Audiovisuel public : comme un parfum de maccarthysme
ENQUÊTE. Le traitement réservé à Jean-François Achilli révèle les méthodes de Radio France et France TV. Intimidation, censure, placardisation… comment le service public muselle la liberté d’expression.
France Télévisions et ses chaînes pléthoriques. Radio France et ses radios non moins nombreuses. L’audiovisuel public est une grande et belle maison éclatée en une myriade d’entités distinctes. Rachida Dati, la ministre de la Culture, rêve d’y mettre un peu d’ordre et plaide pour « une gouvernance unique ». Son projet sera examiné en mai. Reste un esprit commun, un système qui, sous couvert de faire la part belle à la diversité, se racornit, tourne en boucle, placardise et élimine ceux qui ne seraient pas dans la ligne ou sont soupçonnés de ne pas l’être.
La chose n’est pas nouvelle. Il y a un peu plus de dix ans, la proposition audacieuse de Guillaume Peltier et de Geoffroy Didier, alors en binôme, d’imposer des quotas de journalistes de droite sur les télés et les radios publiques afin de forcer France Télévisions et Radio France à « respecter le pluralisme et la diversité de l’information », avait été accueillie par le plus grand des mépris, sinon par des ricanements appuyés. Elle avait le mérite, à défaut de viser juste, de mettre en évidence que s’il y avait des journalistes de droite, ils préféraient faire profil bas, se taire, plutôt que d’assumer à l’antenne ou dans les couloirs des opinions qui seraient préjudiciables à leur carrière.
Au mieux, l’audiovisuel public tolère la présence de quelques éditorialistes dont le ton trancherait avec le progressisme affiché dans les couloirs de la Maison ronde. Et encore, non sans provoquer quelques haut-le-cœur dans les rédactions et des indignations ciblées. C’est ainsi que lors de l’arrivée de Natacha Polony, Alexandre Devecchio et Étienne Gernelle sur l’antenne de France Inter en septembre 2021, la société des journalistes publie un communiqué faisant part de son inquiétude. « En tant que journalistes, à l’approche des échéances de 2022, nous considérons qu’offrir aux auditeurs une “boîte à outils pour leur permettre de se forger une opinion”, ainsi que s’en était justifiée la directrice de France Inter, devrait passer par de la pédagogie, du reportage […] et non par un panel d’opinions dans lesquelles il faudrait ensuite piocher… » Comprenez : France Inter ferait de l’information, et les autres médias de l’opinion.
L’affaire Achilli en est le dernier révélateur
L’affaire Achilli en est le dernier révélateur. Dans son édition du vendredi 15, Le Monde, sous la plume d’Ariane Chemin et Clément Guillou, publie un article qui laisse entendre que Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, aurait démarché un journaliste de France Info afin qu’il collabore à l’écriture d’un livre. Son nom ? Jean-François Achilli, un pilier de la Maison ronde. Il est passé notamment par France Inter, avant de rejoindre BFM et de revenir dans le giron du service public où il officie à l’antenne depuis 2013. Les journalistes du quotidien précisent certes qu’il « refuse » de cosigner. C’est déjà trop. La machine implacable se met en branle.
Claude Askolovitch, dans sa revue de presse le matin même sur France Inter, évoque l’enquête que Le Monde consacre à la collaboration supposée de Jean-François Achilli au livre de Jordan Bardella. Voix enrobante, ton pénétrant, Claude Askolovitch se livre à une première analyse : « Et l’on mesure alors les normes mouvantes, les acceptations nouvelles. » La ligne rouge surtout qu’aurait franchie son confrère. Transparence oblige, le journaliste précise que dans d’autres vies, il a lui-même accompagné des livres de politiques. Et de citer ses collaborations avec Martine Aubry, Manuel Valls, Éric Besson. « Je ne sais pas, rétrospectivement, si mes transgressions étaient souhaitables… Que dois-je penser de celles d’aujourd’hui… » Simple oubli ou omission volontaire, il tait son Lionel, paru en 2002, et plus encore la biographie autorisée qu’il devait publier de DSK en 2012, avant que l’affaire du Sofitel ne condamne les ambitions élyséennes de celui qui était encore le patron du FMI. En renonçant à publier son livre sur Dominique Strauss-Kahn, ne faisait-il pas la démonstration qu’il n’était plus simplement un journaliste politique, mais un auxiliaire de la campagne du patron du FMI, un rouage dans sa stratégie présidentielle ? Claude Askolovitch n’aura jamais à s’en défendre. À l’inverse de Jean-François Achilli. Encore qu’il est aussitôt présumé coupable.
- Le simple fait d’avoir eu des contacts avec Jordan Bardella suffit à faire de Jean-François Achilli un paria
Pour preuve, la Société des journalistes (SDJ) de France Info somme la direction de prendre des mesures. Dans le premier communiqué qu’elle publie, la SDJ acte littéralement la « culpabilité » de l’éditorialiste. « Jean-François Achilli aurait apporté son aide au président du Rassemblement national. » Moins de vingt-quatre heures après les premières « révélations » du Monde, après avoir été entendu par Jean-Philippe Baille, le directeur de l’information de Radio France, il est suspendu d’antenne à titre conservatoire.
Le simple fait d’avoir eu des contacts avec Jordan Bardella suffit à faire de Jean-François Achilli un paria. « C’est un peu comme si la loi des suspects était réactivée », assure une ancienne journaliste de la maison s’interrogeant sur la possibilité de faire encore du journalisme politique. Pas étonnant, dès lors, que l’éditorialiste ne bénéficie d’aucun soutien en interne. Au mieux, l’un de ses confrères s’excuse : « Je suis désolé, j’ai l’impression de ne pas te soutenir assez, mais j’ai peur de la rédaction, peur d’être mis au placard. » Le simple fait de voisiner avec le pestiféré vaudrait à son tour d’être mis sur la sellette. À l’inverse, il est de bon ton de célébrer les figures du journalisme marabout et bouts de ficelle. C’est ainsi que Salhia Brakhlia, qui coanime la matinale de France Info, s’affiche tout sourire sur X le 30 mars, « avec la légende » Ariane Chemin, lors des assises du journalisme à Tours. Jean-François Achilli appréciera.
- « La vérité ? Il ne fait pas bon être un journaliste de droite »
Signe du climat de terreur qui règne au sein de l’audiovisuel public, les journalistes que nous avons sollicités ont tous requis l’anonymat avant de consentir à nous répondre. Comme devait l’admettre un vieux briscard : « C’est d’abord l’histoire d’un immense paradoxe : des syndicats tout-puissants qui font trembler leurs directions. Des syndicats aux abonnés absents lorsqu’il s’agit de défendre un journaliste. » En cela, l’affaire Achilli est un cas d’école. Aucun syndicat ne s’est manifesté auprès de l’éditorialiste de France Info. Pire, « ce sont eux qui font la pluie et le beau temps d’autant plus facilement qu’ils sont capables de mettre en péril l’antenne ».
« La vérité ? Il ne fait pas bon être un journaliste de droite », assure une journaliste de France Télévisions qui dénonce un climat pesant de suspicion. « Surtout, ne dis jamais que j’ai voté deux fois Sarkozy, sinon je suis morte ici », insiste une autre. Passée par France 3 puis France 5, une autre confesse avoir toujours fait profil bas pour survivre. « Je ne suis pas suicidaire. On apprend à se taire. Et quand bien même, j’osais exprimer des points de vue différents, il y avait toujours quelqu’un pour me ramener à la raison sur l’air du “tu ne peux pas dire ça”. »
Les jeunes journalistes ne sont pas en reste
Intimidation, censure, filtrage de l’information, mots ou expressions interdits d’antenne, invités bannis ou déprogrammés au dernier moment parce qu’ils seraient trop marqués politiquement, il y a toujours un rédac chef pour veiller au grain, un journaliste pour alerter la direction. À France 3 Strasbourg, un journaliste s’indigne que sa rédaction soit encore abonnée au JDD. La direction fait cette fois-ci de la résistance. « Difficile de se priver de leurs informations. » Et quand bien même un sujet d’actu mériterait de passer à l’antenne, il est encore des journalistes pour refuser de les traiter au motif que « cela pourrait faire le jeu de l’extrême droite ».
Les jeunes journalistes ne sont pas en reste. Ils sont même à la pointe de la radicalité. « Macron, c’est le diable. Glucksmann, pareil. En 2017 déjà, il considérait que Hamon c’était la droite », rapporte un journaliste. Une autre, ancienne de France Info, tempère ce jugement : « Ce n’est pas une rédaction particulièrement politisée. C’est surtout une rédaction bordélisée. Les éléments les plus politisés profitent de cette désorganisation pour peser et faire avancer leurs idées. » Signe des temps, la même SDJ qui, à deux reprises, accablait Achilli dans des communiqués, apportait son soutien à deux journalistes de Radio France condamnées pour avoir transféré de l’argent à des membres de l’État islamique. Un deux poids, deux mesures singulier. L’éloge de la terreur.