Passe Sanitaire et surveillance : la Quadrature du Net redoute une banalisation et l’entrée dans une société de contrôle
Après la Cnil, la Quadrature du Net livre son avis sur l’extension du passe sanitaire et constate à quel point la technologie a permis de faire sauter les limitations en termes de contrôle de l’espace public.
La Quadrature du Net, fervent défenseur des libertés, a publié un avis complet sur l’extension du passe sanitaire en s’interrogeant sur la manière dont la technologie permet de faciliter les contrôles et banaliser la surveillance. Rappelant le concept des restrictions d’accès et prenant l’exemple des règles s’appliquant aux étrangers vivant et travaillant en France, elle insiste sur le fait qu’il y a quelques années encore, contrôles et répression « avaient d’importantes limitations pratiques » que le « passage à l’échelle technologique » a aboli. Le fait que plus de 8 Français sur 10 soient désormais équipés d’un smartphone « permet notamment de confier à des dizaines de milliers de personnes non-formées et non-payées par l’État (mais simplement munies d’un smartphone) la mission de contrôler l’ensemble de la population à l’entrée d’innombrables lieux publics, et ce, à un coût extrêmement faible pour l’État puisque l’essentiel de l’infrastructure (les téléphones) a déjà été financée de manière privée par les personnes chargées du contrôle », constate la Quadrature qui ajoute : « Soudainement, l’État a les moyens matériels pour réguler l’espace public dans des proportions presque totales ».
Banalisation et technopolice
Pour l’association, le fait que la crise sanitaire ait accéléré l’adoption de telles mesures ne doit pas faire oublier que le concept de « technopolice » n’a rien de nouveau. Les évolutions technologiques visant à transformer l’espace public pour le réguler entièrement en promettant de le rendre plus sûr font débat depuis plusieurs années déjà, notamment la vidéosurveillance généralisée. Mais si des limitations techniques et humaines empêchaient jusque-là d’avoir un agent derrière chaque caméra en permanence, c’est l’usage de plus en plus répandu de la reconnaissance faciale par intelligence artificielle qui représente ce passage à l’échelle technologique, c’est à dire à un stade global. Ainsi, les règles s’imposent d’emblée à un nombre beaucoup plus grand de citoyens invités à devenir eux-mêmes autant d’agents de contrôle. Selon la Quadrature du Net, ce fonctionnement pousse à intérioriser les règles de l’Etat et à l’auto-exclusion des personnes qui ne s’y soumettent pas, à une échelle jamais vue.
C’est, cette accoutumance que craint le plus l’association, comme la Cnil. Une suite logique au concept de « technopolice » à des fins sanitaires, dont il restera une population habituée à se soumettre aux contrôles de masse. Et la Quadrature de pointer un paradoxe saisissant : « Dans son format actuel, le passe sanitaire n’apparaît pas comme étant lui-même un outil de régulation très efficace. Il semble difficile d’empêcher les médecins qui le souhaitent de fournir des passes à des personnes qui ne devraient pas en recevoir. Et, quand bien même les passes seraient attribués aux « bonnes personnes », en l’état celles-ci peuvent facilement les partager avec les « mauvaises personnes ». Certes, la police entend réaliser des contrôles d’identité pour lutter contre ces échanges mais, si l’efficacité du système repose au final sur des contrôles de police aléatoires, il n’était pas nécessaire de déployer des mécanismes de surveillance de masse pour aller au-delà ce qui se fait déjà ». Faudra-t-il afficher la photographie des personnes sur les passes futurs pour empêcher ces abus et lutter contre les fraudes ? La question est posée.
Enfin, la Quadrature du Net rappelle que l’Etat « a l’obligation de prouver qu’une mesure causant des risques pour les libertés fondamentales est absolument nécessaire avant de la déployer », or selon elle, dans le cadre du passe sanitaire, « non seulement le gouvernement n’a pas encore démontré l’efficacité du passe sanitaire mais, plus grave, il a refusé de déployer ou de tester l’efficacité de mesures alternatives qui ne causeraient aucun risque pour les libertés ». En conclusion, l’association redoute que « ce genre d’outil, une fois banalisé, soit mis au service d’injonctions dépassant largement [le cadre sanitaire] ».