La diplomatie cherche généralement la paix, parfois la guerre, mais par des moyens qui lui sont propres et pour le second cas, dans des limites fixées par lois et coutumes régissant les rapports de forces entre nations. En tout cas c’est ce à quoi se sont efforcés la plupart des peuples parvenus à un certain stade d’évolution. La “guerre fleurie” que pratiquaient les Aztèques afin de se pourvoir en bétail humain destinés au sacrifice et à la consommation collective, était elle-même codifiées au plus haut degré. En ce qui concerne la diplomatie, interface entre des puissances potentiellement alliées ou antagonistes, le mensonge n’était appelé qu’à y tenir une place marginale, son usage n’intervenant a priori qu’exceptionnellement et à dose homéopathique. Ne confondons donc pas le mensonge en diplomatie et la ruse de guerre, autrement dit le “viol des foules par la propagande” en tant qu’arme de destruction massive de l’entendement humain, du sens moral des sociétés et in fine, de l’âme des peuples… Ce que d’aucuns nomment aujourd’hui les “guerres cognitives” de deuxième, troisième voire de quatrième génération [1]
. A contrario, en diplomatie, il s’agit d’avantage de gagner ses interlocuteurs à la cause par soi défendue que de leur forcer la main.
La diplomatie pervertie
À la rigueur s’agit-il de fausser leur jugement, mais ne confondons pas manœuvre dolosive et tromperie caractérisée. À ce titre la diplomatie est davantage un art de la conviction que de l’abus de confiance. Or aujourd’hui, précisément depuis 2003 et la diplomatie de la fiole de charbon brandie devant un Conseil de Sécurité médusé - mais incrédule - par le Secrétaire d’État Colin Powell, nous assistons à une mutation dégénérative de la diplomatie mêlant la guerre subversive, l’inversion accusatoire, la distorsion interprétative de la légalité internationale et la transgression de ses principes juridiques fondateurs. Partant nous voyons la trahison des Traités se systématiser à bas bruit assortie d’un usage très immodéré des Services spéciaux. Sans abus de langage, il est loisible de parler de monde orwellien où la paix signifie la guerre… À ce titre les faut comprendre que les forces d’interposition, de maintien de la paix, sont des acteurs dans des guerres travesties aux couleurs humanitariennes… souvent d’ailleurs sous couvert de révolutions colorées ou de printemps des peuples. Comprendre cela constitue le b-a-ba lexical nécessaire pour une lecture élémentaire des temps présents.
Il est vrai qu’aucun coup bas n’est a priori interdit à qui veut vaincre. À voir ! La fin ne justifie qu’exceptionnellement tous les moyens. Certes la morale des États ne saurait se réduire à la morale des individus, mais elle existe néanmoins quelque part, aussi serait-il opportun de s’en souvenir. N’est-ce pas d’ailleurs précisément au nom de la morale et de l’humanitarisme que le samedi 31 août, quatre jours avant le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, le monde a failli - à un cheveu près - connaître un nouvel embrasement… en France les ordres avaient été transmis et n’eut été la volte-face de dernière minute du président Obama à la suite d’une gaffe programmée à la fin d’une conférence de presse de son Secrétaire d’État Kerry, nous étions repartis comme en Quarante.
Des guerres dévastatrices mais jamais légalement « déclarées »
Dans l’affaire syrienne ont voit bien que la diplomatie s’adosse aux Services, et qu’ils y jouent un rôle majeur voire déterminant puisque ce sont eux qui orientent le cours des événements sur le terrain et alimentent les diplomates en arguments de plus ou moins mauvaise foi, fournissant l’habituelle logorrhée des arguties bellicistes, de celles qui s’étalent dans les champs d’épandage médiatiques. Des Services que l’on nommerait à tort “de renseignement”, puis que leur fonction est désormais moins d’informer les autorités compétentes de la situation exacte dans tel ou tel pays, en apportant au politique des données objectives, voire neutres sur les rapports de forces, les théâtres d’opération, que d’intervenir activement aux côtés de l’un des belligérants. En l’occurrence, dans le cas syrien - comme en Libye - une rébellion que l’on a soigneusement armée et encadrée (télécommunication, logistique) dans le cadre d’une guerre non déclarée mais bien effective… pour la défense dont on ne sait quels intérêts obscurs.
Car c’est bien là que le bât blesse. À part le sempiternel lamento des droits de l’homme, quels intérêts défendons-nous en combattant aux côtés – ou au service - de la Turquie islamiste et des pétromonarchies wahhabites, fondamentalistes et structurellement violentes [2] ? Dans ces conditions le renseignement ne rempli plus son rôle à la marge – c’est-à-dire sous-jacent à l’action politique, diplomatique et in fine militaire – mais détient motu proprio une capacité opérationnelle combattante. Jusqu’à acquérir une autonomie constitutive d’une menace pour l’État lui-même… ce qu’illustre avec profusion la surabondante filmographie hollywoodienne exploitant ce thème. Notons que les Services américains sont réputés s’autofinancer à travers le trafic transcontinental de narcotiques… l’Afghanistan ne s’est-il pas hissé au rang de premier exportateur mondial d’héroïne depuis son occupation en 2001 par la Force internationale d’assistance et de sécurité [ISAF], alias l’Otan ? Services et Agences d’État étant ainsi devenues des « Firmes » à part entière, autrement dit des acteurs oligopolistiques financiers s et militaires de la scène mondiale.
Quant à leur rôle d’opérateurs souterrain - mais avec implication directe - dans la genèse et le développement des conflits actuels, et sans remonter jusqu’aux sales guerres du Laos et de Cambodge, rien de nouveau sous le soleil. Cependant, entre 1979 et 1989, années de l’affrontement soviéto-afghan, la participation conjointe des Services américains et séoudiens en soutien à la Légion arabe d’Oussama Ben Laden et aux fondamentalistes wahhabites de Gulbuddin Hekmatyar [pour un débours avoisinant les 7 mds de $ sur dix ans], se fit par le truchement de l’ISI pakistanais [Inter-Services Intelligence]… et encore s’agissait-il d’une guerre ouverte ne visant pas de façon inavouée comme en Syrie au renversement d’un régime légal, membre de la Communauté des Nations. Régime dont la légitimité n’a pas été fondamentalement remise en question en ce qu’après deux ans et demi de guerre, le pouvoir baasiste de Damas est de toute évidence, toujours soutenu par une majorité de syriens de toutes obédiences confessionnelles.
Une diplomatie de l’imposture
Ceci étant posé et à ce titre, il sera sans doute nécessaire, le jour où les bilans seront arrêtés, de revenir sur le rôle exact de Paris et de ses Services spéciaux dans le montage de l’affaire des gazés de la Ghouta de Damas. Car si l’on en croit le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, l’attaque chimique du 21 août dans la banlieue de la capitale syrienne, aussitôt attribuée au régime, avait été détectée le jour même par la Direction du renseignement militaire [DRM] [AFP13spt13]. Que ne l’a-t-il dit plus tôt, cela aurait coupé court à de nombreuses discussions oiseuses ! Le ministre devait ajouter que « le renseignement est au cœur de l’autonomie d’appréciation et de décision de la France ». Resterait à savoir de quelle autonomie il s’agit véritablement et par rapport à quoi ?
Le gouvernement avait en effet rendu public le 2 septembre des documents secrets déclassifiés tendant à prouver l’implication du régime syrien dans l’attaque meurtrière du 21 août visant des civils. Reste que présomption n’est pas preuve et que tous les experts s’accordent à souligner que ce fameux rapport déclassifié – déjà sur la forme - est un faux en ce sens qu’il a été fabriqué par les politiques pour les besoins de la cause, et n’émane pas en droite ligne des Services dont les synthèses ont été d’évidence falsifiées [3]. Souvenons-nous de ce mémoire de maîtrise d’un étudiant anglais – hypostasiant un délai de 45 minutes pour le lancement d’une attaque irakienne aux armes biologiques ou chimiques [4] - transmis à Washington afin de nourrir le dossier à charge anti Saddam, et repris, aux fautes d’orthographes près, par le Département d’État. Nous ne sommes pas loin, à notre grande honte, de ce type d’épure… ceci montrant à la fois la stupidité et le cynisme des gens qui prétendent assurer le gouvernement de l’espace hexagonal.
Beaucoup plus grave, l’hypothèse selon laquelle les Services français auraient pu tremper dans l’organisation de la macabre mise en scène du massacre de la Ghouta. C’est ce que semble pourtant sous-entendre l’ancienne présidente du Sénat belge, Anne-Marie Lizin qui, dans un entretien 21 septembre 2013 accordé au site libanais « al-Manar TV’s » [5] - certes organe du Hezbollah, mais cela n’en fait pas automatiquement des truqueurs invétérés ! - mentionnait qu’un « noyau du renseignement français ferait partie de la manipulation relative à l’usage de l’arme chimique imputé au gouvernement syrien »… Précisant qu’en Syrie « la France se trouve impliquée, dans le soutien apporté aux terroristes » - ce qui de facto devrait en tout logique en faire un État terroriste, non ? – avant de conclure que beaucoup dans la classe politique européenne et notamment à Londres, savent « que seuls des Services de renseignement [hautement compétents] sont susceptibles de fabriquer des vidéos illustrant une attaque chimique ». Si ces faits se trouvaient avérés, nous serions bien alors dans le cas de l’une de ces constructions de réalité propres au guerres cognitives, virtuelles, précurseurs des guerres armées.
Laissons au Colonel Alain Corvez, ancien conseiller du Général commandant la Force des Nations unies au Sud Liban [Finul], ancien conseiller en relations internationales au ministère de l’Intérieur, le soin de ne pas conclure… « Cette déclaration de madame Lizin est à prendre sérieusement en considération car des membres de nos services ne peuvent pas être d’accord avec l’utilisation que l’on fait d’eux, à commencer par la “note classée déclassifiée” qui n’émane pas des services mais de Matignon où un énarque de service a sans doute été chargé de la rédiger dans le sens voulu, en s’appuyant sur des données de base que tous les services possèdent depuis longtemps et qu’ils ont fourni par obéissance au politique. Mais cette note ne contient d’ailleurs rien de nouveau, si ce n’est une présomption de culpabilité du gouvernement syrien sans preuves nouvelles, avec des élucubrations sur la tactique de l’Armée syrienne »… « Cependant il est connu que nos services sont présents sur le théâtre des opérations, sur l’ordre des politiques qui nous gouvernent dont l’obsession est de renverser le régime légal, ce qui ne peut laisser la place qu’aux jihadistes qui sont maintenant les maîtres du terrain. Quant au raisonnement stratégique et à l’intérêt de la France… ».
Léon Camus 30 sept. 2013