Une Invasion coloniale rebaptisée pudiquement « débarquement »
Le 8 février 1944, l’Opération Overlord - Opération Big Boss, tout un programme - pour l’invasion du nord-ouest de l’Europe par les forces Alliés, est définitivement adoptée par les chefs d’État-Major [veterans.gc.ca]. C’est ce mot d’invasion que l’on retrouve sempiternellement traduit par débarquement : solécisme ou barbarisme du troisième type ? Au choix, bon choix ! En fait les grandes lignes en avaient été tracées entre le 14 et le 24 janvier 1943 à la Conférence de Casablanca dite Conférence d’Anfa pour les anglo-saxons, et à laquelle de Gaulle et Giraud assistèrent.
Aujourd’hui avec le recul nécessaire mais aussi avec l’aide d’historiens, paradoxalement américains – grâce leur soit rendue, en fait le paradoxe n’est qu’une trompeuse apparence car eux seuls peuvent parler – de voir ce qui s’est réellement passé lors de ces événements sismiques de forte magnitude sur l’échelle de la barbarie moderne.
Ainsi derrière les fanfares triomphales nous redécouvrons – parce que la vérité à toujours été connue de ceux qui voulait bien se donner la peine de ne pas l’ignorer – que se cache une réalité passablement sordide venant immédiatement après l’effondrement des défenses allemandes et l’extinction des derniers grésillements du phosphore… ayant cessé faute de chair à consumer dans quelques malchanceux bourgs et villages normands ! Précisons que ces Normands étaient à cet époque où le napalm n’était pas encore inventé mais où le phosphore faisait déjà merveille, des indigènes assez ignorants de la modernité pour croire qu’il suffisait de se terrer dans son cellier entre deux tonneaux de cidre pour espérer échapper aux grappes de bombes incendiaires déversées sur leurs villages. Cependant il devrait y avoir quelque part des rescapés, à l’instar des témoins encore vivants ayant survécu à Auschwitz. Rescapés à ces feux aériens généreusement distribués à quelques poignées d’autochtones terrés dans leurs cahutes par les onze mille aéronefs que nos libérateurs avaient mobilisés ce jour-là pour la grande fête de la Liberté… Las, ces réchappés de l’enfer n’intéressent plus personne et surtout pas les journalistes qui ne se sont pas préoccupés ni de les trouver ni de les interroger… Comme c’est dommage, comme c’est étrange !
Une « déferlante sexuelle » sur la France
Pour aller droit au fait, outre les 70 000 morts français dus aux bombardement alliés pendant la durée du conflit – des alliés qui n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère du haut de leurs forteresses volantes larguant leurs engins au petit bonheur la chance à dix mille mètres d’altitude, surtout les Canadiens - l’on parle de 18 000 viols américains en Angleterre, en France... et en Allemagne. Des crimes contre dont seule une infime minorité fut punie.
Est-ce à dire que les dignes fils de l’Amérique se fussent à ce point mal comportés ? On comptera par ailleurs, pour la seule France, plus de 10 000 GI’s déserteurs qui semèrent la terreur dans le pays... Les habitants de la Porte des Lilas se souviennent des hurlements sortant des murs de la caserne Mortier où la police militaire américaine internait ses forcenés délinquants. Les historiens nous dirons si, effectivement, les Yanks avaient vidé leurs prisons pour constituer leurs troupes de choc. Ce serait à ce titre la lie de la population américaine qui aurait constitué les premières vagues d’assaut s’abattant sur la France [1] . Or il fallait bien se payer sur la bête, à savoir les autochtones… Écoutons ce qu’en dit en juin 2013 l’hebdomadaire bien-pensant l’Express, lequel publiait un entretien avec l’américaine Mary Louise Roberts, professeur à l’Université du Wisconsin-Madison [2].
L’entretien portait sur sa monographie historique intitulée « What soldiers do », relative aux débordements sexuels de la soldatesque américaine que le magazine de feus Servan Schreiber, père et fils et de Mme Giroud, qui fut leur intime, qualifie de « déferlante sexuelle s’étant abattue sur la France de la Libération ». Ci-après de larges extraits passablement édifiants, montrant – tant pis pour notre vanité nationale - que la France n’était aux yeux des américains qu’un vaste bordel avec baise à gogo ; habitée par une peuplade d’arriérés tout juste bonne à être envahie et colonisée. Un jugement sans appel qui n’est pas sans rappeler celui maintes fois exprimés par M. BH Lévy et consort, ses amis et émules, qui ne voient dans le franchouillard de base - « biniou, béret, baguette » - qu’un animal à deux pattes, inabouti et assez répugnant.
Le ventre des Françaises en libre accès
L’Express : Les Américains avaient-ils vraiment prévu de faire de la France un grand défouloir sexuel pour leurs soldats ?
Mary Louise Roberts : En épluchant la presse militaire, en particulier le magazine Stars and Stripes, on réalise que toute l’expédition américaine en Normandie a été vendue aux soldats comme une formidable opportunité sexuelle. Ailleurs, sur le front du Pacifique, il était facile de motiver les troupes, car les Japonais nous avaient attaqués. En Europe, en revanche, les Allemands représentaient un ennemi différent : des Blancs difficiles à diaboliser au moyen de stéréotypes raciaux. L’état-major américain avait donc besoin de trouver un stimulant basique et efficace qui encourage ces jeunes hommes à débarquer sous les balles à Omaha Beach. C’est pourquoi on a sexualisé à outrance l’enjeu de la future bataille sur le sol français.
L’Express : Comment a-t-on procédé ?
Mary Louise Roberts : La réputation libertine de votre pays est confortée par les souvenirs vécus, mais souvent très exagérés, du contingent américain venu en renfort pendant la Première Guerre mondiale, en 1917. Un dessin de Stars and Stripes montre deux GI traquant des jeunes filles dans un village.
L’un d’eux dit : « Papa m’a beaucoup parlé de cet endroit ! » Le Guide pratique à l’usage des GI’s en France, en 1944, est à cet égard un chef-d’œuvre de duplicité alléchante : « On dit que les Françaises sont faciles. Mais en fait, pas du tout ! »… Pourtant les soldats qui rampent sous le feu allemand le 6 juin 1944 portent tous un lot de cinq préservatifs distribué avec leurs munitions... [L’accueil réservé en France par la gent féminine au GI’s] conforte l’image d’un pays dénué de morale, tel qu’a pu le décrire Joe Weston, un journaliste de Life, en 1945 : « La France est un gigantesque bordel habité par 40 millions d’hédonistes qui passent leur temps à manger, boire et faire l’amour ».
Un peuple lascif, primitif, indolent, irresponsable
L’Express : Les Américains ne prennent pas la France au sérieux ?
Mary Louise Roberts : On connaît l’inimitié de Roosevelt envers de Gaulle et le peu d’appétition des Américains pour le rétablissement rapide de la souveraineté française. Le cliché d’une nation de débauchés justifie tacitement le contrôle total de la France au nom des priorités politiques et militaires américaines. Il porte les relents d’un classique discours colonial décrivant le peuple dominé comme trop lascif, primitif, indolent et irresponsable pour s’administrer lui-même.
L’Express : On sait à quel point les Françaises appréciaient les GI !
Mary Louise Roberts : [Les Céfrancs] ne peuvent rivaliser avec ces étrangers exotiques, athlétiques, bien nourris, chargés de cadeaux inestimables [chocolat, cigarettes, chewing-gum] et assez riches pour sortir les filles au cinéma. C’est une humiliation terrible. Les Français ont vécu quatre ans dans une bulle, privés d’informations. L’arrivée des Américains leur révèle le niveau où est tombé leur pays. À la joie de la Libération succède un profond traumatisme devant le manque de respect des libérateurs à leur égard… Les témoignages et les lettres des soldats sont clairs : ils méprisent ces hommes qui, à leurs yeux, se sont montrés incapables de repousser les Allemands en 1940. Les femmes tondues horrifient les Américains et confirment leur verdict : si des Françaises ont couché avec l’ennemi, c’est parce que leurs hommes, trop faibles, n’étaient pas « maîtres chez eux ». Leur vengeance sur les femmes n’en apparaît alors que plus minable.
L’Express : Les clichés du French Bashing datent donc de cette époque ?
Mary Louise Roberts : Oui, ces stéréotypes sont toujours présents dans les mentalités américaines : le Français veule et collaborateur ou piètre militaire et inepte en matière de technologie. Certains dessins humoristiques de Stars and Stripes de l’époque illustrent parfaitement cette émasculation symbolique du Français. On y voit l’un de vos compatriotes, affublé de grosses lèvres sensuelles et féminines, tenter d’embarquer dans la Jeep de deux GI noyés sous des filles. D’autres décrivent sans relâche le Français comme un danger public sur la route, non par intrépidité mais parce qu’il ne sait pas conduire. Sous-entendu... comme les femmes.
Un tsunami de libido
L’Express : Vous décrivez un pays soumis à la déferlante sexuelle des boys. L’état-major ne réagit pas ?
Mary Louise Roberts : C’est un tsunami de libido, d’autant plus difficile à cacher ou à canaliser que le commandement américain interdit officiellement l’ouverture de bordels, de crainte que cela ne provoque un scandale aux États-Unis. À Brest, le général Gerhardt en ouvre tout de même un. Qui sera fermé cinq heures plus tard par le chapelain militaire, non sans avoir accueilli 70 clients. L’armée, très inquiète devant la recrudescence des maladies vénériennes depuis l’arrivée massive de prostituées en Normandie, distribue des préservatifs et tient des postes sanitaires à disposition des boys. Mais elle laisse les civils subir la vision permanente des ébats des GI’s. Au Havre, par exemple, on ne peut plus aller au cimetière sans y trouver des soldats en train de copuler. Avec une condescendance odieuse, le commandement militaire considère que les Havrais, en bons Français, n’y trouveront rien à redire ! Du coup, les autorités civiles doivent, seules, se charger du trouble à l’ordre public. Dans les minutes du conseil municipal, j’ai ainsi retrouvé les propos d’un élu qui note que les Allemands, eux au moins, savaient organiser la vie sexuelle de leurs militaires.
Paris Saint-Graal du sexe
Mary Louise Roberts : Pour les GI’s, Paris est le Saint-Graal du sexe, le lieu où ils viennent passer leurs quarante-huit heures de permission avant de repartir risquer leur vie au front. Dès le départ, le commandement américain, tout en niant le recours des boys à la prostitution, s’est empressé de réguler l’accès aux maisons closes en déterminant par exemple celles qui pouvaient être réservées aux soldats noirs. Mais les bordels ne sont pas assez nombreux pour répondre à la demande massive des Américains. Commence l’âge d’or du trottoir et des maquereaux. Les soldats américains auront ainsi contribué à bouleverser le monde de la prostitution...
[Notons qu’en 1944, l’apartheid sévit dans les rangs de l’armée américaine ! Intéressant non, de la part de ces immenses donneurs de leçons ?]
L’Express : Votre livre est éloquent, notamment sur la question des viols, dont on accuse avant tout les GI noirs.
Mary Louise Roberts : Des viols ont lieu, c’est certain. Mais les Noirs en sont rendus responsables de façon disproportionnée. Faute d’être autorisés à combattre, en raison de leur race [ !? remarque identique… nous serions curieux de savoir pourquoi les afro-américains sont alors planqués loin de la ligne de feu ?], ils sont assignés à l’arrière, à des postes sédentaires dans l’intendance… L’armée est, à l’époque, une institution raciste, qui les utilise comme boucs émissaires quand son image risque d’être compromise par des crimes [nous allons voir plus loin qu’un autre expert fait litière de cette affirmation en partie gratuite]… Les Normands, par exemple, qui n’ont parfois jamais vu un Noir auparavant [pas même aux actualités filmés, des arriérés vous-dis-je !], réagissent selon les pires clichés coloniaux du sauvage hypersexué. Ainsi, la région, que j’ai particulièrement étudiée, semble connaître une invraisemblable vague de viols pendant l’été 1944. Or ces accusations portées par des Françaises se révèlent, pour 40 % d’entre elles, totalement infondées. En lisant la presse locale et les rapports de police, on perçoit une hystérie presque apocalyptique. Souvent, ces Français, qui ont subi les atroces bombardements alliés et vécu les affres de la défaite et de l’Occupation, voient dans la présence des Noirs et dans leurs relations - même les plus banales - avec les femmes le signe d’une nouvelle humiliation nationale [lexpress.fr26juin13].
[Dans le hameau Quibou, en Basse Normandie, la tombe de la famille Guérin porte cet épitaphe « Louis Guérin Tué par les noirs 1913-1944 ». Louis Guérin fut en effet tué par un de nos libérateurs pour avoir voulu protéger sa femme. La fiche relative au village de Quibou a récemment disparue du site normandie44lamemoire.com ! Sans commentaire, quoique qu’une hirondelle ne fasse pas le printemps objecteraient avec raison nos amis mélanophiles.]
À propos des viols « acceptables »
Après l’Express nous avons trouvé notre deuxième grande source avec « Libération » que l’on ne saurait décemment accuser de complaisance - pas plus d’ailleurs que le premier organe cité – à l’égard des relectures nostalgiques de l’histoire. En fait il s’agit du fameux professeur de criminologie à la Northern Kentucky University, J. Robert Lilly qui a publié en 2003 à Paris « La Face cachée des GI’s ». Bien que cette monographie eut été écrite en anglais, le livre de Lilly n’a jamais été publié - à notre connaissance - aux États-Unis [liberation.fr2juil04].
Interrogé par Libération sur le nombre estimé de viols perpétrés par les Boys à partir des archives de la justice militaire américaine, Robert Lilly, dont l’expertise est précieuse en ce domaine, notamment par son degré élevé d’objectivité, répond : « le nombre de viols signalés par l’armée américaine est de 181 pour la France - 121 en Angleterre, 552 en Allemagne – et ce furent 116 soldats américains qui furent jugés pour viols en France. Or [il faut souligner que] le viol est l’un des crimes les plus sous-représentés dans les archives : on estime à 5 % le nombre de viols déclarés par rapport aux violences réelles. J’en conclus que le nombre de viols en France causés par des soldats américains fut d’environ 3 500, contre 2 500 au Royaume-Uni et 11 000 en Allemagne. Les viols commis en Allemagne représentent deux tiers de ces estimations, mais aucun soldat américain n’y a été condamné à mort [si, mais les exécutions avaient lieu en France : tel le cas de cet afro-américain qui avait tué une famille entière parce que la fille qu’il convoitait avait ses règles]. Dans le cas de l’Angleterre et de la France, il s’agit donc de crimes sexuels en temps de guerre, dont les auteurs sont considérés comme criminels ; dans celui de l’Allemagne, ces actes sont considérés comme des « viols de guerre » où les circonstances et la nationalité des victimes les rendent en quelque sorte « acceptables ».
Les viols de jeunes strasbourgeoises par les Tabor marocains de Leclerc, dit de Hauteclocque, qu’évoque Nimier dans « Le Hussard Bleu » [1950] étaient-il au même titre des « viols acceptables » ?
Un comportement largement banalisé en cette époque libératoire
Tout comme Louise Roberts, Lilly entend exonérer le soldat combattant de ces crimes pour en rejeter la faute sur les membres des troupes d’intendance. Mais au contraire de celle-ci il en impute la responsabilité majoritairement aux appelés de couleurs : « Dans 85 % des cas, ce sont des soldats non gradés et noirs. À plus de 60 %, il s’agit de viols collectifs. Sur les 116 soldats jugés, 21 furent exécutés en France [pendus publiquement], et 67 écopèrent de la prison à vie, peine effectuée aux États-Unis ». On peut facilement imaginer que les viols ne furent pas les seules causes des exécutions, mais des crimes de sang plus graves ayant accompagné, suivi ou précédé ces exactions comme dans le cas précédemment mentionné. L’auteur passe pudiquement sous silence les circonstances exactes de ces forfaits.
« Le premier viol qui mena à un procès en France : le 14 juin 1944, à 4 kilomètres au sud-est de Sainte-Mère-Eglise, Mlle S., réfugiée polonaise, fut violée à 300 mètres de chez elle dans un champ où elle allait traire les vaches par quatre « soldats de couleur » qui l’avaient auparavant aidée à pousser une charrette. Les archives mentionnent qu’ils « auraient bu du vin ». Un bref procès eut lieu le 20 juin, le soldat Whitfield fut condamné à mort, pendu le 14 août 1944 ».
« La plus glorieuse génération que la terre ait jamais engendrée »
Des crimes largement restés méconnus… parce qu’évidemment cachés ! Parce qu’il ternissent, précise Lilly, sur ceux que Roosevelt avait désignés comme appartenant à « la plus glorieuse génération qu’aucune société ait jamais engendrée » ! Vous nous permettrez d’en douter… Une image flatteuse que l’histoire contemporaine se sera abondamment chargée d’invalider au Vietnam, en Irak et partout où Mister GI’s aura posé ses sales pattes. Mais ce n’est pas les hommes que nous condamnons ici mais bien les politiques sans scrupules qui conduisent des guerres de conquêtes, le plus souvent sous couvert de grandiloquentes déclarations humanitariennes, pour la paix, la liberté et le bonheur des peuples, qui dissimulent en vérité de froids calculs et de très bas intérêts. Qui maintenant demande à Washington de présenter des excuses ? M. Hollande ? Chiche ! Le président François Hollande n’a-t-il pas lui-même dénoncé justement au Mémorial de Caen lors des cérémonies relative au soixante-dixième anniversaire du « débarquement » allié, « ces jeunes filles livrées à la violence sexuelle » ? Mais il est vrai que disant cela il pensait essentiellement aux deux cents lycéennes de Chibok, dans le nord-est du Nigeria, enlevées par les fondamentalistes fanatiques de la secte Boko Haram [livres interdits]. Cependant, il devait ajouter cette phrase sibylline « Et c’est parce que la France a elle-même vécu ces drames, qu’elle est solidaire des peuples qui affrontent encore en ce moment de telles épreuves » que l’Agence France Presse s’est empressée d’interpréter comme une allusion aux viols perpétrés en 1944 par les gentils GI’s. Et évidemment pas par les forces d’occupation qui ont apparemment su se tenir, elles. Sinon nous en entendrions parler encore et nos manuels scolaires en feraient leurs choux gras.
Léon Camus 8 juin 2014