Sophistes et sophismes
Bien sûr les sophistes ne manquent pas de souligner l’extinction des conflits intra européens durant les Trente glorieuses, autrement dit les sinistres années de Guerre froide. À l’Est, l’on se tenait coi dans le frigo collectiviste. Passons sur la révolte hongroise d’octobre 1956 et sa répression, passées par pertes et profit. À l’Ouest l’Europe – en tout cas les pays qui la composent, mais l’Europe est-elle autre chose que la somme de ses membres [1] ? – les guerres extérieures font rage. Mais extérieure ou intérieure, la guerre c’est la guerre. Après la fin des guerres dites de libération – Indochine 1945, Corée 1950, Madagascar 1947, Algérie 1954, Suez octobre 1956, Angola 1961, Mozambique 1964… pour les plus marquantes. Il n’est pas d’année sans que s’ouvre un nouveau front de guerre périphérique dans lequel l’un ou l’autre état européen ne soit peu ou prou engagé.
La construction européenne qui s’amorce concrètement après 1957 ne change rien à cela. En fait, la « paix » européenne n’est pas due au pacifisme de nations tard guéries des démons du nationalisme – d’ailleurs en reconstruction après s’être autodétruites - mais en raison de l’équilibre de la Terreur. Jusqu’en 1991 et l’effondrement soviétique, l’Europe vit dans la hantise d’un affrontement nucléaire entre les deux Blocs et l’actualisation – au sens aristotélicien – de la doctrine de la « destruction mutuelle assurée » ! La construction européenne n’a donc rien à voir avec la « paix » imposé de facto par les arsenaux atomiques et les dizaines de milliers de blindés se faisant face de part et d’autre du Rideau de fer, à chaque instant prêts à livrer l’ultime bataille du « Centre Europe ».
Puis, au contraire de ce que l’on eut été en droit d’espérer et d’attendre, la fin du monde communiste et la signature en 1992 du Traité de Maëstricht instituant l’Union, ouvre dès 1993 les portes de l’enfer avec un cycle de sept années de dures guerres balkaniques [2]. Celles-ci ne s’achèvent qu’au printemps de 1999 avec la destruction économique de la Serbie par l’Otan, après soixante-dix jours de bombardements criminels au sens littéral [3]. Là encore les vicieux sophistes vous diront que la Fédération yougoslave n’étant pas membre de l’Union, on ne saurait parler de guerre intra européenne. En vérité, belle et bien la première depuis 1939. Conflits à répercussions multiples – les Balkans sont toujours et encore inflammables à ce jour - et que l’on doit justement à l’Europe de Bruxelles…. L’Otan n’est pas l’Europe ajouteront les sophistes ! Certes l’on peut jouer longtemps sur les mots comme le faisait sur France Inter le 15 octobre le sénateur Jean-Louis Bourlange, gaulliste de gauche, parfait exemple des négationnistes des réalités les plus immédiates. Reste que les faits sont là : l’Otan c’est l’Europe et l’Europe c’est l’Otan, certes sous commandement américain, comme en Afghanistan où la chose est ouvertement officielle. Faut-il développer ?
Démocratie intempestive et agressive
Depuis vingt années et la naissance de l’Union, nous n’avons en vérité pas cessé d’être en guerre. Peut-être pas « chez nous », mais chez les voisins, alors qu’est-ce que cela change ? Et pas tous les États membres de l’Union à la fois, qui y vont suivant leurs intérêts du moment et leurs humeurs séparément, successivement, chacun dans son rôle et suivant ses compétences. Cela commence en 1991 en Mésopotamie, se poursuit en 2001 en Afghanistan, puis rebelote en Irak en 2003, sans oublier d’innombrables intervention « postcoloniales » dites de « maintien de la paix » en Afrique sub-saharienne, dans la Corne de l’Afrique et l’Océan Indien et autres opérations de stabilisation, en Bosnie, au Kossovo, en Macédoine, au Liban… Enfin, last but not least, directement ou indirectement en Libye et en Syrie où l’Otan – c’est-à-dire l’Europe plus l’Amérique du Nord – interviennent ou sont intervenus à des degrés divers, de façon plus ou moins conventionnelles… puisque de nouvelles formes de guerre, subversives et terroristes, sont désormais à l’œuvre sur des champs de bataille, guerres sans déclaration préalable, avec ou sans l’aval du Conseil de sécurité. Kosovo 1999, Irak 2003, Libye 2011, détournement de la résolution 1993 d’assistance humanitaire pour un bain de sang démocratiquement salafiste… guerre inavouée et inavouable, massacres de civils et des communautés minoritaires en Syrie ! Et puis enfin, les sanctions unilatéralement décrétées par l’Union européenne à l’égard de la République islamique d’Iran – la dernière en date le 15 octobre, après les rétorsions financières et l’embargo pétrolier à l’exportation, consistant pour Eutelsat à bannir les 19 chaînes iraniennes du satellite Hotbird – ne sont-elles pas autant d’actes de guerre ? Guerre qui ne dit pas son nom mais vise à asphyxier mortellement l’économie et la société iranienne ?
Le Nobel Obama « Monsieur Drone »
L’union a de toute évidence bien mérité son Nobel de la paix tout comme M. Obama – lequel brigue en ce moment même, toute honte bue, un deuxième mandat à la tête des États-Unis d’Amérique - a amplement justifié le sien en ayant fait participer son pays à quelque quinze conflits à travers le monde au cours de ses quatre année de présidence. Et, bien que cela n’ait jamais été officialisé, l’Administration Obama a toujours refusé de confirmer ou d’infirmer, le recours à des drones de guerre pour l’élimination des ennemis de la Grande Amérique. Un secret de Polichinelle et une pratique de règle au Pakistan, en Afghanistan, en Somalie, en Libye et cætera. L’armée américaine forme aujourd’hui à ce propos, davantage de pilotes de drones que de pilotes tout court ! Or, selon le quotidien londonien « The Guardian » du 5 juin 2012 : « le Bureau du journalisme d’investigation (BIJ), basé à Londres, estime qu’environ 830 civils, dont des femmes et des enfants, auraient perdu la vie lors des attaques de drones au Pakistan, 138 au Yémen, et 57 en Somalie ». M. Obama a de cette façon très largement justifié son Nobel de la Paix, inutile d’insister !
« L’Europe c’est la paix » - La Suisse manœuvre
En 2005 l’un des arguments de vente du Projet de Traité constitutionnel européen, l’unique véritable slogan de campagne, tenait en cette sentence orwellienne : « l’Europe c’est la paix ». Et apparemment plus le mensonge est énorme plus il passe comme lettre à la poste. Avec, il est vrai, l’inlassable unanime complicité des médias… et le muselage d’opinons publiques interdites de parole. Seule voix discordante, celle de l’eurodéputé eurosceptique britannique Nigel Farage pour lequel ce Nobel de la Paix « montre que les Norvégiens ont un réel sens de l’humour… l’UE a créé de la pauvreté et du chômage pour des millions de gens » [AFP]. Magnifique œuvre de paix sociale, en attendant des poussées de fièvres et des spasmes de guerre civile européenne, assortis de massif mouvements de populations. Le tout induit par une paupérisation galopante, notamment de l’Europe orientale … dans cette occurrence la Confédération helvétique mobilise cent mille réservistes pour la protection de ses frontières. [4]
Quant au « Nobel de la paix » 1983, Lech Walesa, figure charismatique du syndicat « Solidarité » lui aussi déplore un tel choix : « Je suis surpris et déçu ». Surpris ! On peut l’être en effet, déçu sans doute pas car si « la paix c’est la guerre » - Relire « 1984 » – l’Union européenne, faux-nez du laminoir mondialiste, nobélisée pour son œuvre de destruction méthodique de l’Europe réelle, a en effet bien mérité de ses commanditaires, Goldman Sachs à Manhattan et Rothschild à Londres… Plus tous les autres ! Une attribution au final révélatrice de la fonction politique et idéologique des Prix Nobel, en particulier celui d’Oslo.
Après tout n’oublions pas qu’il porte le nom d’un homme qui ne fut pas seulement l’inventeur en France de la dynamite – cette nitroglycérine stabilisée – mais plus encore l’associé indirect, par le truchement de son frère aîné Ludvig, des grandes banques d’affaires américaines pour la recherche et l’exploitation de l’or noir de la Mer Caspienne. À Bakou, à travers la Petroleum Production Company Nobel Brothers, Limited ou « Branobel », la multinationale avant la lettre de Ludvig Nobel détiendra à partir de 1875 et jusqu’à la Grande guerre et la Révolution bolchévique, quelque 50% de la production mondiale de brut. Ce sont 12% des capitaux de cette compagnie qui alimentèrent à l’origine le fonds Nobel destinés aux prix du même nom.