À l’heure d’une indéniable montée des périls dans l’Orient éternel, la bataille pour l’Europe prend un relief nouveau. Le choix en effet s’offre à nous entre reprendre l’initiative d’une construction européenne au service des hommes et des peuples en rejetant le Traité dit simplifié que des gouvernements inféodés aux États-Unis entendent faire passer en force en court-circuitant la voie référendaire, et nous croiser les bras en attendant que les choses se passent ou que le ciel nous tombe sur la tête. Or cette Constitution européenne, en vérité fédéraliste, déguisée sous les oripeaux d’un traité destiné à sortir l’Europe d’une prétendue impasse, signera à terme la disparition des États nationaux et de leur capacité à décider pour et par eux-mêmes, dans le but de les agglomérer au sein d’un vaste espace euratlantiste en guerre perpétuelle contre le reste du monde. À nous de choisir entre la résistance au Nouvel Ordre Mondial et le renoncement. L’histoire s’écrivant d’abord au présent, l’heure est donc venue de savoir quel destin nous voulons : la sauvegarde de nos libertés ou les nouvelles servitudes que nous imposent déjà un mondialisme dominé par un inhumain monothéisme du marché devenant peu à peu ouvertement totalitaire ?
Madame Royal le voulait M.Sarkozy l’a fait ! Nous sommes à présent entrés de plain-pied dans la VIe République, mais en fin de compte sans le dire, en loucedé, sans tapage, ni tambour ni trompette. Cela s’est fait comme l’on a changé de Siècle, sans douleur, d’un matin l’autre, sans apocalypse ni coup de tonnerre. Un beau jour l’on se réveille et tout a changé : le régime et la Constitution [1] et chacun de s’ébahir sur la duplicité des puissants et la dérive autocratique d’une République plus ou moins bananière….
En réalité, pour le coup d’État imperceptible, nous n’avions pas attendu M. Sarkozy et son toupet tranquille (derrière le masque de l’agitation), parce que cela s’est fait il y a déjà un bail lorsque M. Jospin, militant trotskyste monté en graine de Premier ministre, décida d’inverser en 2002 le calendrier électoral en plaçant les législatives à la remorque de la présidentielle, cela dans la perspective de sa propre victoire dans la course à la magistrature suprême. Eh oui !
On était sûr qu’ainsi, dans la foulée, l’entrant à l’Élysée raflerait la mise parlementaire s’assurant par cet artifice d’une majorité inoxydable lui offrant une liberté d’action sans pareil. On sait ce qui en advint et des espoirs déçus de M. Jospin et de sa clique socialo-blairiste. M. Sarkozy a donc finalement raflé la mise de la combine Jospin laquelle permet cependant une concentration du pouvoir inouïe aux mains de minorités actives, grâce également au scrutin uninominal à deux tours et à un découpage électoral sur mesure hérité (mais jamais remis en cause par quiconque, ni à gauche ni à droite) de M. Pasqua parrain politique de l’actuel locataire de l’Élysée [2].
Ainsi, splendide bénéficiaire du bidouillage jospinien, M.Sarkozy, quoi qu’il en dise, est aussi l’héritier direct des agitateurs de 68 et autres taupes qui se sont frayés au fil des ans un chemin invisible dans les affaires et la politique jusqu’aux sommets du pouvoir.
À partir de là, en permettant une dérive présidentialiste ultérieure sans limites, cette année 2002, la Ve mourut de sa belle mort sans que nul ne s’en aperçût ni ne s’en émeuve, à commencer par les sempiternels absents, les grands témoins de la gent médiatique et autres politologues, ces authentiques menteurs professionnels par omission, qui ne virent rien, ne dirent rien, au flagrant mépris de leur mission rémunératrice d’alerte des consciences citoyennes.
En conséquence, « On » (ici le vulgum pecus, c’est-à-dire vous et nous) commence enfin à découvrir, aujourd’hui, que nous pourrions avoir été blousés encore un peu plus par notre nouveau leader tricolore, tout feu, tout flamme lorsqu’il projette sans vergogne de retailler la Constitution à sa mesure et de nous imposer manu militari une Constitution européenne en shuntant la volonté populaire….
Mais, qui, avides de progrès et de changement que nous sommes, pourrait avoir le mauvais goût de se plaindre que notre hyper-président se refusât à endosser le costume suranné, autant dire la vielle défroque, de la Ve ? Du prêt-à-porter trop étriqué en effet pour des ambitions euro-planétaires… À chaque saison sa vêture, à chaque époque son style. Si demain en effet M. Blair devenait le premier Président [3] d’une Europe tacitement fédérale sous couvert du Traité de Lisbonne, M. Sarkozy pourrait légitimement espérer un jour prochain lui succéder. Ce serait en effet une ambition désormais à sa portée. N’est-il pas le nouveau Blair français sur lequel l’Empire américain fonde à présent tous ses espoirs [4] ?
Avec ses habits présidentiels tout neufs à la mesure de ses ambitions, notamment personnelles, M. Sarkozy s’est aussitôt employé, avec efficacité et succès, à faire rentrer la France dans le bercail européen et le Traité constitutionnel rejeté par la porte le 29 mai 2005 en le réintroduisant derechef, sans plus d’erreur possible via la lucarne d’une ratification parlementaire. Ce qui est, disons-le, la voie ordinaire de l’adoption des Traités, lesquels ont prééminence absolue sur la Loi interne.
De ce seul point de vue, puisqu’il n’est plus désormais question que d’un soi-disant traité simplifié, nulle obligation ne s’impose alors au gouvernement de consulter la Vox populi par le truchement d’un référendum [5]. En fait, il s’agit d’une copie conforme [devenue entre-temps totalement absconse parce que constituée un fatras de références hermétiques, de liens inextricables avec les traités antérieurs, toute chose qui en dit long sur la volonté de transparence et la pratique concrète de la démocratie] de la première mouture réduite à 256 pages lesquelles renvoient à près de trois mille pages d’accords préexistants… Au final un labyrinthe textuel hanté par le Minotaure euratlantiste (et ce n’est pas une pure figure de rhétorique), lequel Moloch demande déjà à cor et à cri son tribut de chair humaine et de viande à canon en préparant pour commencer le renforcement du rôle de l’Otan en Afghanistan. Un Otan que d’aucuns à Londres, à Washington et à Paris souhaitent voir également intervenir bientôt au Darfour…Comme nous le fîmes hier, en 1999, pour notre plus grande honte, au Kossovo sans mandat des Nations Unies sans consultation du Parlement puisque les guerres se déclenchent maintenant sans déclaration préalable. M. Jospin fut là également un magnifique précurseur [6] !
Il ne faut pas oublier à ce titre que « la plus grande réussite de l’Europe c’est la Paix » selon une formule que n’aurait pas désavouée Lénine ni plus tard George Orwell ! Slogan qui nous a été asséné et seriné en juin dernier à l’occasion du sommet de Bruxelles au cours duquel les 27 sont tombés d’accord sur le principe du Traité dit simplifié. En réalité, si nous sortons un instant de l’état d’hypnose médiatique profonde où nous sommes plongés en permanence, l’Europe se trouve en guerre permanente ou presque depuis la déclaration de Maëstricht du 10 décembre 1991, à condition bien sûr de sortir de la torpeur amnésique qui nous fait faire l’impasse sur sept années de sanglantes guerres balkaniques et six années d’engagement afghan, sans compter la guerre de Mésopotamie vieille à présent de ses 17 ans [la Guerre du Golfe démarre en février 1991 suivie de douze années d’embargo meurtrier émaillé de frappes massives]. Devoir à consentir un effort intellectuel pour redécouvrir cet Himalaya d’évidences qui se dresse devant nous, en dit long sur les trous noirs installés au cœur même de la Démocratie occidentale et son extraordinaire capacité à obérer la conscience collective.
Nous nous souviendrons par conséquent de cette noble formule « la plus grande réussite de l’Europe c’est la Paix » [personnellement je ne m’en lasse pas] quand, demain probablement, les soldats de l’Union s’engageront en première ligne, sous couvert d’Alliance atlantique, au cœur du brasier proche-oriental ; le projet de M. Kouchner sur l’Irak n’est-il pas, entre autres, une internationalisation de gestion de crise sous couvert, dans un premier temps, d’un retour des Nations Unies dans le merdier irakien ?
À ce propos, nous devons ici garder en mémoire que M. Sarkozy entend « tenir ses promesses » et il en est une spécifique en vertu de laquelle nous sommes destinés à tourner le dos à 40 années de politique d’indépendance, notamment dans le domaine de la sécurité nationale, cela en revenant dans le commandement intégré de l’Otan, ce qui, de facto, place les forces françaises sous l’autorité du Pentagone !
Le semblant d’indépendance qui subsistait avait déjà été presque effacé par M. Jospin, ce digne prédécesseur de M. Sarkozy. Une indépendance dont le chant du cygne fut certainement le fameux discours de M. Villepin, le 14 février 2002 devant le Conseil de Sécurité dans lequel il exprimait le refus de la France à s’engager dans une guerre illégale (et illégitime) d’agression contre l’Irak…
Nous devons, le passé éclairant l’avenir, pour imaginer notre futur immédiat dans le contexte d’une évidente montée verticale des périls [à cet égard, il faudrait être bouché à l’émeri pour ne pas constater l’actuelle dégradation de la situation internationale sur tous les plans, même si les rumeurs de guerre ne sont pas encore tout à fait des certitudes, toutes les courbes convergent vers un même point critique] commencer par considérer les conséquences de la conjonction d’un probable et décisif abandon de souveraineté en matière de sécurité nationale [à savoir l’incorporation de nos troupes dans l’Otan sous commandement américain] [7], et celles de l’actuelle dérive autocratique du pouvoir présidentiel, tout ceci en collusion avec le processus en cours de refonte de la Constitution [Commission Balladur-Lang].
Le chef de l’État étant aussi celui des armées et le détenteur du feu nucléaire, ces diverses houles croisées viennent se conjuguer avec l’arrivée très prochaine d’une diplomatie européenne contraignante à la ratification d’un Traité conçu pour juguler les souverainetés nationales. Tous ces éléments mis côte à côte, nous obtenons un tableau clinique aussi complet qu’inquiétant…
À propos de l’usage du feu nucléaire à disposition du locataire de l’Élysée, certaines déclarations, particulièrement intempestives, en fin de règne de M. Chirac ont pu susciter une réelle inquiétude quant à un éventuel recours à l’arme nucléaire en cas de crise internationale, recours exorbitant à la doctrine établie de la dissuasion [8], chacun à l’époque ayant songé à un avertissement indirect adressé à l’Iran.
En effet, le jour J heure H, lorsque la Maison-Blanche décidera de franchir la ligne rouge et de frapper les forces vives de la République islamique [9] nous devrions nous souvenir, mais peut-être alors un peu tard, que la nouvelle France sarkozienne pourrait elle aussi [comme sur la Fédération yougoslave naguère, le précédent existe désormais], participer à des frappes voire engager des troupes aux côtés de nos alliés américains, qu’il s’agisse de forces aériennes, navales ou terrestres qui seront alors, en raison du commandement intégré du Pacte Atlantique, placées directement sous les ordres des officiers généraux de l’Oncle Sam.
Cette parenthèse temporairement refermée, signalons à l’attention du lecteur que la signature du Traité simplifié est prévue le 13 décembre prochain à Lisbonne et qu’ensuite tout devrait aller très vite (exception faite de l’Irlande dont la constitution prévoit un référendum), et d’abord en France, meilleur élève et fer de lance de l’Union, où le texte devant être ratifié, avant Noël.
De cette façon nos eurocrates seront parvenus « à éviter le piège du referendum » [10]. Cela dans un parfait consensus droite/gauche [dont les différences à présent sont celles aussi importantes qu’entre les étiquettes de deux marques de lessives produites par Unilever : « Même imparfait le traité simplifié peut remettre l’Europe en marche » assène Ségolène Royal [Libération 22 octobre 2007] ; « Mieux vaut un compromis que rien » nous dit-elle, refusant de faire d’un nouveau référendum une »question de principe". Le tout sans explication. Ce sera donc la « victoire de l’Europe », cette Europe qu’il fallait « sortir de l’impasse » comme le clamait José Sócrates Carvalho Pinto de Sousa ci-devant président tournant de l’Union alors qu’une foule de 200 000 personnes clamait, elle, sous les fenêtres du palais, son rejet de « leur Europe ».
De vous à nous, l’Union renforcée, dotée d’organes politiques, sera-t-elle plus efficace ? Y aura-t-il moins de friches industrielles, de délocalisations et de mouvement migratoires erratiques, plus d’emploi, de sécurité, de stabilité et d’espoir, lorsqu’elle parlera d’une seule voix ? Celle de son Président et de son Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Où encore, lorsqu’elle aura intégré la Turquie et ses frontières de guerre, avec la laquelle se poursuivent assidûment, chapitre après chapitre, les négociations d’adhésion ? Alors l’Union sera nécessairement partie prenante dans la guerre du Kurdistan, un conflit qui dure depuis soixante-dix ans et le début de l’ère kémaliste…
Pour leur imposer aux forceps une Europe tacitement fédérale, nous devons considérer le court-circuitage des peuples (le pays réel), comme un authentique coup de force, un coup d’État à l’échelle des 26 (27 moins l’Irlande). S’ajoute à cela, particulièrement en France [l’Allemagne n’est cependant pas en reste avec l’actuel renforcement orwellien de ses dispositifs sécuritaires de contrôle des populations], cette dérive présidentialiste déjà évoquée que sanctionnera dans quelques mois le renforcement des pouvoirs d’exceptions à l’occasion de la refonte constitutionnelle ; une substitution silencieuse de Constitution car nous sommes à l’ère de la manipulation et sous le règne des manipulateurs . [11]
Nous devons maintenant, ici, nous interroger, imaginer ou anticiper l’usage qui sera fait de tels instruments politiques dans le cas d’une crise probable majeure ? Un collapse régional ou mondial est-il à l’heure actuelle totalement exclu ? Guerres au Kurdistan, en Irak, en Afghanistan, coup d’État au Pakistan sur un fond d’instabilité explosive, état d’urgence en Géorgie, crise économique et financière, menace de récession sur fond de changement climatique [où le genre humain, qu’on le veuille ou non, porte sa part de responsabilité à commencer par la déforestation massive de la planète]… Les raisons de pessimisme ne manquent pas.
Nous devons - insistons sur cet aspect de la conjoncture de dégradation accélérée de notre vie publique et de nos libertés - prendre la mesure, en France de l’évolution autocratique du pouvoir mise en relation avec « le coup » du Traité simplifié destiné à ligoter la France et ses partenaires européens dans un maillage de plus en plus serré de contraintes, d’obligations, en particulier en matière de politique étrangère et de sécurité via la sujétion de 25 membres de l’Union sur 27 à l’Alliance Atlantique. Une inféodation qui peut se révéler contraire à nos intérêts les plus essentiels voire même les plus vitaux.
Le Traité simplifié nous est fourgué sous prétexte de « relancer » l’Union dont on peut se demander à nouveau en quoi elle est parvenue, si peu que ce soit, à corriger la dégradation exponentielle de nos environnements, bloqué la folie des OGM, mis un coup d’arrêt à l’empoisonnement collectif des populations par les pesticides, arrêté la précarisation tendancielle de l’emploi, arrêté la dégringolade de nos niveaux de vie, des revenus salariaux, etc ! ? En quoi l’Union politique à 27 permettra-t-elle un redressement de nos économies alors qu’aujourd’hui dans le contexte d’une mondialisation galopante « tout se joue à l’extérieur » ? Alors que progresse sur le monde l’ombre de la grande dépression économique, de la guerre, des coups d’États ?
Comment dans ce contexte ne pas voir que le trucage du Traité simplifié qui impose à l’Union une structure fédérale implicite n’est que le moyen d’arrimer les peuples européens à la nef folle de l’Atlantisme et de ses guerres sans limites. Les évolutions institutionnelles, en France et en Europe, renforce les dépendances euratlantiques et ne doivent s’apprécier qu’en fonction, et presque exclusivement, au regard de la situation géopolitique globale. On ne peut donc, bis repetita, prendre l’exacte mesure des tendances actuelles, de la dérive institutionnelle et constitutionnelle en cours, des manipulations de la volonté populaire qu’en tenant compte et dans la perspective d’une dégradation accélérée des relations internationales et de l’état du monde [12].
Le coup d’État a effectivement eu lieu et la Ve République est morte avec la révolution blanche du 6 mai 2007. M. Sarkozy, l’ami américain, qui soulève des tonnerres d’applaudissements lorsqu’il exalte le rêve du Wellfare State devant le Congrès [Washington mardi 6 novembre 2007], est aussi à présent le maître incontestable de nos destinées. Pour le pire ou le meilleur ? Quant au copié-collé de rêve américain auquel il semble vouloir nous convertir, et bien il semblerait que l’original soit devenu un bien vilain cauchemar pour les centaines de milliers de morts sacrifiés à cet empire du mensonge [Américains, Occidentaux et la multitude innombrable de tous les autres : « Le prix à payer » disait Mme Allbright] qu’est devenue l’Amérique en proie à l’idéologie néoconservatrice, doctrine engendrant la mort et le chaos [13] .
Car les bûchers de Calvin, ceux des puritains évangélistes, s’élèvent au quatre coin de la planète, partout où pleuvent les bombes américaines et celle de l’Otan, au prétexte de lutte contre la nébuleuse terroriste, de la démocratie et des droits de l’homme, en réalité pour la conquête de nouveaux marchés et le contrôle de l’or noir… Mais où est l’homme dans tout cela ? Et le « progrès », la Civilisation… ?