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Désindustrialisation de la France : du déni au constat, les dogmes contre la raison

jeudi 10 janvier 2019

Le député Max Roustan résume ainsi son rapport parlementaire de 2004 sur la désindustrialisation : « Si la désindustrialisation du territoire français est un mythe, l’accélération des mutations économiques est indéniable au point de déborder les capacités d’adaptation de la société française ».

Selon Max Roustan, qui reprend l’opinion générale de ces dernières années, la désindustrialisation du territoire français relèverait non pas d’une réalité tangible mais d’un mythe perçu par la base de la population déboussolée par le rythme trop rapide des mutations technologiques.
L’année suivante le Ministère du Travail reprend la même antienne et le journal l’Expansion titre « La désindustrialisation serait largement un fantasme ».

Mythe, fantasme, certitude bien ancrée à propos de la désindustrialisation quand tout récemment, en février 2010, un rapport de la DGTPE ( la direction Générale du Trésor et de la Politique Économique) vint jeter un pavé dans la mare : selon ce rapport l’industrie aurait perdu 2 millions d’emplois en trente ans et les emplois de production n’auraient pas été transférés vers les activités de service comme on l’affirmait jusqu’alors.
Ce changement de ton inspiré par l’autorité politique marque indéniablement un recadrage d’un discours officiel ressenti par la population comme en décalage par rapport aux réalités économiques quotidiennes.

Mais ce rapport est-il plus fiable que les précédents, lesquels étaient eux-mêmes déjà inspirés par des considérations politiciennes ?

Pour y voir clair, il nous fallait disposer d’un indicateur de l’activité industrielle, un instrument de mesure, dont l’objectivité ne puisse faire l’objet d’aucune suspicion. Cet instrument chiffré, nous est fourni par Georges Duréault, un grand patron du secteur de la production française qui a dressé un état de la consommation de machines-outils en France entre 2000 et 2007. Il s’avère que cette consommation est un reflet parfaitement exact de l’évolution de la production industrielle puisque, pour produire, il faut précisément des machines-outils de production.

Écoutons Georges Duréault commenter ces chiffres :
« Les chiffres sont effrayants, c’est la consommation du pays en machines-outils qui est représentative de toutes les industries mécaniques, au sens large : cette consommation a baissé de plus de 30% entre 2000 et 2007 et représente aujourd’hui 20 % de la consommation allemande et un tiers de la consommation italienne ! Quand on connaît l’importance chez nous, de l’automobile, de la construction aéronautique et de leurs sous-traitants, on conçoit aisément ce qui reste pour l’industrie mécanique proprement dite, et particulièrement l’industrie des biens d’équipement ».

On ajoutera à ce constat accablant que, parmi les cinq pays et à l’exception de l’Espagne quasi stable, la France est la seule à régresser dans un fort volume alors que les autres progressent. L’effondrement industriel de la France se dessine comme une réalité.

A l’encontre de la lecture de Georges Fréault, on pourrait objecter que si la France a bien vu sa production industrielle chuter, c’est parce qu’elle a sous-traité davantage les tâches de fabrication à l’étranger pour conserver chez elle les activités de conception qui créent plus de valeur ajoutée. Nos ouvriers en col bleu auraient été remplacés par des ingénieurs en col blanc et la baisse de l’activité de production aurait ainsi été compensée par une croissance du secteur de l’ingénierie. Si cette hypothèse était confirmée, on verrait alors la position de la France se renforcer dans l’innovation technique, pour laquelle le nombre de brevets déposés serait un indicateur tout aussi indiscutable que l’est la consommation de machines-outils pour la production.

Or il n’en est rien, bien au contraire la part de la France au sein de l’UE décline. L’extrait ci-après d’un rapport de la CPCI, la Commission Permanente de Concertation pour l’Industrie, est sur cette question sans appel :
« Les demandes de brevets constituent un des principaux indicateurs pour évaluer les performances technologiques et la capacité d’innovation d’un pays. Au sein de l’Union européenne, la position de la France en matière de brevets est légèrement mais clairement, en recul depuis le début des années 90 ».

La baisse de production n’a donc pas été compensée par l’innovation. Ce qui n’est pas une surprise pour ceux qui connaissent réellement l’industrie et qui savent qu’un bureau d’études ne peut améliorer les produits qu’en étroite concertation avec la production.

Si la réalité de la désindustrialisation n’est plus raisonnablement contestable, il reste à la mesurer précisément. Le grand Maurice Allais, le seul prix Nobel d’économie français (et sans aucun doute l’homme le plus censuré de France par les media officiels), a estimé l’ampleur de cette régression. Le pourcentage des emplois industriels dans la population active est passé de 28% à 14 % aujourd’hui, un facteur deux !

Document Maurice Allais

Dans le même temps les chiffres du chômage se sont envolés :

Document Maurice Allais (chiffres incluant l’emploi partiel et les radiés de Pôle Emploi)

Après avoir constaté que le processus de désindustrialisation commence en 1974 après avoir analysé plusieurs hypothèses, Maurice Allais conclut :
« Finalement, il ne subsiste qu’une seule cause qui ait pu avoir des conséquences aussi importantes et subites. C’est la modification, à partir de 1974 précisément de la politique de l’Organisation de Bruxelles qui, sous l’influence de la Grande Bretagne et des Etats-Unis, s’est délibérément orientée vers la libération mondialiste des échanges extérieurs. C’est à partir de ce moment que les courants économiques mondiaux se sont modifiés. Les effets de ce changement ont été aggravés par la dislocation du système monétaire international et l’instauration généralisée du système des taux de changes flottants. »

Et 1974, coïncide précisément avec le 7e cycle du GATT, le Tokyo Round, qui étendit les accords à 99 états membres et qui généralisa le dogme de l’ultralibéralisme.

Dans ce contexte, comment se fait-il que la France soit plus touchée que ses voisins européens, comme l’Allemagne, par la désindustrialisation ?

L’écart de compétitivité de la France par rapport à ses voisins résulte d’un taux record de prélèvements obligatoires comme en atteste le tableau ci-après :

Total des prélèvements en % du PIB en 2005 (source Wikipedia)

La France se situe juste en dessous de la Suède, qui n’a pas la même structure de population et les mêmes charges, et 10 points au-dessus de l’Allemagne.
Les prélèvements obligatoires français grèvent exagérément la valeur ajoutée par salarié, ôtent sa compétitivité à l’industrie française et dissuadent les investisseurs industriels de venir s’implanter en France :

Frais de personnel sur Valeur Ajoutée
(en %- transports de marchandises source CNR)

Dans l’exemple ci-dessus, on constate l’énorme différentiel de 25 points entre la France et l’Allemagne, pays à structure pourtant comparable à la France. Comment dès lors, s’étonner des difficultés financières des entreprises françaises du secteur marchand ouvert au dogme de la « concurrence libre et non faussée » de Bruxelles ? Comment s’étonner aussi que les entreprises françaises ne soient pas poussées à se délocaliser sous la pression d’un tel handicap social et fiscal ?

Un des arguments des tenants de l’ultralibéralisme, serait que l’industrie française réussirait mieux dans les secteurs de haute technologie où le facteur coût de production peut être compensé par des infrastructures plus développées, des personnels mieux formés et plus qualifiés ?
C’est avec ce dogme dit de la « modernisation » des années 80 que les zones industrielles du Nord de la France, où prospéraient les industries minières et textiles, furent transformées en de gigantesques friches stériles.

L’installation d’entreprises de pointe dans le Sud-Ouest était supposée compenser l’abandon des productions traditionnelles du Nord.
Quel en est le bilan aujourd’hui ?

  • Dans le secteur des hautes technologies et de la fabrication des semi-conducteurs, Freescale anciennement Motorola, installée à Toulouse, vient d’annoncer son départ vers des cieux plus cléments, qui mettront l’entreprise à l’abri de prélèvements obligatoires excessifs.
  • A la suite du Plan Power 8 initialisé par EADS, la filière de la sous-traitance aéronautique choisit désormais l’exode et s’installe dans la banlieue de Tunis sur la plate-forme de Ben Arous : Aerolia , Zodiac, Mecahers, Latécoère et autres sous-traitants de l’aéronautique ont opté pour l’avantage concurrentiel que leur offre gratuitement le soleil tunisien…
  • Dans l’ingénierie spatiale, la Commission européenne a confié à une société allemande la réalisation de quatorze satellites de navigation de la classe Galileo mettant hors jeu les entreprises toulousaines aux prix prohibitifs.
  • Dans l’électronique automobile, après la fermeture de Molex, c’est l’usine Continental de Toulouse qui entame un plan de « départs volontaires ».

La démonstration est faite, que ce qu’on a appelé les « avantages concurrentiels » ne permettent pas aux industries dites de pointe, de mieux résister à la concurrence que les autres, quand le seul objet de notre politique économique est de sur-taxer le travail local et de laisser grandes ouvertes nos frontières au nom du dogme ultra-libéral.

Parmi les quatre exemples cités plus haut, le premier est sans aucun doute le plus lourd de conséquences. En perdant la technologie de fonderie des semi-conducteurs, le Midi-Toulousain fait un bond en arrière d’un siècle et se retrouve peu ou prou à son niveau technique de 1910.

De 1974 à nos jours, soit trente-six années, leur aveuglement n’a conduit les dirigeants politiques français qu’à un déni du constat. Gageons que du dogme à la raison, il leur faudra au moins tout autant de temps.

En guise de conclusion, et pour dresser le cadre d’un renouveau économique dont le besoin est devenu impérieux, laissons la parole au grand Maurice Allais :

«  Une mondialisation généralisée des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires très différents aux cours des changes ne peut qu’entraîner finalement partout dans les pays développés : chômage, réduction de la croissance, inégalités, misères de toutes sortes. Elle n’est ni inévitable, ni nécessaire, ni souhaitable.[…] Une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, et elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés et de développement économique et social comparable.[…] Il est nécessaire de réviser sans délai les Traités fondateurs de l’Union Européenne, tout particulièrement quant à l’instauration indispensable d’une préférence communautaire.[…] Il faut de toute nécessité remettre en cause et repenser les principes des politiques mondialistes mises en œuvre par les institutions internationales, tout particulièrement par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). »

La Rédaction Geopolintel

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