Erdogan, s’il n’est pas lui-même indirectement voire directement responsable de la tragédie du 10 octobre - comme n’hésitent pas à le suggérer et pire, à le dire ouvertement de nombreux spécialistes et d’experts bien en cour dans les médias en contradiction avec leur détestable habitude de mensonge par omission - sait à merveille utiliser cette tragédie comme prétexte pour reprendre à l’extérieur et faire accepter par ses alliés une activité militaire offensive contre ses propres minorités nationales, et à l’intérieur pour museler un peu plus ses opposants.
Car quasiment depuis l’avènement de la République panturque en 1923, les Kurdes sont perçus à Ankara comme une menace permanente ou récurrente. Crainte exacerbée en 1978 avec la naissance du PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan, qui affiche sans fard une farouche volonté d’autonomie et d’indépendance. Néanmoins un cessez-le-feu avait été peu ou prou conclu en mars 2013… auquel les législatives du 7 juin 2015 ont mis fin, le pouvoir ayant alors relancé les hostilités contre les irrédentistes kurdes d’Anatolie orientale, d’Irak et de Syrie.
Or cette politique agressive va aujourd’hui à contresens de la supposée politique américaine de lutte contre l’État islamique. Celle-ci voudrait en effet trouver dans une union des peshmergas kurdes et des rebelles dits modérés, une infanterie utilisable pour des opérations au sol. Mode d’action auquel Washington se refuse désormais ne voulant plus engager ses propres troupes en territoire ennemi en vertu de l’hypocrite doctrine « zéro mort » et plus encore, en raison du souvenir cuisant de leurs piteuses défaites afghane et irakienne. À cela s’ajoute le camouflet infligé par l’efficacité de la campagne de frappes aériennes lancée par l’aviation de la Fédération de Russie [2]. Bref, un fiasco du plan américain mis en échec à la fois par l’allié turc et par le rival russe. Ainsi l’actuelle offensive terrestre conduite au sud d’Alep par les forces loyalistes syriennes associées à des éléments du Hezbollah libanais, serait en train de bousculer les lignes islamistes dont les personnels reflueraient vers la frontière turque qu’ils franchiraient… après avoir rasé leur barbe. Tout un symbole.
Au même moment, la chancelière allemande prévoit un plan de trois milliards d’€ - rien que ça - pour inciter la Turquie à retenir sur son sol les masses de réfugiés syriens candidats à l’invasion et à la colonisation pacifique de l’Union… « Sans la Turquie, nous ne trouverons pas la solution pour gérer l’afflux des réfugiés » dixit dame Merkel. Ah bon ?! Parce ce qu’après avoir, par une coupable inconséquence, ouvert en grand les frontières de l’Europe, le couple délétère Hollande-Merkel se prépare maintenant à souscrire au chantage d’Ankara, en payant un tribut dont le montant, à la hausse, est en révision constante, et en recevant la Turquie dans l’Union. Des pourparlers vont reprendre en ce sens. Cela signifie que demain l’Union européenne pourrait donc se trouver en prise directe avec la poudrière proche-orientale et que ses nouvelles frontières seront les zones de guerre chaude d’Irak, de Syrie et le cas échéant, d’Iran [3] !
Mme Merkel dont les offres libérales d’accueil des migrants ont suscité l’enthousiasme jusqu’en Afrique de l’Ouest, est finalement allée ce 18 oct. à Canossa sur le Bosphore et dans les ors fastueux du sultan Erdogan. Ce dernier fort de sa position, avec en main l’atout maître de vagues migratoires qu’il a lui-même lancées sur l’Union, fait dorénavant monter les enchères. En plus de l’argent et de la sueur des contribuables européens, il lui faut toujours plus jugeant les propositions européennes comme un « projet au budget inacceptable ». Ce ne sont plus seulement des députés au Palais Bourbon binationaux qu’exige Erdogan, comme il le faisait voici peu à la tribune du Parlement européen de Strasbourg, mais l’Europe tout entière… ventre ouvert et prête libéraliser – dans le cadre d’un nouveau chapitre des négociations économique et monétaire avec la Turquie - l’accès à la zone Schengen pour les ressortissants turcs.
Comment faut-il qualifier l’attitude de nos dirigeants. De stupide ? De suicidaire ? De criminelle ? Est-ce imbécillité, cécité idéologique ou trahison. Au choix, bon choix.
JM Vernochet 19 oct. 2015