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Programme Common Core : la destruction de l’école

lundi 4 octobre 2021

L’ambitieux « Common Core State Standards » entend fournir un cadre éducatif plus égalitaire aux jeunes Américains. Mais son application est loin d’être acceptée par tous...

Ce que l’on nomme les Common Core State Standards (programme de base commun aux Etats américains) est au centre des débats aux Etats-Unis. Ces nouveaux programmes scolaires ont été élaborés à l’initiative de plusieurs gouverneurs afin de fournir un cadre éducatif plus clair et cohérent dans un paysage fortement inégalitaire et hétérogène. Ils sont inspirés des systèmes éducatifs les plus performants du monde et sont censés mieux préparer les étudiants à l’université et au monde du travail.

Annoncés en 2009 et introduit dès 2010, ces standards existent pour le moment en mathématiques et en anglais. Ils mettent en place un nouvel ensemble bien défini de compétences censées pallier la maîtrise fragmentée de connaissances indépendantes les unes des autres. Le common core introduit, par exemple, un enseignement plus progressif centré sur les élèves, obligeant ces derniers à analyser, expliquer et appliquer ce qu’ils ont appris et moins à simplement restituer des savoirs figés.
Une initiative très ambitieuse

Les standards du common core ont été adoptés par une large majorité d’États américains depuis 2010, exception faite de la Virginie, du Texas, de l’Alaska et du Nebraska (qui ne l’ont pas lancé à l’échelle de l’Etat) et du Minnesota (n’ayant mis en place que les mathématiques). L’initiative est donc gigantesque, avec 45 États et le district de Columbia qui doivent changer de programmes scolaires plus ou moins en même temps.

Parrainée par la National Governors Association et le Council of Chief State School Officers, ces nouvelles normes nationales ne sont cependant pas une initiative fédérale et, bien qu’elles précisent ce que les élèves doivent apprendre dans chaque classe, les progressions et programmations, ainsi que les manuels scolaires (très importants aux Etats-Unis) sont des décisions laissées à l’initiative de chaque district. Ces derniers ont donc d’énormes nouveaux besoins en matériel didactique et pédagogique. D’ailleurs, nombreux sont, ces dernières années, les manuels et livres qui se disent « alignés » sur les nouveaux programmes (common core aligned)... tout en l’étant plus ou moins. La différence dans la qualité du matériel proposé pose souvent un premier problème à l’implantation de ces nouveaux programmes en raison de la faible qualité des ressources offertes (et de l’inexistence jusqu`à présent des tests adéquats), voire de leur lien avec une faible performance des élèves.
Un réel challenge pour les élèves et les districts scolaires

Les nouveaux programmes sont en effet plus difficiles que la plupart des anciens programmes en vigueur (ces standards étant différents dans chaque Etat américain). L’Etat de New York et le Kentucky ont ainsi déjà découvert en 2013 que des proportions surprenantes de leurs élèves n’étaient pas au niveau attendu.

De plus, les enseignants se sentent souvent peu accompagnés et dépassés par le volume très dense d’informations souvent contradictoires existantes sur le common core. Il suffit de regarder les débats sur les réseaux sociaux, que ce soit Twitter (#CCSS ou #CommonCore), Pinterest ou sur un site tel que Edutopia. La mise en œuvre de ces nouveaux programmes est en effet loin d’être efficace sur le terrain. Le fait que la « conduite du changement » d’un projet aussi ambitieux ait été menée de piètre façon dans bien des districts scolaires a joué en défaveur du common core. Beaucoup d’Etats et de districts scolaires ont attendu le dernier moment afin de passer au nouveaux programmes, avec des budgets limités, sans réellement former les enseignants, mais aussi en exigeant que ces derniers fassent passer les fameux tests standardisés la même année (avec donc des résultats en baisse et une partie des fonds publics, fédéraux notamment, dépendants de ces mêmes résultats).

A l’inverse, les districts les plus performants ont systématiquement évalué la réussite de leurs interventions en travaillant au niveau individuel, au niveau des établissements et de celui du district. Ils ont commencé une transition graduelle aux nouveaux standards sur plusieurs années (dès 2010) avec pour chaque année une nouvelle matière et/ou niveau et ont largement accompagné les équipes enseignantes. Inversement, certains Etats américains ont déjà abandonné le passage au common core et reviennent à leurs anciens programmes, pourtant largement moins ambitieux.

Un recul de la part des Etats et un débat animé

Débats et controverses se poursuivent donc aux Etats-Unis. Certains partisans des nouveaux programmes soutiennent l’approche qui consiste à donner un ensemble commun rigoureux de normes éducatives permettant de maintenir les Etats-Unis à niveau dans un monde globalisé, tandis que les opposants reprochent aux programmes d’être expérimentaux, trop normatifs (one size fits all) et de ne pas laisser assez de place aux initiatives locales. Perdus dans ce débat dorénavant très dur, beaucoup d’Américains hésitent à soutenir cette initiative et ne comprennent pas les enjeux du projet.

Dans ce cadre, de plus en plus d’opposants parviennent à retarder la mise en œuvre du common core tout simplement en bloquant les nouvelles dépenses publiques pour le matériel pédagogiques et les tests standardisés alignés sur ces programmes. Les législateurs du Michigan, de Pennsylvanie et de l’Indiana ont été ainsi en mesure de bloquer ou de retarder le financement des programmes liés au common core. Et s’il n’y a pas de financement, il n’y a pas mise en œuvre car les enseignants n’ont pas de formation ou de manuel scolaire, et donc ne savent pas quoi enseigner.

De grands enjeux transposables en France

En fait, les débats américains autour du common core nous ramènent à nos propres discussions autour des programmes français. Fortement marqués idéologiquement, changeants tous les 6 à 7 ans, ces programmes et les débats qui les entourent illustrent notre manque de consensus concernant les objectifs de notre système éducatif. Ce dernier doit-il former des citoyens, des travailleurs, des individus libres, sélectionner les meilleurs ou assurer « l’excellence pour tous », être équitable ou égalitaire ? Les initiatives locales et les équipes éducatives doivent aussi, comme aux Etats-Unis, trouver leur place face aux impulsions nationales. En outre, on peut se demander comment, en tant que société, nous pouvons parvenir à un consensus sur ce qui est essentiel ? Quel niveau de détail devrait exprimer ce que les élèves doivent comprendre et être en mesure de faire ?

La mise en œuvre des programmes est aussi un domaine trop souvent négligé en France comme on a pu le voir avec la mise en place du socle commun de connaissances et de compétences à partir de 2006. La place laissée à l’expérimentation en France est aussi généralement trop faible, tout comme celle de la mesure de la performance de notre système. Enfin, il est important de se demander qui doit rédiger les programmes ? Seulement des experts éducatifs ou également des enseignants, des membres de la société civile, voire du monde de l’entreprise ? Cette question renvoie encore au consensus qui reste à créer en ce qui concerne l’équilibre nécessaire entre la formation personnelle, citoyenne et professionnelle dans notre système éducatif. En France comme aux Etats-Unis, définir les grands objectifs des systèmes éducatifs semble donc de plus en plus difficile pour des Etats aux budgets contraints évoluant dans un monde globalisé et des démocraties en crise.

La Tribune

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