Après des mois de négociations, les États-Unis et l’Union européenne (UE) ont annoncé le 27 juillet un accord commercial visant à éviter une guerre commerciale plus large entre les deux plus grandes économies mondiales. Cet accord prévoit l’imposition d’un droit de douane de 15 % sur la quasi-totalité des importations de l’UE, soit la moitié du montant que le président américain Donald Trump avait menacé d’imposer, mais plus du triple du taux moyen de 4,8 % auquel étaient soumis les produits européens avant l’entrée en fonction de Donald Trump en janvier. Cet accord a été accueilli avec consternation par certains dirigeants européens, les détracteurs estimant qu’il favorise de manière disproportionnée les États-Unis, et les détails concernant les taxes sur certains secteurs restent à définir.
Pour commencer, revenons sur ces derniers jours. L’UE était confrontée à des droits de douane de 30 % et l’accord final a fixé un taux de 15 %. Qu’est-ce qui a pu changer dans les calculs de négociation de chaque partie pour rendre cela possible ?
Les négociations entre l’UE et les États-Unis visant à trouver un nouvel équilibre politique dans leurs relations commerciales bilatérales ont été mouvementées depuis que Trump a présenté ses « droits de douane réciproques » dans la Roseraie le 2 avril, une journée qu’il a qualifiée de « jour de la libération ».
L’UE a abordé les négociations en partant du principe que tout accord avec les Américains devait être équitable et équilibré et tenir compte du fait que les deux parties étaient à peu près égales en termes de taille économique. Les responsables de l’UE ont donc rapidement rejeté l’accord conclu par le Royaume-Uni en mai, le qualifiant de « mauvais accord », et ont jugé inacceptable le droit de douane réciproque de 10 % imposé par les États-Unis (et accepté par le Royaume-Uni). Mais après que Trump ait menacé d’imposer des droits de douane de 50 % à l’Union européenne fin mai, celle-ci a changé de cap et s’est résignée à la nature asymétrique de tout accord futur, c’est-à-dire que les États-Unis seraient clairement gagnants et que l’UE devrait faire des concessions importantes.
La situation est compliquée par le fait que les États membres de l’UE étaient divisés sur la tactique à adopter. La France et l’Espagne étaient favorables à une approche plus ferme, avec des mesures de rétorsion immédiates après l’imposition de nouveaux droits de douane, tandis que l’Allemagne et l’Italie prônaient la prudence et soulignaient l’importance d’un accord avec les États-Unis. Cette dernière position l’a emporté et l’UE a commencé à mettre toutes sortes de propositions sur la table : réduction des droits de douane pour les constructeurs automobiles américains, abaissement des barrières non tarifaires pour les entreprises américaines, nouveaux achats de gaz naturel liquéfié (GNL), d’armes et de produits agricoles américains, et augmentation des investissements privés européens dans l’économie américaine. Un accord proposant un droit de douane de 10 % (reflétant toutes ces concessions) était sur le bureau de Trump le 10 juillet, mais le président l’a rejeté deux jours plus tard et a publié à la place une lettre menaçant d’imposer des droits de douane de 30 % à compter du 1er août.
La situation semblait désespérée à la mi-juillet, alors que les Européens commençaient à se préparer à un scénario « sans accord » et envisageaient sérieusement des mesures de rétorsion. Cependant, la dynamique a changé après que le Japon a conclu un accord commercial avec les États-Unis juste avant le sommet commercial UE-Japon à Tokyo le 22 juillet. Trump a toujours eu le sens du timing, et les nouveaux développements avec le Japon ont dynamisé les négociations entre les États-Unis et l’UE, les deux parties finissant par s’entendre sur un tarif de base de 15 %. Le cadre prévoit les mêmes tarifs de 15 % sur les voitures et les pièces automobiles, ainsi que des exemptions pour d’autres produits sensibles, notamment les dispositifs médicaux, certains produits chimiques et l’aviation.
Au final, l’accord conclu par Trump et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen en Écosse le 27 juillet n’était pas très différent de celui qui se trouvait sur le bureau de Trump le 10 juillet.
Les dirigeants européens ont réagi de manière divergente à cet accord. Que révèlent ces réactions mitigées sur l’inquiétude stratégique de l’Europe concernant ses relations avec les États-Unis ?
La plupart des dirigeants ont poussé un énorme soupir de soulagement, car très peu d’entre eux étaient prêts à s’engager dans une escalade de représailles tarifaires, qui aurait pu déboucher sur une guerre commerciale transatlantique à grande échelle. L’Allemagne se réjouit de la baisse des droits de douane sur les voitures, qui passent de 27,5 % à 15 %, ce qui soulage immédiatement l’industrie automobile du pays. La France et l’Italie s’efforcent toujours d’obtenir des exemptions pour le vin, les spiritueux et d’autres produits d’exportation importants. En Belgique et en Irlande, les décideurs politiques sont rassurés par le fait que leurs produits pharmaceutiques ne seront pas soumis à des droits de douane supérieurs à 15 % une fois que les nouveaux droits sectoriels (au titre de l’article 232) entreront en vigueur, ce qui devrait se produire dans les prochaines semaines. Enfin, en Europe de l’Est, la plupart des dirigeants se réjouissent que la rupture entre les États-Unis et l’UE sur le commerce ait été évitée, ce qui aurait pu compromettre le soutien américain à l’effort de guerre en Ukraine contre la Russie et les garanties de sécurité plus larges offertes par l’OTAN.
Au-delà de ce soulagement, on constate que l’UE a cédé aux caprices d’un président américain imprévisible, tant en matière de dépenses de défense de l’OTAN qu’à présent en matière de commerce international. Les Européens sont passés d’un continent sûr et prospère, quasi exempt de taxe, grâce à une hégémonie américaine bienveillante, à un continent plus dangereux et incertain, dont le coût est considérable. De nombreux dirigeants estiment que les efforts déployés au niveau de l’UE pour développer des outils plus stratégiques, notamment leur très médiatisé instrument anti-coercition, n’ont pas abouti à une relation plus équilibrée avec les États-Unis. Au contraire, les résultats du sommet de l’OTAN à La Haye et le récent accord commercial avec l’Écosse rendent l’Europe encore plus dépendante des États-Unis. Alors que dans les années 2000 et 2010, les Européens externalisaient leurs besoins énergétiques à la Russie, leur sécurité aux États-Unis et leur croissance (grâce aux exportations) à la Chine, ils dépendent aujourd’hui des États-Unis pour ces trois domaines.
En ce qui concerne le déséquilibre relatif de l’accord, l’UE a accepté de payer des sommes importantes pour du matériel de défense et des produits énergétiques américains. Quelle est la justification de Bruxelles pour accepter cela ? S’agit-il simplement d’apaiser Trump ?
La conclusion de l’accord commercial entre les États-Unis et le Japon peu après les élections japonaises a souligné que la promesse du Japon d’investir 550 milliards de dollars dans un fonds souverain américain était essentielle pour sceller l’accord, ce que les négociateurs américains ont clairement fait comprendre à l’équipe commerciale de l’UE. La promesse d’acheter jusqu’à 750 milliards de dollars de GNL, de pétrole et de produits nucléaires américains au cours des trois prochaines années, ainsi que la promesse des entreprises de l’UE d’investir au moins 600 milliards de dollars dans l’économie américaine, étaient depuis longtemps sur la table. Ces deux promesses seront probablement les plus difficiles à tenir.
Cela dit, la Commission européenne a compris que la plupart des accords commerciaux américains comportent un élément important d’« achat américain » et d’« investissement en Amérique ». Une grande partie de ces montants aurait de toute façon été dépensée et investie, car l’UE est devenue plus dépendante du GNL américain depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, et les entreprises privées européennes investissent déjà des milliers de milliards de dollars dans l’économie américaine chaque année, qu’un accord soit signé ou non.
Il reste également certains taux tarifaires à négocier. Quelle est l’importance de ces « inconnues » et dans quelle mesure pourraient-elles modifier l’impact global de l’accord commercial ?
La nature des « accords » commerciaux conclus avec Trump est telle qu’il ne s’agit pas d’« accords » de libre-échange traditionnels, qui nécessitent des années de négociations minutieuses, mais d’engagements (souvent non écrits ou basés sur une simple poignée de main) qui doivent être précisés ultérieurement ou qui peuvent être réexaminés à l’avenir. Il arrive également souvent que les deux parties aient des interprétations fondamentalement différentes de ce qui a été convenu.
Par exemple, les Européens s’empressent de souligner que le nouveau taux tarifaire américain de 15 % est un « plafond », tandis que l’administration Trump maintient qu’elle se réserve toujours le droit d’augmenter ces tarifs à l’avenir. Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium restent pour l’instant à 50 %, jusqu’à ce qu’un accord soit conclu pour remédier à la surcapacité mondiale de production d’acier, ce qui signifie essentiellement un alignement plus étroit entre les États-Unis et l’UE en matière de sécurité économique et de politique à l’égard de la Chine. Enfin, en ce qui concerne les produits pharmaceutiques, l’UE considère que des droits de douane de 15 % s’appliqueront s’il y a de nouveaux droits de douane plus élevés (par exemple 25 %) sur les importations de produits pharmaceutiques, tandis que les États-Unis estiment que tout reste ouvert dans ce secteur.
Je pense que cela fait simplement partie de la stratégie commerciale américaine sous Trump : il y aura toujours une part d’incertitude, ce qui, selon le président américain, donne aux États-Unis plus de poids dans les négociations futures. C’est une source d’irritation majeure avec laquelle tous les pays et toutes les entreprises devront apprendre à vivre au cours des trois ans et demi à venir, qu’ils le veuillent ou non.
En prenant du recul, quel sera l’impact de ce changement sur les relations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne ? Comment cela affectera-t-il la volonté de l’Europe de réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis ?
À court terme, cet accord rend l’UE plus dépendante des États-Unis, tant sur le plan commercial que sur celui de la défense. Si la Commission européenne et les dirigeants européens de premier plan s’empressent de souligner qu’il s’agit du meilleur accord qu’ils pouvaient obtenir, les partis d’opposition de toute l’Union, en particulier les partis eurosceptiques d’extrême gauche et d’extrême droite, ne manqueront pas de le critiquer. Ces derniers feront valoir que l’UE a fait son temps et que les États membres auraient pu négocier de meilleurs accords avec les États-Unis, comme l’a fait le Royaume-Uni, ce que de nombreux politiciens britanniques favorables au Brexit présentent comme le « dividende du Brexit ».
À moyen et long terme, cet accord renforcera probablement la volonté de l’Europe de devenir plus indépendante des États-Unis. De nombreuses initiatives ont déjà été lancées au niveau européen pour renforcer la souveraineté de l’UE, qu’il s’agisse de développer un complexe militaro-industriel européen ou d’élargir sa panoplie d’outils géoéconomiques. Cela a également suscité le désir de développer des relations commerciales plus étroites avec d’autres pays partageant les mêmes idées, notamment l’Australie, le Canada, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. L’accord entre l’UE et le Mercosur, conclu après près de deux décennies de négociations, a probablement plus de chances d’être ratifié dans les prochains mois qu’il y a six mois.
Au final, les Européens ont appliqué le principe « d’abord, ne pas nuire » à leurs relations commerciales avec les États-Unis, ce qui signifie qu’ils ont évité d’augmenter les droits de douane pour leurs propres citoyens (ou de se retrouver avec des droits de douane encore plus élevés pour leurs exportateurs) en évitant une guerre commerciale. Ce n’est pas parce que Trump pense qu’une taxe de 15 % sur les importations américaines profitera aux Américains moyens que les Européens doivent nécessairement s’engager dans cette voie d’un protectionnisme commercial accru.













