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Barack Obama : « Un monde sans armes nucléaires »

samedi 4 juin 2022

Le 5 avril 2009, Barack Obama prononçait un discours à Prague à l’occasion d’un sommet UE-Etats-Unis.
"Je suis fier de me trouver ici avec vous aujourd’hui, au centre de cette ville prestigieuse, au centre de l’Europe (...). Quand je suis né, le monde était divisé, et nos nations étaient confrontées à une situation très différente. Peu de gens auraient prédit que quelqu’un comme moi deviendrait un jour un président américain. Peu de gens auraient prédit qu’un président américain serait un jour autorisé à parler à un public comme celui-ci à Prague. Et bien peu encore auraient imaginé que la République tchèque deviendrait une nation libre, un membre de l’OTAN, et serait à la tête d’une Europe unie. Ces idées auraient été écartées comme de doux rêves.

Nous sommes ici aujourd’hui parce qu’il y a eu assez de gens pour ignorer les voix qui leur disaient que le monde ne pourrait pas changer.

(...) Nous sommes ici aujourd’hui parce que le printemps de Prague - parce que la quête, simple et légitime, de liberté et de perspectives d’avenir - a couvert de honte ceux qui s’appuyaient sur le pouvoir des tanks et des armes pour écraser la volonté du peuple.

Nous sommes ici aujourd’hui parce que, il y a vingt ans, les gens de cette ville sont descendus dans la rue pour réclamer la promesse d’un jour nouveau et les droits humains fondamentaux qui leur avaient été refusés depuis bien trop longtemps. Sametová revoluce (la « révolution de velours ») nous a enseigné beaucoup de choses. Elle nous a montré qu’une protestation pacifique pouvait ébranler les fondations d’un empire et révéler la vanité d’une idéologie. Elle nous a montré que de petits pays pouvaient jouer un rôle pivot dans les événements du monde, et que des gens jeunes pouvaient montrer le chemin pour surmonter d’anciens conflits. Et elle a prouvé que le pouvoir moral était plus puissant que n’importe quelle arme.

Voici la raison pour laquelle je vous parle en ce moment, au centre d’une Europe pacifique, unie et libre : parce que des gens ordinaires ont cru que les fossés pouvaient être comblés, que les murs pouvaient s’écrouler et que la paix pouvait l’emporter.

Nous sommes ici aujourd’hui parce que des Américains et des Tchèques ont cru contre toute attente qu’aujourd’hui serait possible.

Nous partageons cette histoire commune. Mais maintenant cette génération - notre génération - ne peut rester immobile. Nous aussi sommes devant un choix. Si le monde connaît moins de divisions, il connaît plus d’interconnexions. Et nous avons vu les événements se précipiter au point de dépasser notre capacité à les contrôler : une économie mondiale en crise, un changement climatique, les dangereuses séquelles d’anciens conflits, de nouvelles menaces et la prolifération d’armes catastrophiques.

Aucun de ces défis ne peut être résolu de manière simple et rapide. Mais chacun d’eux exige que nous soyons à l’écoute les uns des autres et que nous travaillions ensemble ; que nous nous concentrions sur nos intérêts communs et non sur nos différences occasionnelles ; et que nous réaffirmions les valeurs que nous partageons, qui sont plus fortes que n’importe quelle force susceptible de nous diviser (...).

Pour renouveler notre prospérité, nous avons besoin d’une action coordonnée par-delà les frontières. Cela signifie des investissements pour créer de nouveaux emplois. Cela signifie résister aux murs du protectionnisme (...). Cela signifie un changement dans notre système financier, avec de nouvelles règles pour prévenir les abus et les crises futures. Et nous avons pour obligation envers notre prospérité commune et notre humanité commune de tendre la main à ces marchés émergents et à ces personnes appauvries qui souffrent le plus, ce pourquoi, un peu plus tôt dans la semaine, nous avons gardé en réserve mille milliards de dollars pour le Fonds monétaire international.

Pour protéger notre planète, il est temps aujourd’hui de changer la façon dont nous utilisons l’énergie. Ensemble, nous devons faire face au changement climatique en mettant un terme à la dépendance mondiale aux énergies fossiles et en exploitant le pouvoir de nouvelles sources d’énergie (...). Et je vous promets que, dans cet effort global, les Etats-Unis sont aujourd’hui prêts à montrer le chemin.

Pour assurer notre sécurité commune, nous devons renforcer notre alliance (...).

C’est le dixième anniversaire de l’entrée de la République tchèque dans l’OTAN. Je sais qu’à de nombreuses reprises au cours du XXe siècle, des décisions ont été prises sans que vous soyez consultés. De grandes puissances vous ont fait faux bond, ou bien ont décidé de votre avenir sans que vos voix soient entendues. Je suis ici pour dire que les Etats-Unis ne tourneront jamais le dos aux gens de cette nation. Nous sommes liés par des valeurs communes, une histoire commune, et par la promesse durable de notre alliance. L’article 5 de l’OTAN le formule clairement : une attaque contre l’un est une attaque contre tous. Cette promesse vaut pour maintenant et pour toujours.

Les habitants de la République tchèque ont tenu cette promesse quand l’Amérique a été attaquée, que des milliers de personnes ont été tuées sur notre sol, et l’OTAN a riposté. La mission de l’OTAN en Afghanistan est essentielle pour la sécurité des peuples des deux côtés de l’Atlantique. Nous visons les mêmes terroristes d’Al-Qaida qui ont frappé de New York à Londres, et aidons le peuple afghan à prendre en main son avenir. Nous démontrons que des nations libres peuvent faire cause commune au nom de notre commune sécurité (...).

Aucune alliance ne peut se permettre de rester immobile. Nous devons travailler ensemble en tant que membres de l’OTAN afin de mettre en place des plans d’urgence pour faire face à de nouvelles menaces, d’où qu’elles viennent. Nous devons renforcer notre coopération l’un envers l’autre (...). Et nous devons entretenir des relations constructives avec la Russie sur des questions qui nous préoccupent également.

L’une de ces questions sur lesquelles je vais me concentrer aujourd’hui est essentielle pour nos nations, et pour la paix et la sécurité dans le monde : l’avenir des armes nucléaires au XXIe siècle.

L’existence de milliers d’armes nucléaires est le legs le plus dangereux que nous a laissé la guerre froide. Il n’y a pas eu de guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, mais des générations ont vécu avec la conscience que leur monde pouvait être effacé en un éclair (...).

Aujourd’hui, la guerre froide n’est plus, mais ces armes existent toujours par milliers. Par un de ces étranges retournements de l’histoire, la menace d’une guerre nucléaire mondiale a diminué, mais le risque d’une attaque nucléaire a augmenté. Davantage de nations ont acquis ces armes. Les essais se sont poursuivis. Des marchés parallèles font commerce de secrets et de matériaux nucléaires. La technologie nécessaire pour fabriquer une bombe s’est largement diffusée. Des terroristes sont prêts à tout pour en acheter, en construire ou en voler une. Nos efforts pour contenir ces dangers se concentrent sur un régime global de non-prolifération, mais si davantage de personnes et de nations enfreignent les règles, nous pourrions atteindre le point où le centre ne peut plus tenir.

Tout le monde est concerné, partout. Une arme nucléaire qui exploserait dans une grande ville - qu’il s’agisse de New York ou de Moscou, d’Islamabad ou de Bombay, de Tokyo ou de Tel-Aviv, de Paris ou de Prague - pourrait causer la mort de centaines de milliers de gens. Et quel que soit le lieu, les conséquences sur notre sécurité, notre société, notre économie et, en définitive, notre survie seraient sans fin au niveau mondial.

(...) Tout comme nous nous sommes dressés au XXe siècle pour défendre la liberté, nous devons nous dresser ensemble au XXIe siècle pour vivre libres de toute peur. Et en tant que puissance nucléaire - en tant qu’unique puissance nucléaire ayant eu recours à l’arme nucléaire -, les Etats-Unis ont la responsabilité morale d’agir. Nous ne pouvons réussir seuls dans cette entreprise, mais nous pouvons la conduire.

Ainsi, aujourd’hui, j’affirme clairement et avec conviction l’engagement de l’Amérique à rechercher la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires. Ce but ne pourra être atteint avant longtemps, sans doute pas de mon vivant. Il faudra de la patience et de l’obstination. Mais maintenant, c’est à nous d’ignorer les voix qui nous disent que le monde ne peut pas changer.

Premièrement, les Etats-Unis vont prendre des mesures concrètes en faveur d’un monde sans armes nucléaires.

Pour mettre un terme à l’esprit de la guerre froide, nous réduirons le rôle des armes nucléaires dans notre stratégie de sécurité nationale et nous inciterons les autres pays à faire de même. Ne vous méprenez pas : tant que ces armes existeront, nous conserverons un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire, et garantir la défense de nos alliés, notamment la République tchèque. Nous allons cependant commencer à procéder à la réduction de notre arsenal.

Afin de réduire nos ogives et stocks d’armes nucléaires, nous négocierons cette année un nouveau traité de réduction des armes stratégiques avec la Russie. Le président Medvedev et moi-même avons commencé ce processus à Londres, et nous chercherons d’ici à la fin de l’année un nouvel accord qui ait force de loi et soit suffisamment audacieux. Cela ouvrira la voie à de nouvelles réductions, et nous chercherons à inclure dans cette entreprise tous les Etats dotés de l’arme nucléaire.

Pour parvenir à une interdiction globale sur les essais nucléaires, mon administration va immédiatement et énergiquement se consacrer à la ratification par le Sénat américain du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Après plus de cinq décennies de pourparlers, le temps est venu que les essais d’armes nucléaires soient définitivement bannis.

Pour supprimer les composants nécessaires à la fabrication d’une bombe, les Etats-Unis vont chercher à établir un nouveau traité qui mette fin de façon vérifiable à la production de matières fissiles destinées aux armes nucléaires. Si nous voulons sérieusement arrêter la prolifération de ces armes, nous devons alors mettre un terme à la production spécifique des matériaux de qualité militaire qui les créent.

Deuxièmement, tous ensemble, nous allons consolider le Traité de non-prolifération nucléaire comme base de coopération.

Le marché est simple : les pays possédant l’arme nucléaire s’engageront vers un désarmement, ceux qui n’en sont pas dotés ne l’acquerront pas ; et tous les pays pourront accéder à une énergie nucléaire pacifique. Pour étayer le traité, nous devrons adopter plusieurs principes. Nous avons besoin de davantage de moyens et d’autorité pour renforcer les contrôles internationaux. Nous demandons des sanctions réelles et immédiates pour les pays qui enfreignent les règles ou qui tentent d’abandonner le traité sans raison valable.

Nous allons construire un nouveau cadre pour une coopération nucléaire civile, comprenant une banque internationale d’approvisionnement en combustible pour que les pays puissent disposer d’une puissance pacifique sans augmenter les risques de prolifération. Chaque nation qui renonce aux armes nucléaires, en particulier les pays en développement mettant en œuvre des programmes pacifiques, devra y avoir accès. Aucune méthode ne pourra aboutir si elle s’appuie sur le refus de droits aux nations qui respectent les règles. Nous devons utiliser la puissance de l’énergie nucléaire au nom de nos efforts pour combattre le changement climatique et pour offrir à tous des perspectives d’avenir.

Nous ne nous berçons pas d’illusions. Certains ne respecteront pas les règles, et c’est la raison pour laquelle il nous faut mettre en place une structure qui garantisse que si une nation est en infraction, elle en assume les conséquences. Ce matin même, l’actualité nous a rappelé que nous devions avoir une approche nouvelle et plus rigoureuse afin de faire face à cette menace. La Corée du Nord a une fois encore enfreint les règles en testant une fusée qui pourrait servir de missile à longue portée.

Cette provocation met en évidence la nécessité d’agir : pas seulement cet après-midi auprès du Conseil de sécurité des Nations unies, mais dans notre détermination à empêcher la dissémination de ces armes. Les règles doivent avoir un caractère contraignant. Les violations doivent être punies. Les mots doivent avoir un sens. Le monde doit se rassembler pour empêcher la prolifération de ces armes.

Il est temps aujourd’hui d’avoir une réponse internationale forte. La Corée du Nord doit savoir que la voie vers la sécurité et le respect ne passe jamais par des menaces et des armes illégales. Toutes les nations doivent s’unir pour construire un cadre réglementaire mondial plus puissant.

L’Iran n’a pas encore construit une arme nucléaire. Mon administration cherchera à établir un accord avec l’Iran en s’appuyant sur des intérêts mutuels et un respect mutuel, et nous offrirons un choix clair. Nous souhaitons que l’Iran prenne sa place légitime dans la communauté des nations, politiquement et économiquement. Nous soutiendrons le droit de l’Iran à disposer d’une énergie nucléaire pacifique dans le cadre de contrôles rigoureux. C’est une voie que la République islamique peut adopter. Le gouvernement peut également faire le choix d’un isolement et d’une pression internationale accrus et d’une éventuelle course aux armements nucléaires dans cette région qui augmentera l’insécurité pour tous.

Que les choses soient claires : les activités iraniennes liées aux missiles balistiques et nucléaires constituent une réelle menace, pas uniquement pour les Etats-Unis, mais pour les voisins de l’Iran et pour nos alliés. La République tchèque et la Pologne ont eu le courage d’accepter sur leur sol des forces de défense contre ces missiles.

Tant que la menace iranienne persistera, nous avons l’intention de maintenir un système de défense antimissile qui soit efficace économiquement et ait fait ses preuves. Si la menace iranienne disparaît, notre sécurité reposera sur des bases plus solides, et le besoin de construction d’une défense antimissile en Europe ne se fera alors plus sentir.

Enfin, nous devons veiller à ce que les terroristes n’acquièrent jamais l’arme nucléaire.

Il s’agit de la menace la plus immédiate et extrême pour la sécurité du monde. Des terroristes détenant l’arme nucléaire pourraient se livrer à une destruction massive. Al-Qaida a dit être à la recherche de la bombe. Nous savons que des matériaux nucléaires non sécurisés sont présents dans le monde entier. Pour protéger nos populations, nous devons agir avec détermination et sans plus attendre.

Aujourd’hui, j’annonce un nouvel effort international afin de sécuriser dans les quatre années à venir tous les matériaux nucléaires sensibles dans le monde entier. Nous allons fixer de nouvelles normes, élargir notre coopération avec la Russie, et chercher à obtenir de nouveaux partenariats pour placer ces matériaux sensibles hors d’atteinte.

Nous devons également poursuivre nos efforts pour disloquer les marchés parallèles, détecter et intercepter les matériaux en transit, et utiliser des outils financiers pour déstructurer ce commerce dangereux. Comme cette menace est susceptible de durer, nous devons nous unir pour transformer des mesures telles que l’Initiative de sécurité contre la prolifération et l’Initiative globale de lutte contre le terrorisme nucléaire en institutions internationales durables. Nous allons commencer par la tenue d’un sommet mondial sur la sécurité nucléaire, qui aura lieu aux Etats-Unis d’ici l’an prochain.

Je sais que certains vont se demander si nous sommes en mesure d’agir sur un programme aussi vaste. D’autres vont douter de la possibilité d’une coopération internationale réelle, compte tenu des différences inévitables entre les nations (...).

Mais ne vous méprenez pas : nous savons où cela mène. Lorsque des nations et des populations se laissent définir par leurs différences, le fossé entre elles se creuse. Si l’on s’abstient de chercher à obtenir la paix, elle restera pour toujours hors de notre portée. Dénoncer ou dédaigner un appel à la coopération est facile et lâche. C’est ainsi que commencent les guerres. C’est ici que l’humanité cesse de progresser.

Nous devons affronter la violence et l’injustice de notre monde. Nous devons y faire face non en nous divisant, mais en nous unissant comme des nations libres, des citoyens libres. Je sais qu’un appel à prendre les armes plutôt qu’un appel à les déposer peut semer le trouble dans les consciences des femmes et des hommes. Voilà pourquoi les voix en faveur de la paix et du progrès doivent s’élever toutes ensemble.

Ce sont les voix qui résonnent encore dans les rues de Prague. Ce sont les fantômes de 1968. Ce furent les sons joyeux de la « révolution de velours ». Ce furent les Tchèques qui, sans tirer un coup de feu, aidèrent à faire chuter un empire doté de l’arme nucléaire.

La destinée de l’humanité sera ce que nous en ferons. Ici, à Prague, honorons notre passé en visant un avenir meilleur. Surmontons nos divisions, avançons en nous appuyant sur nos espoirs, et acceptons la responsabilité de laisser ce monde plus prospère et plus pacifique que nous l’avons trouvé. Merci."

(Traduit par Isabelle Chérel.)

http://www.lemonde.fr/idees/article...

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