Quel avenir pour les LegalTech en France ?
le 11 janvier 2019 - Amélie Saurel, étudiante en dernière année à l’EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management - Droit - Actualité du droit
Une LegalTech, issue de l’union entre “Legal” et “Technology”, est définie comme une entreprise proposant des services juridiques à l’aide des nouvelles technologies. Cette définition très large fait que l’on ne compte pas moins de 180 LegalTech en France selon l’Observatoire permanent de la LegalTech*. Ces dernières ont connu une croissance exponentielle au cours des cinq dernières années.
De nouvelles aspirations pour le monde du droit au travers des LegalTech
Les LegalTech sont des outils formidables qui évoluent dans un écosystème riche et dynamique. Portées par le progrès technologique, ces entreprises ont pour objectif de simplifier et de rendre le droit accessible à tous, d’améliorer les performances des professionnels et d’harmoniser l’accès à la justice en comparant les décisions entre les différentes juridictions pour in fine réduire les disparités existantes. Il revient de façon récurrente que l’accès aux services juridiques est coûteux et complexe.
L’idée est donc d’offrir des solutions rapides et simples, le tout pour un prix raisonnable et qui puisse convenir au plus grand nombre. Dans cette démarche de démocratisation du droit, les LegalTech visent tout aussi bien les professionnels du droit tels que les avocats, magistrats ou notaires, que les entreprises et les particuliers.
En ce qui concerne les LegalTech principalement à destination des particuliers, celles-ci proposent des solutions souvent ciblées et relatives à la comptabilité comme ILoveTax, l’optimisation de ses impôts avec Tacotax ou la résolution des litiges quotidiens avec Demander Justice ou Saisir Prud’hommes. L’objectif clairement affiché de ces entreprises est d’apporter une réponse clefs en main aux justiciables en évitant tous frais d’avocats. La question est de savoir où s’arrêtent les compétences de ces LegalTech laissant ainsi place à l’expertise de l’avocat.
Les chiffres de 2017 de l’Observatoire permanent de la LegalTech révèlent que 7% des entreprises offrant des services juridiques digitalisés développent des robots juridiques ou ChatBot. Actuellement limités à des questionnements juridiques non complexes, le progrès constant de l’Intelligence Artificielle permet continuellement à ces robots de se perfectionner avec à terme pour objectif d’essayer de répondre à tous types de questions juridiques qu’un justiciable posait traditionnellement à son avocat, d’où l’importance pour ce dernier de savoir se réinventer.
Les LegalTech offrent également des solutions très appréciées des professionnels du droit qui les soulagent de leurs tâches rébarbatives et chronophages. Les jeunes entreprises innovantes accompagnent donc la transformation digitale des professionnels du droit et les incitent à aller au-delà de ce qu’ils savent déjà faire.
Maître Christiane Féral-Schuhl, dans une interview du 13 novembre 2017 accordée au magazine Le Monde du Droit, affirmait ceci : « La profession d’avocat est en train de muter. Nous devons dépasser nos domaines de prédilection et nos frontières pour aller sur d’autres terrains dans lesquels nous avons un rôle fondamental à tenir ».
Selon les chiffres du Village de la Justice, le marché des LegalTech fait la part belle aux startups qui représentent 74% des acteurs contre 16% pour les professionnels du droit ou étudiants. Les startups, souvent formées par des ingénieurs et anciens professionnels du droit, ont pris de l’avance sur les cabinets ou directions juridiques.
Cependant, la place de ces derniers sur le marché n’est pas à négliger et ils cherchent peu à peu à développer en interne leurs propres outils à l’image du cabinet Baker McKenzie. Son bureau parisien a lancé en juin dernier un robot nommé “Lancelaw” et doté d’une intelligence artificielle afin d’analyser l’évolution de la profession d’avocats et d’accompagner le cabinet dans sa transformation digitale.
Les effets des LegalTech sur les business models du droit
Les changements radicaux sur les business models traditionnels du droit peuvent faire peur et laisser sceptiques des professionnels qui ne sont pas prêts à faire pleinement confiance à la technologie. Il est indispensable pour ces nouvelles entreprises de comprendre les méthodes de travail traditionnelles du droit (avec une culture forte du “papier”, beaucoup de temps consacré à la lecture de documents ou la recherche juridique, des signatures en présentiel par les clients), et ainsi s’orienter ainsi vers une dématérialisation progressive de celles-ci.
Les professionnels du droit qui connaissent ces méthodes traditionnelles et leurs failles auraient donc un rôle important à jouer au sein même des LegalTech. Si l’on prend l’exemple d’une opération d’acquisition des parts d’une société, l’acquéreur - voire également le vendeur -, s’adressent à des cabinets afin de réaliser des audits juridiques. Cela passe par la constitution d’une data room qui regroupe tous les documents relatifs à la société cible.
Une fois la data room constituée, tous ces documents sont généralement imprimés et lus à plusieurs reprises. Particulièrement longs et coûteux, ces procédés peuvent être en partie remplacés par une analyse réalisée grâce à l’intelligence artificielle bien plus rapide et fiable que l’homme. Elle permet, tout comme le fait l’avocat, d’identifier les risques et opportunités, comprendre le modèle économique de la société cible et ainsi définir les clauses nécessaires à la protection des parties contre ces risques.
Ces gains d’efficacité ont une incidence sur les revenus et la rentabilité. L’efficacité de la recherche et de l’analyse peut être liée à la rentabilité et à la production de revenus de diverses façons. La réduction du temps consacré à ces activités peut influer sur le nombre d’heures facturées ou avoir une incidence sur la capacité des professionnels à prendre en charge efficacement d’autres clients et d’autres questions. Les professionnels du droit doivent donc tenir compte de leur propre situation lors de l’évaluation de l’impact potentiel d’un investissement dans un outil doté d’une intelligence artificielle.
Comment le marché de la LegalTech devrait-il se réguler dans les années à venir ?
La digitalisation est un phénomène qui touche tous les pans de l’économie et le droit n’y fait pas exception. Cet engouement pour les nouvelles technologies se traduit par une multiplication des offres sur le marché de la LegalTech. Le 3e Village de la LegalTech a connu un véritable succès en présentant 150 d’entre elles au grand public.
Cependant, l’excitation liée au bouillonnement général a vite laissé place à une impression de répétition et d’harmonisation des offres proposées. Peu d’entreprises sortent véritablement du lot et le marché semble déjà saturé pour les LegalTech orientées vers la rédaction d’actes, l’information juridique, la création d’entreprise ou les outils de gestion des dossiers. La question que l’on garde continuellement à l’esprit est « Pourquoi choisir cette LegalTech plutôt qu’une autre ? ».
Pour attirer les professionnels du droit, tout un marketing est mis en place autour de termes parfois utilisés à tort. IA et Machine Learning sont deux notions qui font vendre et pourtant, rares sont les entreprises qui mettent réellement en œuvre des techniques capables de reproduire l’intelligence et la logique d’apprentissage du cerveau humain.
Dans le cercle restreint des LegalTech utilisant l’IA au service du droit, on trouve par exemple Case Law Analytics, lauréat 2018 du Prix de la LegalTech, ou encore Predictice qui a remporté le Grand Prix Digital 2018 dont l’outil d’analyse est capable de lire deux millions de décisions de justice à la seconde.
Le marché de la LegalTech en France est jeune, il semble très prometteur et n’en est qu’à ces débuts pour toutes les entreprises utilisant à bon escient des technologies en constante évolution. Les LegalTech n’échapperont sûrement pas aux cycles de la croissance économique.
Par application de la théorie de Schumpeter énoncée dans son ouvrage Capitalisme, Socialisme et Démocratie de 1942, ne devraient sortir du lot que quelques leaders sur le marché des outils juridiques digitalisés, ceux fortement établis ou proposant une offre différente de leurs concurrents.
Les perspectives d’évolutions de la LegalTech en France
La véritable bataille à livrer est sur l’utilisation de l’intelligence artificielle en lien avec la capacité d’anticipation des risques qui est au cœur de la profession juridique. En effet, tout juriste doit savoir résoudre des problèmes mais sa valeur ajoutée réside notamment dans sa capacité à se projeter afin d’éclairer les entreprises dans leur prise de décision. Les bons juristes savent anticiper car ils ont une bonne connaissance de la jurisprudence, des pratiques du législateur, des comportements humains, ils pratiquent la veille juridique et comprennent les besoins de leurs clients.
L’IA, par le Machine Learning, permet d’apprendre des faits et ainsi à dégager des tendances. Les cas d’utilisation et les conséquences de l’intelligence artificielle indiquent que les outils de recherche représentent une itération importante dans l’évolution continue des outils de recherche juridique qui a commencé avec le lancement des bases de données numériques des autorités, et qui s’est poursuivie grâce aux progrès des technologies de recherche.
Toujours plus performantes, les machines ont désormais la capacité de supplanter l’être humain dans le traitement des données mais l’expertise reste une prérogative de l’homme. La technologie n’a pas pour vocation à remplacer mais à compléter l’être humain dans son travail, en tout cas pour certaines tâches.
Ces outils ont des effets en termes d’efficacité opérationnelle et de capacité de travail des ressources juridiques pour ainsi augmenter le nombre d’affaires et d’activités que les professions juridiques seront en mesure d’accomplir. Cela promet donc un bel avenir pour toutes les LegalTech liées à la « justice prédictive » et aux stratégies décisionnelles portées par l’intelligence artificielle.