Selon le doyen de la faculté Lyon-Est, « le fait d’exposer sans cesse les étudiants à une marque a un impact indéniable sur la prescription de nos futurs médecins. »
Selon une récente étude, la plupart des facultés de médecines ne font rien pour éviter les conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. Paul Scheffer, l’un des responsables de cette étude, revient sur les mesures à prendre en urgence.
Une étude menée par l’association Formindep parue le 9 janvier dépeint les liens d’intérêt qui existent entre laboratoires pharmaceutiques et facultés de médecine à travers le pays. Cette association, qui milite pour une formation et une information indépendantes dans le domaine de la santé, épingle la plupart des 37 universités de médecine françaises.
En effet, seules neuf d’entre elles sortaient du lot en proposant des politiques visant à alerter les étudiants sur ces pratiques. L’établissement qui décrochait la ‘meilleure’ note est la faculté de médecine Lyon-Est avec cinq critères remplis sur les 37 de l’étude. Angers, Aix Marseille, Lyon Sud, Paris Descartes, Diderot, Rennes, Strasbourg et Toulouse Purpan récoltent quelques points. Pour les 28 universités restantes, aucune politique visant à contrer ces pratiques d’influence n’avait été décelée dans l’étude.
Le très large écho médiatique qui suivit la parution de cette étude avait poussé la conférence des doyens des facultés de médecine à rédiger un communiqué de presse le 13 janvier, dans lequel elle prenait « acte de ce constat qui est peu contestable », tout en précisant : « Il faut aller plus loin et nous considérons qu’il faut prendre exemple sur des facultés européennes et/ou américaines où la transparence est affichée plus clairement sur le portail des UFR. »
À la fac, une journée obligatoire organisée par Novartis...
Quelques exemples de liens d’intérêt avérés entre facs et industries pharmaceutiques : « A Tours il y a quelques années, une journée obligatoire et validante avait été organisée par le laboratoire pharmaceutique Novartis avec matinée de conférences, déjeuner payé... Dénoncée par le syndicat des jeunes médecins généralistes, la journée avait finalement été rendue facultative, puis annulée », nous précise Paul Scheffer, l’un des commanditaires de l’enquête.
Selon lui, « de nombreux cadeaux de moins de dix euros (Depuis 2011, la loi interdit les dons dépassant cette somme, ndlr) continuent à pulluler dans nos facs ». Le doctorant en sciences de l’éducation précise aussi que la méthode du ghostwriting reste monnaie courante. « Cela consiste, pour les enseignants qui ont une activité de recherche, à faire rédiger des articles par des agences de filières pharmaceutiques. Ils y apposent simplement leurs noms et cela passe pour des articles de santé objectifs ».
... Et un amphithéâtre Boiron !
Sur Europe 1 ce 26 janvier au matin, la journaliste Virginie Salmen précisait encore : « À Lyon 8, il y a un amphithéâtre Boiron ». Jérôme Étienne, le doyen de la faculté de médecine Lyon-Est, répondait à ce sujet au Figaro il y a deux semaines : « Le fait de construire un amphithéâtre par un laboratoire et d’exposer sans cesse les étudiants à une marque a un impact indéniable sur la prescription de nos futurs médecins. »
Selon Paul Scheffer, il faut dans un premier temps prendre quelques décisions majeures.
- « La première chose à faire, c’est de donner des cours à tous les étudiants de France sur les conflits d’intérêts possibles entre laboratoires et universités. Rappelons que la plupart des facultés de médecine sont financées par le secteur privé et que 75% des études cliniques sont payées par les industries pharmaceutiques. La seconde, c’est que tous les enseignants doivent déclarer les liens d’intérêt qui les unissent aux laboratoires. C’est une loi récente, datant de 2014, qui d’après notre enquête n’est quasiment jamais respectée. Enfin, nous souhaitons une transparence totale des universités sur leurs sites internet concernant leurs financements privés ».
Aux États-Unis, par exemple, les facs publient point par point leurs liens avec le privé (Ici la politique de l’université de Stanford, mise en ligne dès 2006 !)
- « Dans d’autres domaines, on ne se pose pas la question. »Frédéric Dardel, doyen de l’université Paris Descartes
Quelques exceptions, mais encore de gros progrès à faire
Invité ce matin sur Europe 1, Frédéric Dardel ( Don de corps à la science : l’ancien président de l’université Paris-Descartes, mis en examen. L’établissement et deux préparateurs sont déjà mis en examen pour « atteinte à l’intégrité d’un cadavre » dans le cadre du scandale du Centre du don des corps de la rue des Saints-Pères.
), le doyen de l’université Paris Descartes estimait normales ces interactions, tant qu’elles restent professionnelles. « Dans d’autres domaines, on ne se pose pas de question. Un étudiant ingénieur qui va travailler avec Thalès ou Dassault, on ne demande pas si Thalès ou Dassault pénètre le monde des écoles d’ingénieurs. Nous, on forme des médecins, des pharmaciens ou des biologistes qui vont travailler dans l’industrie pharmaceutique, c’est normal qu’ils aient un contact avec le monde professionnel auquel on les prépare ». Pour Paul Scheffer, seules quelques situations, très à la marge, peuvent justifier ces liens d’intérêt, comme lorsqu’il faut tester du matériel médical de certaines entreprises. Pour tout le reste, selon l’étude et la conférence des doyens, les facs de médecine françaises ont encore de gros progrès à faire.