Geopolintel

Conférence de presse de Jacques Chirac et Vladimir Poutine

Relations franco-russes

jeudi 12 août 2010

Moscou, le 2 juillet 2001.

Relations et la coopération entre les deux pays
l’équilibre stratégique dans le monde, le traité ABM, le monde multipolaire
l’extradition de Slobodan Milosevic, la situation dans les Balkans et en Macédoine et la question de la Tchétchénie

MONSIEUR POUTINE - Bonjour, Mesdames et Messieurs. Avec le Président CHIRAC, nous sommes heureux de vous informer des résultats de notre travail commun d’hier et d’aujourd’hui et de répondre à vos questions.

Je voudrais dire que je suis très heureux de pouvoir rencontrer encore une fois le Président français. Nous sommes fiers de pouvoir constater que les relations franco-russes sont en essor.

Pendant la journée d’hier, nous avons examiné pratiquement tous les problèmes à titre informel et nous attachons une grande importance à notre déclaration commune sur les problèmes de la stabilité stratégique. Sur la base de cette déclaration commune, la France et la Russie vont continuer leur coopération dans le domaine de la sécurité stratégique et internationale.

Dans le cadre des entretiens, j’ai encore une fois confirmé que la Russie salue la volonté des Etats-Unis de réduire les armements stratégiques offensifs. Notre proposition concrète est la réduction contrôlée des armes stratégiques offensives au niveau de 1 500 charges, voire moins. Mais je veux souligner particulièrement le terme « contrôlée ». Toutefois, pour nous, ce problème est étroitement lié au maintien du Traité ABM de 1972.

Nous avons beaucoup parlé de la modernisation du système global de la sécurité internationale. Et la Russie salue l’initiative du Président français visant à réunir une conférence internationale à ce sujet.

Bien sûr, nous avons attaché une grande importance au développement des relations entre la Russie et l’Union européenne. Comme vous le savez vraisemblablement, il y a quelque temps, à Moscou, nous avons commencé la discussion sur la construction d’un espace économique commun, sur l’initiative du Président PRODI.

A cet égard, je me souviens des paroles du général de GAULLE qui parlait de la nécessité de construire une grande Europe de l’Atlantique à l’Oural. Donc, il m’est d’autant plus agréable de pouvoir en parler au Président français. En sa personne, je vois que la France reste fidèle aux idéaux de Charles de GAULLE. Je ne veux pas rentrer dans les détails maintenant mais je peux vous dire que nous avons senti un grand désir d’aller l’un vers l’autre.

Bien sûr, nous avons consacré une grande partie de notre temps à l’examen des relations bilatérales, non seulement dans le domaine politique mais aussi en ce qui concerne l’économie et le développement des liens entre nos pays.

Nous avons souligné que certaines branches de l’économie représentent un intérêt particulier pour la France comme pour la Russie. Parmi ces branches, il faut citer avant tout le dialogue dans le domaine de l’énergie. Et la Russie a, encore une fois, confirmé son intention de poursuivre la coopération avec l’Europe dans ce domaine, d’assurer la stabilité énergétique de notre continent, de créer des emplois aujourd’hui et d’assurer la prospérité de l’Europe.

Nous pouvons garantir notre soutien absolu aux grands investisseurs dans notre pays, comme Total, GDF, dans leur travail dans le cadre des projets qui sont déjà en cours.

Encore un secteur privilégié de notre coopération, c’est le secteur des hautes technologies. Je parle là des communications, de l’exploitation de l’espace, de la construction aéronautique. Et, naturellement, parlant de la coopération dans d’autres domaines que l’économie, il nous était impossible de ne pas parler des problèmes écologiques. Nous avons encore une fois confirmé notre attachement au protocole de Kyoto.

Bien sûr, nous avons évoqué également les problèmes, tellement sensibles pour nos deux pays, de la coopération dans le domaine culturel, de l’éducation et des sciences. Nous savons tous bien que les peuples de nos pays ont toujours été liés par des relations un peu particulières en ce qui concerne leurs cultures. Hier, à Saint-Pétersbourg, nous avons eu une rencontre avec les représentants des milieux artistiques et scientifiques de la Russie et de la France. Nous promettons également notre soutien aux efforts visant la construction d’une société civile en Russie.

Encore une chose, je voudrais vous dire que le dialogue et les entretiens que nous avons eus, mes collègues et moi, avec le Président français étaient très intéressants et en même temps très utiles. Là, j’ai eu de la chance puisque M. CHIRAC, le Président de la République française, est un homme politique des plus connus en Europe et est en même temps un interlocuteur extrêmement intéressant et quelqu’un d’une grande culture. Donc, parler, communiquer avec lui, c’était non seulement un travail pour moi, mais aussi un grand plaisir et je vous en remercie, Monsieur le Président.

LE PRESIDENT - Je voudrais à mon tour exprimer ma reconnaissance et celle de ma délégation au Président de la Russie qui nous a reçus avec beaucoup de chaleur et d’amitié pour des entretiens qui ont été extrêmement intéressants.

La France et la Russie ont écrit de très nombreuses pages en commun dans nos histoires. Et ces pages étaient fondées sur l’estime et l’amitié. La France et la Russie ont aujourd’hui, sur bien des sujets, une vision commune de l’avenir et de la paix. Cette visite a, pour moi, comme objet de renforcer le partenariat russo-français sur un certain nombre de grands sujets de convergence entre nous. Tout d’abord, une certaine vision du monde multipolaire qui tient pleinement compte de la fin de la guerre froide et du processus de réunification du continent européen.
C’est dans cet esprit, s’agissant de la sécurité, que nous avons réaffirmé les principes-clés sur lesquels doit reposer l’équilibre stratégique dont le monde a besoin s’il veut vivre en paix. C’est le respect des droits, c’est le refus de la course aux armements, c’est la relance des efforts pour lutter contre la prolifération. Et, sur tous ces sujets, nous avons adopté une déclaration stratégique commune à laquelle je vous renvoie, si vous le permettez.

Dans le domaine bilatéral industriel et commercial, nous avons pris des décisions importantes, notamment en ce qui concerne le partenariat stratégique aérospatial euro-russe. C’est extrêmement important. Je ne rentrerai pas dans le détail puisque M. CAMUS et son homologue russe feront, tout à l’heure, une conférence de presse.

Nous avons également signé un accord à l’initiative des ministres de l’Equipement et des Transports qui va faciliter les échanges dans le domaine aérien. Nous avons constaté notre vision commune des problèmes qui menacent la planète et en particulier la nécessité de respecter les engagements de Kyoto.

Nous avons parlé de la décennie des peuples premiers lancée par l’ONU et de la participation de la Russie à cette décennie, en particulier s’agissant du développement de l’Académie polaire et d’une expédition polaire commune entre la Russie et la France.

Nous avons également évoqué le développement de nos rencontres au niveau des sociétés civiles.

Des entretiens importants ont eu lieu entre les deux ministres de l’Industrie en ce qui concerne le secteur énergétique et gazier. Et puis, nous avons bien entendu échangé nos points de vue, qui sont d’ailleurs très largement convergents, sur les crises que connaît actuellement le monde, notamment le Moyen-Orient, la Macédoine, le Haut-Karabakh et quelques autres.
Si bien qu’à mi-parcours de ce voyage, mon principal objectif est assuré, c’est-à-dire relancer nos relations bilatérales et contribuer surtout à l’émergence d’un monde multipolaire en mesure d’assurer l’enracinement de la démocratie, et surtout la paix.

QUESTION - Messieurs les Présidents, une question au Président CHIRAC.
Est-ce que vous estimez, Monsieur le Président, que le Traité ABM de 1972 reste toujours la pierre angulaire de la stabilité stratégique ? Et si vous le permettez, tout de suite une question au Président POUTINE. Monsieur le Président, quelles sont vos appréciations sur notre coopération avec la France dans le domaine économique, notamment dans le secteur aérospatial ?

LE PRESIDENT - S’agissant du Traité ABM, il appartient d’abord et avant tout à la Russie et aux Etats-Unis de dire s’ils veulent ou non le modifier. Mais ce qui, à nos yeux, est tout à fait essentiel, c’est qu’on ne substitue pas à un système qui, tout de même, était contraignant, et dans le bon sens du terme, un système qui ne serait pas contraignant et qui, par conséquent, pourrait permettre d’ouvrir la porte à tous les excès et à tous les dangers.

MONSIEUR POUTINE - Avant de répondre à la deuxième partie de la question, je voudrais rajouter deux mots. Bien sûr, le Traité ABM de 1972, formellement, a été signé entre l’Union soviétique et les Etats-Unis. Donc, côté formel, il ne concerne que la Russie et les Américains, aujourd’hui. Mais loin de nous aujourd’hui l’idée de s’assurer le monopole de modifications et de tout ce qui concerne ce traité puisqu’en dépend l’avenir de l’humanité. C’est pourquoi j’ai dit tout à l’heure que nous saluons l’initiative du Président CHIRAC de convoquer certains forums internationaux afin d’examiner la situation stratégique.

Et en ce qui concerne les perspectives de la coopération économique entre la France et la Russie, je peux vous dire les choses suivantes.

Aujourd’hui, le chiffre d’affaires entre nos pays a dépassé trois milliards de dollars américains. Ce n’est pas mal mais, ensemble, nous pouvons faire beaucoup plus.

L’Agence française d’assurance des opérations d’exportations a recommencé ses activités à l’égard de la Russie, ayant établi un plafond des sommes assurées de deux cents millions de francs.

J’ai déjà énuméré les axes principaux de notre coopération dans le domaine économique, je ne vais pas le répéter. Vous comprenez bien qu’en principe, les domaines de coopération sont beaucoup plus nombreux. Et, aujourd’hui, il est très important, à mon avis, de continuer le travail en matière d’élaboration des bases juridiques de notre coopération.

En ce qui concerne la coopération dans le domaine aérospatial, qui nous intéresse tout particulièrement ici, je peux vous dire que, dans ce domaine, nous avons fait quelques pas en avant.

Je peux ajouter également que le Président CHIRAC, dans le bon sens de ces termes, est un excellent lobbyiste de l’économie française et de l’économie européenne, plus généralement. Hier, c’est sur son initiative que nous avons beaucoup parlé de notre coopération dans le domaine aérospatial. Nous sommes convenus de poursuivre la discussion relative à l’utilisation du site de lancement de Kourou par des lanceurs russes SOYOUZ.
Nous allons poursuivre également notre coopération dans le domaine de la construction aéronautique et, ceci étant dit, il faut souligner que cette coopération doit avoir un caractère multilatéral. Il s’agit d’achats et de vente d’avions de différents types et de production commune. Des discussions vont suivre pour que les spécialistes puissent définir les bases concrètes de réalisation de cet accord.

QUESTION - Monsieur le Président, avez-vous eu l’occasion, avec le Président POUTINE, de parler du sort de M. MILOSEVIC. Je voudrais savoir ce que le Président POUTINE en pense ?

LE PRESIDENT - Nous n’avons pas encore évoqué ce problème avec le Président Poutine. Mais je voudrais vous donner mon sentiment. C’est pour moi un moment particulier. C’est un moment particulier pour l’Europe, pour la France, et aussi pour moi. Lorsque j’ai été élu, j’ai dû faire face à une crise grave. Notre action était enlisée en Bosnie. Nos soldats étaient humiliés. Il y avait un mélange d’arrogance et de mensonges, venus d’une politique d’un autre âge, qui a répandu la terreur dans la région et qui a provoqué le malheur d’hommes et de femmes et notamment le malheur du peuple serbe. Et, de la Bosnie à notre engagement au Kosovo, et, aujourd’hui, le transfert de MILOSEVIC à La Haye, la France, je crois, peut être fière de son action. C’est la victoire du droit sur la violence, c’est la victoire de la démocratie sur la tyrannie, c’est un moment d’espoir pour la justice et pour la liberté dans le monde. Voilà mon sentiment.

LE PRESIDENT POUTINE - La question m’a été posée à moi aussi. Je crois que, pour répondre à cette question, on doit avant tout se rendre compte quelle tâche nous posons devant nous. Je crois que notre tâche principale, c’est d’assurer la prédominance des valeurs démocratiques dans cette région, y construire une société stable et prévisible.

Est-ce que l’expatriation de M. MILOSEVIC a rapproché la réalisation de ces tâches ? En fait, j’ai des doutes à ce sujet. Je ne veux devenir ni procureur, ni avocat. Permettez-moi de vous rappeler que ce tribunal a été créé pendant les évènements en Bosnie, puisque les organes de justice nationaux étaient quasiment inopérants. Depuis, des changements tout à fait radicaux ont eu lieu dans ce secteur, un leader démocratique a été démocratiquement élu. En plus, c’est quelqu’un qui est orienté, qui est tourné vers les valeurs occidentales. Le système judiciaire national marche à la perfection. Alors, qu’est-ce qu’il y a ? On ne fait plus confiance à Kostunica et à son pays ? Est-ce qu’on se pose la tâche de déstabiliser cet homme politique ? Est-ce qu’on veut déstabiliser son pays ? Je crois que la réponse à ces trois questions est non.

Et maintenant, regardez quel est le résultat. La Yougoslavie est déstabilisée, son Président aussi. Nous sommes au seuil de l’écroulement de la Fédération yougoslave. Le mal doit être puni, cela, c’est la vérité absolue. La question est comment le faire. Jouer à un éléphant dans un magasin de porcelaine ? Ou bien agir prudemment, d’une manière civilisée, en respectant les tâches que l’on se pose. Tel est mon commentaire.

QUESTION - Monsieur le Président, à votre avis, la tendance en Yougoslavie, dans les Balkans, à faire la paix avec des extrémistes, peut-elle provoquer dans l’avenir l’écroulement de la Yougoslavie, de la Macédoine... Si possible, la même question au Président POUTINE. Quels sont vos commentaires des résultats des entretiens au sujet des Balkans ?

LE PRESIDENT - Nous sommes très inquiets de la situation dans les Balkans, plus particulièrement en Macédoine. Et si celle-ci devait s’aggraver, notamment en raison des activités armées des extrémistes de l’UCKM, alors les conséquences pourraient être graves, non seulement pour la Macédoine mais également pour le reste de la région, y compris pour la Serbie. Alors, nous espérons que l’action internationale, notamment celle de la Russie, de l’Europe et de la KFOR, permettra d’éliminer ce risque, mais nous ne pouvons pas le garantir. En tous les cas, il faut être très vigilant.

LE PRESIDENT POUTINE - Nous avons examiné en détail le problème des Balkans et je peux vous dire que notre vision de la situation coïncide presque. Nous sommes prêts à contribuer à résoudre ce problème et à régler la situation dans la région, ensemble, avec nos partenaires américains et européens. Nous estimons qu’il est extrêmement important dans ce domaine d’avoir une position commune bien nettement formulée, pour que personne ne puisse s’infiltrer entre les membres de la communauté internationale, y compris des éléments de tendance extrémiste.

Mais je veux tout particulièrement souligner les éléments suivants. Nous sommes d’accord avec nos collègues français que l’on ne peut pas avoir un dialogue avec des extrémistes. Et je crois que nous devons non seulement le déclarer, mais aussi agir de manière appropriée. Je ne peux pas dire qu’on réussisse à le faire toujours. Les gens qui se sont armés et qui veulent, avec ces armes, résoudre les problèmes politiques ne peuvent pas être partie dans les négociations. Cette position ferme est la seule chose qu’on peut opposer aux extrémistes si on veut atteindre un résultat de dialogue. Je veux préciser qu’aujourd’hui, lorsque nous parlons des extrémistes, il s’agit de gens qui ne voient pas d’autres moyens d’atteindre leurs objectifs politiques que la lutte armée. Ce sont des gens, autrement dit, qui sont prêts à faire la guerre, qui veulent faire la guerre et qui sont prêts à se sacrifier. Aucun autre participant au processus de pacification n’est prêt à cela. On n’y peut opposer qu’une seule chose, c’est réunir nos efforts sur le socle démocratique et des valeurs morales. C’est là où est la force de la communauté internationale.

QUESTION - Monsieur le Président, il y un sujet sur lequel la France avait jusqu’à présent pris la parole de manière assez vigoureuse, c’est la Tchétchénie, mot qui n’a même pas été prononcé aujourd’hui. Est-ce que cela signifie que, du côté de la France, il n’y a plus aucun espoir d’exercer une influence et qu’on se résigne à voir une situation tragique se maintenir là-bas ?

LE PRESIDENT POUTINE - Alors, si vous permettez, c’est moi qui commence. Hier, le Président a initié la discussion à ce sujet et je lui ai raconté en détail tout ce qui se passe au Caucase du nord, et en Tchétchénie notamment. Comme vous le savez probablement, en ce moment, il n’y a pas d’opérations de grande échelle, il s’agit de manifestations isolées des terroristes. Le dernier de ces raids, c’était un groupe de terroristes venus de l’étranger. La majorité d’entre eux étaient des mercenaires avec une grande quantité d’héroïne avec eux. C’est contre ces gens là que les armes russes sont dirigées aujourd’hui et nous allons poursuivre ces luttes. Et je crois que, si des mercenaires étrangers se présentaient dans la région du sud de la France, par exemple, à des fins identiques, la réaction de votre pays serait tout à fait similaire.

Mais en ce qui concerne les problèmes politiques, nous avons l’intention de les résoudre par des moyens politiques. Et j’ai informé le Président qu’il y a quelques jours, en Tchétchénie, la mission de l’OSCE a repris ses activités. A ses côtés, travaillent des experts du Conseil de l’Europe et des représentants des services de justice et de l’intérieur de la Fédération de Russie, qui veillent au respect des lois des deux côtés.

LE PRESIDENT - Le Président POUTINE vient de dire ce qu’il m’a exposé lorsque nous avons parlé de ce sujet et qui venait tout naturellement, bien sûr, dans notre conversation. Et j’ai simplement redit la position traditionnelle de la France, à savoir qu’il était indispensable, dans toute la mesure du possible, de rechercher une solution politique à cette crise.

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