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Industrie française : « le vol est parfait »

samedi 7 décembre 2013

Dans le contexte de la Guerre froide marqué par la stratégie d’hégémonie des deux blocs, l’espace revêtait, à l’instar du nucléaire, un rôle de tout premier ordre. C’est pourquoi, l’affirmation de la politique d’indépendance nationale conduite par le Général de Gaulle s’exprima par l’entrée de la France dans la compétition spatiale.

LE PARADOXE FRANÇAIS : UN GRAND PAYS SPATIAL SANS DISPOSITIF JURIDIQUE NATIONAL

A. LA FRANCE, MOTEUR TRADITIONNEL DE L’EUROPE SPATIALE

1. Notre pays fut historiquement la troisième puissance spatiale mondiale

Ainsi, afin de répondre à la double exigence d’assurer le lancement de satellites civils et militaires, fut créé en 1961 le Centre national d’études spatiales (CNES), établissement public scientifique et technique à caractère industriel et commercial17(*) chargé de deux types de missions

  • au plan scientifique, il a pour vocation de présenter au Gouvernement les programmes de recherche d’intérêt national dans le domaine spatial ;
  • au plan technique, il est chargé de mettre en œuvre ces programmes soit en s’appuyant sur les réseaux de laboratoires et d’établissements techniques qu’il a la faculté de constituer en concluant des conventions de recherches avec d’autres organismes publics ou privés, soit en diversifiant ses sources de financement

Pour assurer ces missions, le CNES dispose de trois centres techniques : la direction des lanceurs située à Evry, le Centre spatial de Toulouse où sont conçus les satellites et le Centre spatial guyanais (CSG) de Kourou où sont effectués les lancements.

Les premiers résultats interviendront rapidement avec le lancement de la fusée civile Diamant A et du satellite Astérix en 1965, hissant la France au rang de troisième puissance spatiale derrière les deux Grands et devant le Royaume-Uni et le Japon.

Depuis lors, notre pays n’a cessé de figurer parmi les grandes nations spatiales, grâce non seulement à une forte implication des pouvoirs publics18(*) et de l’industrie nationale, mais aussi à l’inscription de ses ambitions dans le cadre élargi de l’Europe spatiale.

2. Un rôle central dans le succès de l’aventure spatiale européenne

Peu après son émergence comme puissance spatiale, la France a en effet favorisé la coopération multilatérale au sein de l’Europe.

C’est ainsi qu’après avoir participé d’une part, à l’Organisation européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d’engins spatiaux19(*) et d’autre part, à l’Organisation européenne de recherches spatiales, la France oeuvra très activement à la création en 1975 de l’Agence spatiale européenne (ASE).

Ce développement de la politique spatiale française s’est d’ailleurs traduit par le caractère de priorité budgétaire donné à ce secteur en termes, tant de politique de recherche que de politique industrielle. Ainsi, en 2007, le budget spatial s’élevait à 2 milliards d’euros20(*), dont près de 90 % étaient affectés par l’intermédiaire du CNES, ce qui plaçait la France au troisième rang mondial derrière les Etats-Unis et la Russie et donc, à la première place en Europe, avec 37 % de l’investissement spatial de l’Union européenne21(*).

Ces moyens sont répartis entre l’ASE, pour laquelle la France est le premier contributeur avec 685 millions d’euros en 200522(*), et les programmes nationaux. Enfin, la France se distingue aussi en Europe par l’ampleur de son effort budgétaire en faveur des programmes spatiaux militaires. A elle seule, elle fournit plus de la moitié de l’effort spatial européen militaire, avec une contribution de 460 millions d’euros en 200723(*).

De plus, au-delà de sa contribution financière de premier ordre, la France a joué un rôle d’impulsion au sein de l’ASE en veillant à ce qu’elle dispose d’une capacité d’accès autonome à l’espace, tant par son soutien au développement d’un lanceur européen que par la mise à disposition de la base du CNES à Kourou.

3. L’implication française dans le programme Ariane

La France a joué un rôle moteur dans la création du programme Ariane, qui constitue la plus belle réussite de l’Europe spatiale. A ce titre, le CNES a assuré la maîtrise d’ouvrage déléguée pour le développement du lanceur européen, depuis les prémices du programme jusqu’à une date récente. Au-delà de la prouesse technique, ce lanceur apparaît aussi comme une réussite commerciale reconnue par tous.

Arianespace, société chargée de sa commercialisation, détient en effet aujourd’hui 50 % du marché des lancements ouverts à la concurrence internationale. Ce succès est source de développement économique en Europe : entre 1998 et 2003, la production du lanceur Ariane a contribué au cinquième de l’activité spatiale européenne, représentant un chiffre d’affaires avoisinant le milliard d’euros. Les vicissitudes rencontrées par Ariane 5 à ses débuts en 2002 n’ont en rien conduit la France à se désengager du programme Ariane 5 Plus, qu’elle a financé, au titre de l’année 2005, à hauteur de 51,6 %, alors que l’Allemagne n’assurait, quant à elle, que 19 % de son financement24(*). Le soutien français a incontestablement permis à Ariane 5 d’entrer avec succès dans une phase d’exploitation commerciale, 22 tirs ayant déjà été réalisés dont 11 pour la version lourde du lanceur25(*).

Par ailleurs, l’édification et l’entretien du port spatial européen sont à mettre essentiellement au crédit de notre pays qui, à compter de 1976, a mis au service du programme européen la base de Kourou, idéalement située sur l’équateur26(*). A ce titre, le CNES est responsable, pour le compte du gouvernement français, de la sécurité et de la surveillance des lancements.

4. La France a aussi su développer des capacités satellitaires de premier plan

Dès 1965, le CNES s’est montré soucieux de répondre aux besoins en matière de satellites d’applications à finalité commerciale ou de service public, dans les domaines de la télécommunication, de la télédiffusion, de l’observation de la Terre, de la météorologie et de la navigation. Dans cette perspective, la France a alors proposé l’introduction de satellites d’applications dans les programmes de l’Organisation européenne de recherche spatiale, mais en vain. C’est pourquoi, les programmes opérationnels d’application Spot pour l’observation de la Terre, Télécom-1 pour les télécommunications et TDF-1 pour la télédiffusion ont été développés dans le cadre de coopérations internationales à géométrie variable.

Ainsi, le programme Spot (« Satellite pour l’observation de la Terre ») répondait aux besoins civils d’observation de la Terre requis par l’exploration et la cartographie des ressources terrestres ainsi que par la surveillance des phénomènes naturels. Initié courant 1977, ce programme conduira au lancement, en 1986, en partenariat avec la Belgique et la Suède, du satellite Spot-1 qui collectera, durant les six premières années suivant sa mise en service, près de 1,9 million d’images. Cette réussite sera suivie par quatre autres réalisations jusqu’au satellite Spot-5, toujours actuellement en service à l’exception de Spot-3, qui ne fonctionne plus. (Fort de l’intérêt que suscitent les observations de ces différents satellites civils pour la défense nationale, les résultats obtenus par ces programmes ont également permis le lancement, sous l’égide de la DGA et en coopération avec l’Italie et l’Espagne, du satellite de reconnaissance militaire Helios.

D’autres programmes, comme Télécom-1 et TDF-l, répondent, quant à eux, à un objectif nettement plus commercial. Développé en partenariat avec le satellite allemand TV-SAT et parallèlement au programme européen de télécommunications conduit par l’ASE, Télécom-l fournit les liaisons de téléphonie classiques entre d’une part, la métropole et les départements d’outre-mer et d’autre part, les Antilles et la Guyane ainsi qu’un système de communication protégé au ministère de la défense.

Conformément à cette tradition, l’action de la France a été déterminante dans l’initiation des programmes européens de navigation de localisation et de synchronisation par satellites EGNOS et Galileo. Elle y a constamment joué un rôle fédérateur, en vue de résoudre des rivalités nationales qui apparaissaient entre certains de ses partenaires. Son industrie s’est, quant à elle, particulièrement impliquée dans la charge utile de ces satellites, les systèmes d’information et dans leur sécurité. L’accord intervenu à l’automne 2007 prévoyant que l’Union européenne assure le financement du déploiement de l’ensemble du système constitue un évènement renforçant considérablement l’assise de ce programme.

La France joue ainsi un rôle majeur dans l’ensemble des activités spatiales, rôle dont votre rapporteur se félicite et qu’il souhaite vivement voir maintenir malgré une concurrence internationale de plus en plus vive27(*). Mais du fait de cette forte implication, l’Etat français se trouve affecté par les lourdes obligations qu’impose le droit international, alors que les activités spatiales ont un caractère de plus en plus privé et de plus en plus international.

Cette tension est d’autant plus forte que, contrairement à la plupart de ses partenaires, la France n’y a pas encore répondu par la mise en place d’un cade juridique national.

B. UNE CARENCE D’ENCADREMENT JURIDIQUE QUI DOIT ÊTRE PALLIÉE

1. La nouvelle donne spatiale

La nouvelle donne spatiale mondiale rend nécessaire la mise en place de cadres nationaux donnant effectivement aux Etats les moyens de contrôler les opérations et de faire respecter certaines règles qu’il leur revient d’édicter.

a) Un cadre juridique national permet aux Etats de remplir leurs obligations conventionnelles

L’article VI de la Convention de 1972 prévoit l’obligation pour les Etats de « veiller à ce que les activités nationales soient poursuivies conformément aux dispositions énoncées dans le présent Traité ». S’agissant des activités non gouvernementales, leur autorisation doit aller de pair avec leur surveillance continue. Or, la nouvelle donne spatiale conduit à ce que ce contrôle étatique passe de moins en moins par une capacité d’orientation économique du secteur (par l’actionnariat ou la commande publique), ce qui nécessite un renforcement de l’encadrement juridique des activités.
b) Un cadre juridique permet aux Etats de protéger à la fois leurs intérêts et ceux des opérateurs en cas de dommage

Les lois nationales sont également indispensables pour définir les conditions de mise en œuvre de la responsabilité financière de l’Etat de lancement. Le fait qu’une activité menée par une entreprise conduise l’Etat dans lequel elle est installée à devenir ipso facto « Etat qui fait lancer » et donc, à lui conférer une responsabilité majeure, rend indispensables les dispositions législatives permettant de s’assurer des conditions de ce lancement.

Les Etats peuvent aussi limiter les risques d’engagement de leur responsabilité en imposant des règles sur la solvabilité des entreprises concernées, par exemple en instituant des obligations de garantie financière ou d’assurance.

Mais l’édiction de ces règles peut aussi être l’occasion de sécuriser les activités des les entreprises nationales en leur apportant une garantie de l’Etat, par exemple dans le cas où l’indemnisation des victimes excèderait un certain montant. Un tel système a pour intérêt de ne donner dans les faits qu’un caractère subsidiaire à la responsabilité de l’Etat de lancement28(*) tout en garantissant une limitation du risque financier des entreprises.

Ces différentes justifications de l’intérêt de disposer d’un cadre juridique national n’ont d’ailleurs pas échappé à plusieurs pays, qui s’en sont récemment dotés.

Les États-Unis, avec le « Commercial Space Launch Activities Act » adopté en 1984, suivis en 1996 par la Russie avec la loi fédérale sur les activités spatiales puis par l’Allemagne, la Belgique, la Suède, le Chili, le Brésil ou encore l’Australie en 2005, se sont successivement dotés de lois spatiales nationales répondant à deux exigences principales : d’une part, inciter et garantir les investissements privés dans le secteur spatial et, d’autre part, assurer la conformité des pratiques des opérateurs non gouvernementaux avec les engagements internationaux souscrits au niveau étatique.

Ces dispositifs juridiques partagent plusieurs caractéristiques essentielles. Ils ont en commun de définir un régime précisant la responsabilité des opérateurs spatiaux à raison des dommages causés aux tiers et de les obliger à souscrire une assurance ou à fournir une garantie. Ils visent aussi à préciser les modalités d’intervention de la garantie de l’État pour les dommages dont la réparation excède certains montants. En outre, ces lois règlent les questions de propriété intellectuelle, d’assurance et de garantie qui incombent aux opérateurs spatiaux et fixent les normes de construction applicables aux lanceurs et aux satellites.

Notons toutefois que ces similitudes ne sont pas exclusives de certaines grandes différences entre les législations29(*), en particulier en ce qui concerne les modalités du contrôle exercé sur les activités spatiales par la puissance publique. La portée des textes nationaux diffère aussi en fonction du contexte propre à chaque pays : ainsi le Royaume-Uni dispose-t-il d’une législation spatiale couvrant un grand nombre de situations en raison de la forte implication du pays dans les activités spatiales, alors que la législation suédoise se concentre principalement sur les lancements effectués depuis la base de Kiruna30(*) et que la législation belge traite surtout du régime de responsabilité de l’Etat lanceur.

Quoiqu’il en soit, la décennie écoulée a vu le droit spatial multilatéral se doubler de nombreux dispositifs nationaux, y compris dans des pays où les activités spatiales sont relativement modestes.


2. L’actualité renforce le besoin d’un cadre juridique français

Puissance spatiale de premier plan, la France est déjà concernée à plusieurs titres par les activités spatiales, au travers des opérateurs spatiaux qu’elle abrite et du port spatial qu’elle met à disposition de l’Agence spatiale européenne.

Il est toutefois important de souligner que l’Etat devrait connaître prochainement de nouvelles expositions aux risques juridiques liés aux activités spatiales, du fait de la politique d’ouverture du centre de Kourou à des lanceurs originaires de nouveaux pays. C’est ainsi qu’à partir du premier semestre 2009, le centre spatial guyanais devrait voir décoller des fusées russes de type Soyouz et des fusées italiennes de type Vega.

Si ces deux coopérations industrielles bénéficient d’un encadrement juridique conventionnel rigoureux, négocié d’Etat à Etat, il n’en demeure pas moins qu’elles marquent l’entrée de la France dans une ère de banalisation progressive des échanges en matière d’opérations spatiales. Ceci rend d’autant plus nécessaire la mise en place d’un cadre national applicable à l’ensemble des situations.

Il n’est par exemple pas évident que le CNES puisse continuer d’assurer le fonctionnement du centre de Kourou, s’il ne peut offrir aucun fondement juridique solide face à des entreprises étrangères nouvelles installées sur le site guyanais, qui contesterait l’autorité de l’organisme public ou certaines mesures qui leur seraient imposées par les agents du centre31(*).

Il est essentiel, non seulement pour des raisons pratiques mais aussi pour envoyer un signal fort, que la France adopte sa loi spatiale en 2008, c’est-à-dire avant les premiers lancements Soyouz ou Vega.

* 17 Loi du 19 décembre 1961.

* 18 L’action du CNES sera ainsi complétée par celle de l’Office national de recherche et d’études aérospatiales (ONERA) et par celle de la Délégation générale à l’armement (DGA) qui élargira, après la première guerre du Golfe, ses domaines d’intervention en matière satellitaire au-delà des seuls programmes strictement militaires.

* 19 Créée en 1962.

* 20 Source : ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur.

* 21 A titre de comparaison, les crédits consentis par l’Allemagne étaient estimés en 2006 à 1,20 milliard d’euros, soit 40 % de moins que le budget français.

* 22 Soit 30,1 % du budget de l’organisation.

* 23 Conseil économique et social - 2004.

* 24 Source : ministère de la recherche et des nouvelles technologies.

* 25 Dite version ECA.

* 26 Choisi le 14 avril 1964, le site de Kourou s’est vu doter de ses premières infrastructures de lancement en 1967.

* 27 Cette évolution de la concurrence se constate d’une part, au niveau intra-européen, avec la montée en puissance très rapide de l’Allemagne que votre rapporteur a pu constater à maintes reprises et d’autre part, au niveau mondial, ce qui nous place face à des choix stratégiques, comme rappelé par le rapport d’information de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques « Politique spatiale européenne : l’audace ou le déclin », du 4 n° 223 (2006-2007) du 3 février 2007.

* 28 Car les victimes préfèreront probablement mettre en cause des entreprises solvables et assurées plutôt que d’actionner la lourde procédure diplomatique pour engager la responsabilité de l’Etat de lancement.

* 29 Voir l’annexe I.

* 30 Base de lancement située en Laponie suédoise.

* 31 Il est notamment prévu la répartition de la réparation des dommages aux tiers entre la Russie et la France, alors même que la société Starcem, responsable des fusées Soyouz lancées de la base de Kourou, est localisée dans notre pays.

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