Un gène peut-il faire l’objet d’un brevet ? Le débat est en train d’occuper un sous-comité du Sénat américain spécialisé dans la propriété intellectuelle. Sa juridiction inclut les lois encadrant les brevets. Comme l’a repéré Wired le 5 juin 2019, le comité est chargé d’évaluer une nouvelle proposition de loi qui va à l’encontre d’une précédente décision de la Cour suprême américaine.
L’ébauche du projet de loi affirme qu’il n’est pas possible de décider de l’éligibilité d’une demande de brevet en utilisant des motifs comme des « idées abstraites » ou les « lois de la nature ». Le texte a été rédigé par les sénateurs Thom Tillis (Caroline du nord), républicain, et Christopher Coons (Delaware), démocrate. Le débat porte sur le fait de savoir si les gènes humains, en tant que produit de la nature, peuvent ou non faire l’objet d’une propriété intellectuelle.
La Cour suprême s’est déjà prononcée sur ce sujet.
En 2013, le cas de figure s’était présenté devant la Cour suprême des États-Unis. L’instance s’était unanimement prononcée afin d’interdire les brevets portant sur les gènes humains. La société Myriad Genetic, qui proposait des tests pour diagnostiquer le cancer, avait cherché à déposer un brevet sur deux gènes, BRCA1 et BRCA2, impliqués dans le développement du cancer du sein ou des ovaires. La cour avait néanmoins choisi d’octroyer une protection juridique au matériel génétique d’origine synthétique. Cette position d’équilibriste permettait de rassurer les scientifiques et patients, en essayant d’entraver le moins possible les innovations des entreprises dans ce domaine.
Que pourrait-il se passer si les débats, qui sont organisés lors de trois séances publiques à partir de cette semaine, donnent finalement raison aux sénateurs Thom Tillis et Christopher Coons ? La possibilité de déposer des brevets sur les gènes humains rendrait le travail de la communauté scientifique plus complexe. Les chercheurs pourraient s’exposer à des poursuites judiciaires, fait remarquer Wired. Une autre crainte porte sur le risque de dérives : si les gènes humains peuvent faire l’objet d’un brevet, sera-t-il possible de réclamer une propriété intellectuelle sur n’importe quoi d’autre ?
Ces inquiétudes s’opposent à celles des entreprises qui craignent de voir leurs innovations freinées dans le domaine de la génétique et jugent que les motifs pour refuser une demande de brevet ne sont pas suffisamment clairs.
Un obstacle pour développer des traitements
45 intervenants sont conviés à s’exprimer lors de ce débat. Parmi eux, se trouvent des experts du droit, d’anciens dirigeants du Bureau américain des brevets et des marques de commerce ou des associations professionnelles qui représentent des sociétés comme Amazon, Google ou Facebook. L’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) est également présente. Le 3 juin, elle a publié une lettre pour s’opposer à cette modification de la loi sur les brevets. L’union assure que le dépôt de brevet sur les gènes humains risque d’empêcher la communauté scientifique de découvrir de nouveaux traitements.
« Les gènes (…) ne devraient jamais être accordés à quelqu’un comme une propriété intellectuelle », insiste l’ACLU. « Notre proposition ne changerait pas la loi pour permettre à une entreprise de breveter un gène tel qu’il existe dans le corps humain », déclare Christoper Coons, cité par nos confrères. Le débat risque d’être animé au cours des audiences, dont la dernière aura lieu le 11 juin.