Goldman Sachs prédit le nombre affolant d’emplois menacés par l’IA
Les emplois juridiques, administratifs, ainsi que les téléconseillers risquent gros depuis l’arrivée de ChatGPT. Goldman Sachs affirme qu’en tout, l’IA pourrait faire disparaître pratiquement deux tiers des emplois actuels.
Plus largement toutes les activités qui peuvent bénéficier d’un certain degré d’automatisation jouent en ce moment leur avenir – ce qui inclut, c’est une nouveauté, des métiers très qualifiés.
L’IA menace des emplois, mais devrait aussi booster le PIB mondial
L’étude de Goldman Sachs ne dit toutefois pas à quel rythme ces technologies vont vraiment détruire des emplois. Les candidats spécialisés en IA ne sont pas encore en nombre suffisant sur le marché. Les entreprises qui risquent le plus de changer avec ces technologies n’ont par ailleurs pas toutes (encore ?) adopté l’IA générative en interne.
Même si on commence très clairement à constater la diffusion de ces technologies dans les grands cabinets d’avocats, ou compagnies d’assurances. Dès qu’il s’agit de traiter une grande quantité de données et de donner un diagnostic en se basant sur des règles réglementaires, les modèles d’IA actuels excellent déjà à délivrer des réponses beaucoup plus rapidement (et moins cher) que du personnel humain qualifié.
L’étude de Goldman Sachs n’est pas la seule à tirer les mêmes conclusions sur l’impact des intelligences artificielles. Une étude de OpenAI et de l’université de Pennsylvanie révélait récemment que 80 % des employés américains pourraient voir au moins 10 % de leurs tâches remplacées par de l’IA générative. Dans 19 % des cas, l’IA pourrait remplacer plus de la moitié de leurs tâches.
Plus largement, l’arrivée de ces nouvelles IA a de quoi faire penser à l’avènement des précédentes révolutions industrielles. Avec plusieurs différences majeures. D’abord, c’est la première vraie révolution industrielle de l’ère d’internet. Ensuite, elle est la première à menacer des emplois qualifiés, historiquement moins en situation de danger face à l’arrivée de changements majeurs.
On note toutefois que chaque grande révolution de ce type a historiquement soulevé des inquiétudes. Et, effectivement, chacune des révolutions industrielles a fait disparaître des emplois. Mais en relativement peu de temps les emplois se sont adaptés et ont changé, au point que, finalement, aucune de ces grandes innovations n’a jusqu’ici débouché sur de vraies catastrophes… en tout cas sur le temps long…
Goldman Sachs révèle d’ailleurs que ces technologies devraient aussi créer de nouveaux métiers et tirer l’économie vers le haut. Le PIB mondial annuel pourrait ainsi progresser jusqu’à 7% grâce à l’IA. De nouveaux emplois commencent et devraient continuer à apparaître en même temps que les destructions. Nos confrères de Les Echos évoquent notamment le poste “d’ingénieur d’assistance”, qui consiste à tester les chatbot IA avec du texte plutôt que du code.
« L’envers des mots » : Algocratie
Formé de algo, apocope d’algorithme, et du suffixe -cratie (qui vient du grec kratos, le pouvoir), algocratie est un terme qui émerge depuis quelques années pour désigner le nouveau système politique dans lequel nous serions entrés.
Un système dans lequel les algorithmes – les étapes élémentaires des calculs utilisés pour résoudre un problème, comme répondre à une requête sur un moteur de recherche – influencent et font partie du processus de prise de décision dans divers secteurs. Dans la vie politique, économique et sociale de la société, elles pourraient même préempter de manière automatique un pouvoir jadis propriété du peuple en démocratie.
Ce terme est ainsi le titre de trois ouvrages publiés entre 2020 et 2023 : Résister à l’algocratie. Rester humain dans nos métiers et dans nos vies de Vincent Magos ; Algocratie. Vivre libre à l’heure des algorithmes de Arthur Grimonpont ; Algocratie. Allons-nous donner le pouvoir aux algorithmes ? de Hugues Bersini.
Algocratie et démocratie
L’algocratie est-elle en passe de remplacer la démocratie ? De plus en plus de domaines régaliens, démocratiques sont pénétrés par les algorithmes : filtrage et tri sur les réseaux sociaux, aide à la décision (justice, santé…), sélection à l’université, analyse prédictive (police, assurance…). Dès lors, nombreux sont ceux qui estiment qu’il existe un danger de dépossession du pouvoir du peuple, le « demos » de la démocratie, au profit de ces algorithmes.
L’économie mondiale fonctionne par exemple largement sur des algorithmes financiers. À titre d’exemple, le premier gestionnaire d’actifs mondial, le fond américain BlackRock, utilise notamment l’intelligence artificielle Aladdin, outil d’investissement capable d’évaluer les risques financiers et qui a contrôlé jusqu’à 20 000 milliards de dollars d’actifs financiers.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale utilise quotidiennement les réseaux sociaux sur lesquels des algorithmes de recommandation ajustent le contenu proposé aux préférences des utilisateurs et façonnent ainsi leurs représentations du monde. Il arrive qu’ils échappent aux volontés de leurs créateurs. De par leur fonctionnement qui valorise les réactions générées et sans être la volonté explicite de leurs créateurs, ceux-ci privilégient par exemple la diffusion des fake news.
Un nouveau monde institutionnel
L’algocratie serait ainsi un monde institutionnel où ces grandes entreprises transnationales participant à cette forme de régulation algorithmique prennent de plus en plus d’importance.
Néanmoins, employer le terme d’algocratie nous éloigne de la responsabilité. En réalité, dans une algocratie, si le pouvoir change, ce n’est pas pour aller du peuple vers les algorithmes. Les algorithmes matérialisent des relations de pouvoir et servent des volontés – politiques, économiques, idéologiques – bien humaines.
Loin d’être une fatalité ou une évidence, le développement de ce qui pourrait s’apparenter à une « algocratie » répond donc à des choix politiques et à la mise en avant de ce que la chercheuse en philosophie du droit Antoinette Rouvroy appelle une « rationalité algorithmique ».
Ce sont des choix politiques et techniques d’un mode poussé de gouvernement par les nombres, faisant craindre qu’une algocratie soit en réalité un nouveau genre de « société de contrôle ».
Mythe et philosophie
L’algocratie s’inscrit dans une histoire philosophique et scientifique héritée de la philosophie des Lumières et de la révolution scientifique du XVIIIe siècle qui ont érigé la rationalité en culte.
De ce point de vue, l’aboutissement d’une certaine idée de la rationalité s’incarne dans cette « gouvernementalité algorithmique » synonyme d’algocratie. D’autant que, comme le dit l’universitaire et juriste Alain Supiot, nous pensons que gouverner et exercer le pouvoir sont une seule et même chose, que le pouvoir devrait être fondé sur une connaissance scientifique de l’individu et donc « impersonnel ». Cela expliquerait la diffusion d’une « gouvernance par les nombres » où tout, y compris la loi, devient l’objet d’un calcul.
L’idée d’une algocratie vient ainsi d’un mythe, celui du caractère infaillible de la technique face à la faillibilité de l’individu. L’algocratie ne considère plus une société comme étant un ensemble mais comme n’était plus que des groupes d’individus, des atomes.