Emmanuel Macron annonce « 10 RER », à contre-courant des récentes prises de position de son gouvernement
Le chef de l’État a annoncé hier, sur YouTube, le lancement d’un projet de 10 RER dans les grandes métropoles. De nombreuses questions se posent maintenant sur le financement de ces projets, leur gouvernance et le calendrier de leur réalisation.
« Un super objectif ! ». C’est en usant d’un vocabulaire assez détendu (« Je suis à fond pour le train ! » ) qu’Emmanuel Macron, sur YouTube, a annoncé à la surprise générale – y compris celle de son gouvernement, apparemment pas au courant – la création de dix RER (réseaux de trains urbains) dans les années à venir. « Il faut qu’on se dote d’une grande ambition nationale : dans dix grandes agglomérations, développer un réseau de RER, de trains urbains. Le RER ce n’est pas que pour Paris. Dans les dix principales villes françaises, où il y a thrombose, où il y a trop de circulation, on doit se doter d’une vraie stratégie de transport urbain. »
« New deal ferroviaire »
Sur le fond, l’annonce ne peut que réjouir, en particulier dans un contexte où la mise en place des ZFE (zones à faibles émissions) fait craindre à beaucoup d’élus que l’accès des métropoles aux plus modestes, ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture électrique, devienne de plus en plus difficile, avec tous les risques sociaux que cela implique. L’une des réponses qui doit accompagner les ZFE devra nécessairement être le développement de transports collectifs efficaces.
D’ailleurs, tout récemment, les quinze présidents de région avaient demandé, dans une tribune de presse intitulée Pour un new deal ferroviaire, un plan de 100 milliards d’euros sur dix ans, cofinancés par l’Europe, l’État, les régions et la SNCF, afin de « créer un choc d’offre de transport, remettre à niveau le réseau existant et le moderniser dans les territoires ruraux comme dans les villes, construire les nouveaux RER métropolitains ».
L’annonce du chef de l’État apparaît donc comme une réponse positive à cette demande, même s’il n’a donné, dans son intervention, ni calendrier ni indications sur le financement. Dans la foulée de ces déclarations, l’Élysée a précisé à la presse qu’il reste « à sélectionner les métropoles, les tracés et la répartition des financements entre l’Etat, les régions et les opérateurs ».
Du côté des élus des grandes villes, l’heure est plutôt à la satisfaction, même si quelques-uns d’entre eux signalent qu’ils auraient apprécié d’être consultés avant une annonce qui les concerne au premier chef. À Rennes, Grenoble, Marseille, Lyon, les élus ont toutefois réagi de façon très positive, notamment sur twitter, à l’annonce du président, se disant « prêts ».
Les régions surprises
L’annonce a toutefois surpris les élus régionaux, à commencer par la présidente de Régions de France, Carole Delga, qui indiquait hier avoir appris cette intention dans la presse, le ministre des Transports, qu’elle a rencontré « récemment », ne lui en ayant pas parlé. D’autres présidents de région, dont celle d’Île-de-France, Valérie Pécresse, jugent cette annonce « décalée », estimant qu’avant de faire des annonces pour dans dix ans, il conviendrait d’aider les autorités organisatrices à boucler leur budget pour 2023.
Rappelons en effet que les autorités organisatrices des métropoles prennent elles aussi de plein fouet la hausse des prix de l’énergie. Ainsi, pendant le congrès des maires, Sylvain Laval, co-président de la commission transport de l’AMF et vice-président Grenoble Alpes métropole chargé des transports, expliquait à Maire info : « Je vais avoir 13 millions d’euros de plus sur la facture énergétique en 2023. C’est une somme qu’à ce jour je ne sais pas absorber, ni pour la société de transport ni pour ses actionnaires publics » (voir l’interview en vidéo).
Une des questions qui se pose, aujourd’hui, est d’ailleurs de savoir qui sera responsable de ces futurs RER métropolitains. En Île-de-France, les choses sont simples, puisque l’autorité organisatrice de tous les transports, dans toutes les communes, est la région, à travers la structure Île-de-France mobilités. Mais dans le reste du pays, les choses le sont un peu moins : les régions gèrent le transport ferroviaire régional (TER) et les agglomérations le transport urbain. Qui gèrera ces futurs RER, qui seront à la fois des transports urbains et des TER ? Les régions ? Les agglos ? Les deux ? Il faudra des réponses rapides du gouvernement sur ces questions.
Quels financements ?
La question du financement va également se poser très rapidement. Selon une estimation rapide faite, hier, par un membre du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), la facture de ces dix RER pourrait s’élever à une trentaine de milliards. Or le 7 octobre dernier, dans une lettre de cadrage envoyé au COI, le ministre chargé des Transports, Clément Beaune, enjoignait celui-ci à ne pas dépasser, dans la liste des projets prioritaires qu’il est en train de préparer, la trajectoire budgétaire prévue dans la loi d’orientation des mobilités, soit 17,5 milliards sur cinq ans.
Plus surprenant encore : tout récemment, dans le cadre de la discussion sur le projet de budget pour 2023, l’opposition avait fait adopter un amendement augmentant de 3 milliards d’euros le budget alloué au ferroviaire. Dans la version que le gouvernement a fait adopter via le 49-3, le gouvernement a fait sauter cet amendement.
Et l’on ne parle ici que des financements de l’État. Quelle sera la part de financement qui sera laissée aux collectivités (et auxquelles d’entre elles) ? Celles-ci auront-elles les marges de manœuvre financières, à un moment où les associations qui composent Territoires unis (AMF, Régions de France et ADF) alertent sur « le risque d’une chute historique de l’investissement public » ?
La décision de créer ces nouveaux réseaux, même si elle ressemble à un virage à 180° de l’exécutif, est incontestablement une bonne nouvelle pour les agglomérations. Mais le gouvernement doit maintenant, rapidement, la concrétiser par des annonces plus précises qu’une simple déclaration sur YouTube, fût-elle une déclaration présidentielle. Quand on regarde le temps qu’a pris la mise en œuvre du réseau Grand Paris express, dont certaines lignes n’ouvriront qu’en 2032 au mieux, on se dit qu’il y a urgence à décider, et à décider vite.