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Règlement de comptes après le limogeage du directeur du renseignement militaire

samedi 7 mai 2022

Affaire Aukus, Mali, Ukraine… L’éviction du chef de la Direction du renseignement militaire, le général Éric Vidaud, soulève la question du traitement de l’anticipation des crises.

Le général Éric Vidaud, directeur du renseignement militaire depuis le 1er septembre 2021, aura connu le règne le plus court – sept mois seulement – sur cette institution créée en 1992. Aux lendemains de la guerre du Golfe, François Mitterrand avait jugé que la France n’était pas assez autonome dans sa capacité de récolte d’informations tactiques et stratégiques. Depuis, la DRM a connu neuf commandants. Son budget avoisine aujourd’hui les 110 millions d’euros pour 2 100 agents.

La majorité de ses directeurs avaient jusqu’en 2017 une expérience de la collecte du renseignement, en étant passés par exemple par la DGSE, également rattachée au ministère de la Défense, tout du moins budgétairement et juridiquement. Mais ce n’était pas le cas pour les deux derniers DRM : le général Jean-François Ferlet, nommé en 2017, venait de l’armée de l’air et du Centre de planification et de conduite des opérations de l’état-major (CPCO). L’homme n’avait pas fait de miracles à ce poste ; certains lui reprochent même d’avoir démantelé une partie du réseau d’anticipation stratégique de la DRM.

Manque d’acuité des services

Quant à Éric Vidaud, très honorable commandant des opérations spéciales et «  officier de grande qualité  », «  il n’était pas le mieux placé  », selon les mots du chef d’état-major des armées, le général Burkhard, pour mener «  la réforme d’ampleur  » à venir de la DRM afin d’accentuer sa capacité à «  gagner la guerre avant la guerre  » par la qualité de son renseignement d’anticipation des crises.

« Faire porter le chapeau à la DRM, ça ne manque pas d’humour vu que l’anticipation des crises est à la charge de la DGSE »

Selon nos confrères de L’Opinion , le général Vidaud paierait son limogeage pour le manque d’acuité de ses services dans la perception des intentions de l’armée russe massée sur la frontière ukrainienne entre novembre dernier et février. «  Faire porter le chapeau à la DRM, ça ne manque pas d’humour vu que l’anticipation des crises est à la charge de la DGSE  », ironise froidement un familier des deux maisons.

Mais, au quartier général du renseignement extérieur, dirigé par le diplomate Bernard Émié, on se refuse à porter le chapeau de la défaillance sur la prévisibilité de l’attaque russe en Ukraine . «  On nous reproche de ne pas avoir vu venir la guerre en Ukraine, mais nous ne sommes pas dans la tête de Vladimir Poutine, plaidait le mois dernier une source du renseignement extérieur. Sur le moment, nous ne savions pas qu’il allait attaquer, tout comme les Allemands ou les Britanniques. Ou pas moins que la Chine, qui n’avait pas songé une seconde à évacuer ses ressortissants.  »

Deviner les intentions

C’est là que le débat sur les questions d’intentionnalité entre en jeu, et, avec elle, la répartition des missions entre services. Exemple avec la Crimée en 2014 : la ­Russie allait-elle l’envahir militairement ? «  Sous mon commandement, j’avais demandé qu’on supprime le plus possible de conditionnel dans nos analyses pour qu’on se mouille davantage en étant plus affirmatifs, nous confie le DRM de l’époque, le général Christophe Gomart. J’avais indiqué que les Russes n’attaqueraient pas car ils avaient peu de support logistique en deuxième ligne, peu d’hôpitaux de campagne, pas de forces légères en première ligne, et parce que les comités de mères de soldats témoignaient du peu de munitions dont disposaient leurs fils dans les exercices.  » Exact ? Oui. Cela ne voulait pas dire, selon lui, que les Russes ne déstabiliseraient pas l’Ukraine. Et c’est précisément ce qu’ils ont fait en prenant la ­Crimée, non pas massivement mais avec des commandos de guerre hybride très agiles.

Mais pour deviner les intentions politiques d’un dirigeant, les choses sont parfois bien plus compliquées qu’une photo satellite à décrypter. Ainsi pour les putschs au Mali ou pour la décision australienne de torpiller en septembre dernier le contrat des sous-marins français. Là aussi, la DRM laisse entendre que ce n’est pas son rôle exclusif d’anticiper ces crises qui sont à la frontière du politique, de l’économique et du militaire. La DGSE, elle, indique qu’elle s’est beaucoup investie dans la lutte contre le terrorisme au Levant et au Sahel et pour déjouer les menaces d’ingérence informationnelle des adversaires de la France. Selon elle, la DRM aurait tout de même été la mieux placée pour savoir ce qui se passait au sein des forces spéciales maliennes, vivier des putschistes de Bamako.

Pour Christophe Gomart, ces défaillances ne peuvent être corrigées à coups de limogeages ou de boucs émissaires. Cette réflexion devrait occuper au cours des prochaines semaines la plupart des titulaires des grandes directions du renseignement français qui arrivent en fin de mandat sous peu, et notamment leur coordinateur à l’Élysée, Laurent Nuñez. 

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