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Bernard Arnault a-t-il utilisé la police et les services secrets à des fins personnelles ?

vendredi 25 octobre 2024

L’histoire remonte à 2008, l’ancien patron de l’Office central de répression du banditisme, Charles Pellegrini s’est reconverti dans le conseil en gestion de risque. Depuis 1995, il travaille pour le compte du groupe LVMH. Entre 2015 et 2019, sa société Management & Private Consulting a facturé entre 102 000 et 127 000 euros par an à LVMH.

René Bailly ancien patron du renseignement parisien : “Ce soir-là, Bernard Squarcini m’a appelé pour m’inviter à le rejoindre. Il était avec Charles Pellegrini et prenait une collation. Quand je suis arrivé, Charles Pellegrini a évoqué cette affaire, c’est-à-dire le fait qu’un maître-chanteur s’en prenait à quelqu’un de haut placé dans la société LVMH. (…) J’ai retenu des déclarations de Charles Pellegrini qu’il y avait dans le comportement de cet individu quelque chose qui pouvait menacer la vie privée de Bernard Arnault. C’était quelqu’un qui voulait lui nuire.”

En 2018, Bernard Squarcini a déclaré aux juges d’instruction que c’est le vice-président du groupe LVMH, Pierre Godé, décédé la même année qui l’aurait alerté sur cette tentative de chantage. “Un jour, je suis appelé par Pierre Godé qui me dit avoir besoin de toute urgence et de façon confidentielle d’une aide que peut lui apporter le service. Il me dit que la holding fait l’objet d’une action de déstabilisation non identifiée : menaces, chantage. Il souhaite mon aide et l’aide du service pour savoir s’il s’agit d’un concurrent, d’une action étrangère ou d’une origine purement privée, c’est-à-dire un particulier ou un membre du personnel. De mémoire, il m’explique que ceux qui sont à l’origine de cette action de déstabilisation procèdent par l’envoi de courriels anonymes. Donc il s’agit d’identifier les personnes ou la structure à l’origine de cette action de déstabilisation. Cette affaire est urgente, confidentielle, il faut lever le doute”.

En 2023, l’ex-dirigeant du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, a été jugé par le tribunal de Paris, pour avoir aidé illégalement Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH. L’opération consistait à découvrir le maître chanteur de Bernard Arnault au moyen d’une dizaine d’anciens agents secrets.

Bernard Squarcini a été été écarté de la DCRI en 2012 par le François Hollande, qui le jugeait trop proche de l’ancien président Nicolas Sarkozy. Le tribunal lui repporchait d’avoir sorti 400 dossiers confidentiels défense. Cette collusion du public et du privée est une des manifestations de l’Etat Profond de notre pays.
En 2024, l’ancien commissaire, François Digeon, a été recruté à la direction de la sécurité du groupe de Bernard Arnault. Il ne comparaîtra pas au procès de Bernard Squarcini, ex-chef du renseignement intérieur, avec qui il travaillait.
Bernard Arnault a été entendu comme témoin dans l’affaire Bernard Squarcini dès 2019.

Ces interventions de la DCRI en dehors de tout cadre judiciaire pose question. Pourquoi Bernard Arnault n’a-t-il pas porté plainte ? Qui était le maître chanteur ?

Sur un procès-verbal de novembre 2016 un agent raconte : “Un jour, le chef de la Section nationale de recherches opérationnelles, me confie une mission. Il s’agit d’identifier un homme qui essaye d’extorquer de l’argent à un grand chef d’entreprise français. (…) J’ai demandé pourquoi le chef d’entreprise ne déposait pas une plainte à la police judiciaire, lui faisant remarquer que cela ne relevait pas de nos missions anti-terroristes. Il m’a dit que cela ne me regardait pas et que la mission venait de très, très haut. J’ai compris que cela venait d’au-dessus de Bernard Squarcini.”
“J’étais le seul informé du profil et de la véritable identité (Bernard Arnault), explique le responsable de la DCRI pour la zone Sud, entendu le 15 mars 2018. (…) Les instructions étaient orales et par souci de discrétion, il nous a été demandé de ne faire aucun compte rendu écrit.” Un autre agent confirme l’opacité de cette affaire : “La confidentialité sur l’identité de la victime était totale, nous n’avons jamais su de qui il s’agissait”. Pour être très franc, je pensais à l’époque que c’était un personnage très haut placé, voire même, j’ai pensé que cela pouvait être le chef de l’État en personne tellement cette mission était entourée de confidentialité. (…) La direction centrale à Paris ne souhaitait aucun compte rendu, ni rapport écrit, ni note blanche.”

Le maître chanteur était un paparazzi.

Ces anciens du Raid et de la DCRI qui se reconvertissent dans le privé

Patron de la DCRI, officier-négociateur au Raid, agent de la DGSE : de nombreux policiers et militaires possèdent des compétences qui intéressent vivement les entreprises privées, au-delà de leur seul carnet d’adresses. De quoi envisager pour certains une deuxième carrière professionnelle fructueuse.

Les anciens de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), du Raid, de la Direction générale du Service extérieur (DGSE) et autres ne rencontrent en général pas vraiment de difficultés à se recaser dans le privé une fois cet épisode de leur carrière derrière eux.
C’est une ligne qui semble compter sur un CV. Les anciens de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), du Raid, de la Direction générale du Service extérieur (DGSE) et autres ne rencontrent en général pas vraiment de difficultés à se recaser une fois cet épisode de leur carrière derrière eux. Et cette réorientation professionnelle en voit certains troquer le treillis pour le costume et se diriger vers le privé.
L’ancien patron du Raid, Amaury de Hautelocque, en est une nouvelle illustration. Celui qui avait mené l’assaut de l’appartement de Mohamed Merah à Toulouse en 2012 a en effet officiellement rejoint les rangs, ce mardi 17 septembre, du mutualiste Covéa en tant que « directeur des stratégies coopératives ».

Bernard Squarcini, ancien chef de la DCRI, consultant pour LVMH

Avant lui, d’autres avaient pris la même direction. Parmi eux, l’un des plus connus est Bernard Squarcini, dit le « squale », L’ancien patron de la DCRI, désormais préfet hors cadre, a monté il y a quelques mois une structure de conseil en intelligence économique.
Son premier client ? LVMH qui ne manque pourtant pas de talents dans le domaine. Mais à l’époque, un proche expliquait que « Bernard Arnault aime s’entourer des meilleurs dans le domaine. N’oubliez pas que le dossier Hermès n’est pas totalement bouclé » , rapportait Challenges.fr.

Autre exemple avec Dominique Gevrey. Impliqué dans l’affaire de vrai-faux espionnage de Renault au début de l’année 2011, cet ancien de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), occupait initialement la fonction de responsable de la sécurité de la marque au losange .

« Capacité de se mettre en mode »commando«  »
Pour Laurent Combalbert, qui a passé six ans au Raid avant de basculer dans le privé, l’appétit des entreprises pour les profils comme le sien s’explique essentiellement pour les raisons suivantes :

  • Les anciens du Raid et autres ont des compétences qui sont extrêmement recherchées : rigueur, capacité de se mettre en mode « commando », de fonctionner par projet, de travailler en équipe, et surtout la capacité de prendre des décisions importantes de manière très rapide. Certains ont également un savoir-faire très spécifique, ce qui est un également un atout majeur.

Et Laurent Combalbert illustre bien cela. Cet ancien officier-négociateur est aujourd’hui consultant et expert en négociation. En 2009, il a fondé sa propre société de conseil : Ulysceo. Celle-ci propose formations, conférences et autres sur le thème de la négociation. Parmi ses clients, on compte la Société Générale, la SNCF, la ville de Paris, les laboratoires Servier, etc.

Des anciens du Raid parmi ses consultants associés
Autre preuve de la compétence et de l’attrait des anciens du Raid et autres : il confie que sur son réseau de 70 consultants, associés aux interventions de son cabinet de conseil, une dizaine sont des anciens du Raid. Certains ont d’ailleurs été dans la même unité que la sienne. Mais selon lui, la route vers le privée n’est pas sans embûches :

  • C’est compliqué de quitter le monde de l’administration pour celui de l’entreprise, c’est un gros changement culturel qu’il faut rapidement intégrer. D’ailleurs, nous sommes peu nombreux à avoir crée notre propre entreprise.

« Un sas de décompression »
Sans compter qu’entre une négociation avec un preneur d’otage, et le quotidien d’un consultant, il y a également un gouffre. Comment se fait la transition ?
Les enjeux sont évidemment très différents. Néanmoins, l’adrénaline est toujours présente. Il y a des objectifs à atteindre et si ce n’est pas le cas, on peut perdre des marchés, des emplois. A titre personnel, j’ai pu bénéficier d’une sorte de « sas de compression ». Lorsque j’ai quitté le Raid, j’ai ensuite intégré, pendant un an, un cabinet de conseil privé qui travaillait pour le ministère de l’Intérieur et j’enseignais également à HEC. Puis, j’ai rejoint un grand groupe, où j’ai fait mes gammes pendant cinq ans, avant de lancer ma propre entreprise.

Le carnet d’adresses, un plus pour quelques-uns seulement
L’idée qui veut que lorsqu’une entreprise privée fait travailler un ancien militaire, c’est surtout pour son carnet d’adresses ? Laurent Combalbert ne nie pas mais relativise :

  • Pour les quelques-uns qui ont exercé à des hauts niveaux de responsabilité, ce n’est pas anodin. Mais cela ne joue pas pour tous, loin de là. Pour ma part, j’ai un réseau bien plus développé aujourd’hui en tant qu’entrepreneur, que lorsque j’étais au Raid.

Raconter son expérience dans un livre
Autre activité qui peut se révéler rentable lorsque l’on a trainé ses bottes dans les rangs de la DCRI : relater dans un livre ce qu’a été cette première carrière. Beaucoup s’y sont essayés, qui Christophe Caupenne avec « Négociateur au Raid », qui le Colonel Thierry Jouan avec « Une vie dans l’ombre », qui Pierre Martinet avec « Un agent sort de l’ombre ».
Ancien de la DGSE, ce dernier a même écrit en tout quatre livres sur le sujet. Depuis un an et demi, il est d’ailleurs directeur de collection « service actions » des éditions du Rocher, et recherche des « anciens des forces spéciales, du service action de la DGSE, du GIGN, du RAID » afin de « les faire participer à des ouvrages ».

Attention à ce qu’on révèle
Mais dévoiler les us et coutumes et surtout les petits secrets et noms de ses anciens patrons et camarades, a quand même de grandes chances de leur déplaire. En 2010, Maurice Dugresse a sorti un livre intitulé « 25 ans dans les services secrets ». Ce qui lui a valu d’être placé en garde à vue l’an dernier.

La Tribune

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