Des juristes déposent cet après-midi un recours devant le Conseil constitutionnel, annonce « le Figaro ». Le délai est trop court pour respecter l’ensemble des dispositions législatives assurant la sincérité du scrutin, avancent-ils. Le délai respecte pourtant la Constitution, qui prévaut sur le Code électoral, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel… Se risquera-t-il à une nouvelle interprétation ?
Emmanuel Macron a-t-il été trop vite en besogne ? Contre une dissolution qu’ils estiment « décidée à cinq ou six dans le bureau du président sans spécialiste du droit électoral », « plusieurs juristes et spécialistes du droit électoral spécialistes du droit constitutionnel » déposent un recours devant le Conseil constitutionnel ce mardi après-midi, selon une information du Figaro.
Le décret pris par le président de la République, daté du 9 juin et publié au Journal officiel le 10 juin – entorse à la coutume de ne rien publier au JO un lundi – pourrait être trop tardif, au regard du droit électoral, pour que le scrutin soit organisé aux dates prévues, le 30 juin pour le premier tour des législatives et le 7 juillet pour le second tour. Ce délai trop court mettrait en cause « la sincérité du scrutin », selon l’un des requérants, « ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur » cité par Le Figaro.
Le Code électoral prévoit d’ordinaire le dépôt des candidatures « au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin ». Un délai impossible à tenir avec une dissolution décrétée à peine trois semaines avant le premier tour annoncé des prochaines élections législatives, mais l’Élysée a invoqué l’article 12 (alinéa 2) de la Constitution, avançant qu’il l’emporterait sur le Code électoral. Le délai prévu constitutionnellement y est ainsi énoncé : « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Ce qui tomberait pile, y compris pour les élections anticipées qui se dérouleraient par dérogation le 29 juin et le 6 juillet sur le continent américain et en Polynésie française.
« L’un des initiateurs du recours » cité par le quotidien estime néanmoins que ce délai « est incompatible avec plein de dispositions législatives : le vote électronique, la campagne audiovisuelle, les comptes de campagne, le vote des Français de l’étranger, qui se prononcent normalement une semaine avant ». Le Conseil constitutionnel a quant à lui refusé de s’exprimer sur ce recours avant d’en être saisi.
Un recours infondé ?
La validité de la publication du décret est d’abord à examiner. L’article 1er du Code civil dispose qu’un acte administratif entre en vigueur le lendemain de sa parution en droit commun. Cela vaut donc pour le décret organisant les élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024. Ce même article prévoit une exception résidant dans « l’urgence » d’une situation particulière. Les résultats des élections européennes ou l’organisation des Jeux olympiques fin juillet devraient suffire à fonder l’argumentaire de l’urgence.
Quant au recours qui avance un délai trop court, un professeur de droit interrogé par le JDD estime que « ses chances de recevabilité sont nulles. Le Conseil constitutionnel a déjà tranché, notamment en 1988 en réponse à un recours de… Jean-Marie Le Pen ! ».
Le Conseil constitutionnel a déjà tranché en 1981 et 1988
Le fondement de la décision remonte à 1981, explique Romain Rambaud, sur son « blog du droit électoral ». Le professeur de droit, spécialiste du droit électoral, expose que dans sa décision « Delmas » du 11 juin 1981, le Conseil, saisi après la dissolution de l’Assemblée par François Mitterrand, estimait que les « dispositions de nature constitutionnelle prévalent nécessairement, en ce qui regarde les délais assignés au déroulement de la campagne électorale et au dépôt des candidatures, sur les dispositions législatives du Code électoral, qui d’ailleurs ne concernent point le cas d’élections consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale ».
Les Sages jugeaient donc conforme l’organisation des élections législatives, estimant que « les termes des décrets du 22 mai 1981 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 12 de la Constitution et ne comportent pas de prescriptions de nature à porter atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin. »
Nouvelle dissolution en 1988, et nouveau recours contre l’organisation rapide d’élections législatives. Romain Rambaud rappelle que le Conseil, dans une décision du 4 juin 1988, rejetait alors la requête de Jean-Marie Le Pen, jointe à celle d’autres requérants, confirmant ainsi sa décision de 1981 : la Constitution prévaut toujours sur le Code électoral.
Les Sages pourraient malgré tout évaluer la sincérité du scrutin
De quoi rendre ce recours mort-né ? Pas nécessairement, juge Romain Rambaud, joint par le JDD. Il estime que la publication du décret de dissolution et de convocation immédiate des électeurs, légitimée par l’urgence, ne devrait pas être attaquable. En revanche, l’interprétation des « vingt jours au moins » après la dissolution pourrait devoir être tranchée par le Conseil constitutionnel, si le recours s’y attaque. Prend-on en compte la date du 9 ou celle du 10 juin, date de parution du décret ? Les vingt jours sont-ils d’interprétation littérale ? Peut-on compter en « jours francs », qui ne prennent en compte ni le jour de la décision, ni celui de l’expiration du délai ?
Plus que le délai lui-même, l’évaluation des modalités d’une campagne aussi rapide pourrait rendre ce recours recevable. Outre le calendrier très serré, l’échéance de l’organisation des Jeux olympiques entre en jeu : au mieux, en l’état du calendrier retenu, la nouvelle Assemblée nationale se réunirait pour la première fois le jeudi 18 juillet, à huit jours de la cérémonie d’ouverture des JO. Une date fixée par la Constitution, qui prévoit que l’Assemblée se réunisse « le deuxième jeudi qui suit son élection ». Un report d’une semaine décalerait l’installation de l’Assemblée à la veille des Jeux, et le télescopage pourrait être jugé trop risqué par les Sages.
Le Conseil peut-il se risquer à interpréter ainsi le calendrier et les modalités d’organisation d’un scrutin ? Romain Rambaud se montre partagé, exposant l’alternative au JDD : « Le Conseil s’est déclaré compétent, dans sa jurisprudence Delmas, pour évaluer la sincérité du scrutin. Il peut s’en tenir à sa jurisprudence et considérer que le délai de vingt jours, dans l’esprit des institutions, englobe les modalités du scrutin et suffit à garantir sa sincérité. Mais depuis 1958, de nouvelles règles d’organisation se sont superposées, et on ne peut exclure que le Conseil se prononce sur les difficultés qu’elles posent en l’espèce. » Des arguments qu’il détaille dans son dernier billet sur cette possible décision prochaine du Conseil constitutionnel.
Tout dépend donc, d’une part, de la rédaction du recours – non communiqué à cette heure – et d’autre part de l’interprétation que donnera le Conseil constitutionnel de ses décisions antérieures. Pour l’avocat Philippe Prigent, « le Conseil constitutionnel se ridiculiserait en accueillant un tel recours, manifestement infondé ». Volontiers critique de l’institution, il n’exclut toutefois pas tout à fait cette possibilité, ajoutant cette pique : « Ce n’est pas une garantie de rejet ! »