerait alors à un risque sérieux imprévu de taux d’intérêt ou de change pendant la durée du swap.

Cet exemple un peu détaillé rapporte la dimension des enjeux du hors-bilan qui nourrit notre inquiétude face à la prévention du risque systémique où nous espérions une supervision bancaire d’ambition c’est à dire relevant bien davantage de la BCE que des régulateurs nationaux ( chypriote ? ). L’Union européenne a cédé face à un groupe de lobbies en ne confiant que moins de 300 établissements au contrôle de la BCE sur les 6.000 ( ndlr : six mille…) que compte la zone. C’est un compromis dans lequel l’Allemagne a davantage pensé à certains de ses établissements régionaux qu’à un véritable avenir et c’est objectivement aussi surprenant que regrettable.

D’ailleurs, pour conclure – sans verser dans un pot de peinture noire intense – il faut laisser la parole à un éminent connaisseur de la pratique comptable bancaire qui écrivait :

„Une activité notable du banquier est la prise ou réception d’engagements significatifs ( opérations de hors-bilan ) sans qu’il y ait transfert de fonds. Il peut en découler que ces engagements ne génèrent pas d’écritures comptables dans les systèmes généraux. La non-prise en compte de ces éléments peut être difficile à déceler. “

Jean-Luc Siruguet, » Le contrôle comptable bancaire « . ( Revue Banque Edition : page 86 ).

Ayant eu l’opportunité d’exercer un peu plus de dix ans les fonctions de commissaire aux comptes, je ne peux que valider, par mémoire, la pertinence de cette approche. Tout commerçant, à commencer par votre épicier de nuit, doit tenir une comptabilité exhaustive et universelle. Il est avéré que le hors-bilan bancaire peut, de facto, s’exonérer de cette légitime obligation. Comment ne pas imaginer des tentations ? Comment ne pas garder en mémoire les avertissements de Claude Bébéar sur certaines pratiques bancaires et sur leur échelle de risques ? Affaire à suivre, donc. Pour le meilleur voire pour le pire.

Jean-Yves Archer, Economiste

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