L’avocat de la défense revient sur la piste de l’attentat en déplorant que toutes les informations n’aient fait l’objet d’investigations.
A 11h28, l’audience reprend avec la plaidoirie de Me Simon Foreman :
"Il me revient une partie difficile. Me Monferran disait hier qu’il voulait aborder les sujets qui fâchent. Celui-ci en est un. Quand j’ai entendu des parties civiles vous expliquer, tirer à boulet rouge sur la piste de l’attentat , et que puisque toutes ces lubies étaient à ranger au placard, et qu’il ne restait plus que la piste du chlore, vous devriez vous en contenter. Je ne suis pas là pour vous dire que l’explosion est due à un attentat. Pendant les deux premières années, je n’y ai pas cru une seconde. J’écoutais Serge Biechlin, je prenais des notes, mais... On a fait des demandes d’acte, ce qui était une nouvelle prérogative de la défense. Je l’avoue, j’y croyais qu’à moitié.
Et puis, les années venant, les pistes, les unes après les autres, croix dessus. Il reste toujurs des choses à investiguer, j’y reviendrai. Mais il y a une piste qui reste crédible, c’est de celle-là dont je vais vous parler. Et puis d’une autre, une autre porte qui aurait été fermée, le fantasme selon lequel il y aurait eu deux explosions, j’en dirai un mot.
Le raisonnement par élimination est permis aux avocats, aux citoyens, aux journalistes... Mais vous êtes les seuls à devoir vous l’interdire. Tout ce que je vais vous dire ne sert à rien en réalité, car du chlore il n’y en avait pas. Vous devez avoir la preuve que du chlore a été amené au 221. Si vous dites oui, condamnation, si vous dites non, relaxe. Je suis obligé d’en parler, de cette piste, parce qu’elle était à l’ordre du jour de vos audiences. C’est la frustration principale dans ce dossier, c’est qu’on a abordé le sujet de manière pointilliste.
On est passé de tel à tel témoignage. La défense dans le cours du procès n’avait pas de place pour exprimer une parole synthétique sur le sujet. J’attendais ce jour parce que je voulais que vous entendiez la synthèse de ce que nous en pensons.
La défense n’a pas, et c’est une accusation qui lui a été faite, agité le fantasme de la piste volontaire. La défense n’a pas joué le fantasme, elle a appris le rapport des RG en lisant les journaux, elle n’a jamais fait de déclaration sur ce sujet. Or, beaucoup l’ont fait. Les journalistes, comme ceux que vous avez appelé, les contributeurs volontaires, il faut l’admettre dans notre démocratie. On l’accepte. Et les uns comme les autres ont apporté de mauvaises choses, et de bonnes aussi. Certains ont apporté des choses utiles. De grands journalistes comme Anne-Marie Casteret, ont trouvé des choses.
Les apports de l’audience. Nous avons passé une petite semaine sur le sujet. J’ai entendu l’audition des OPJ. Je m’y attendais, j’avais lu le livre de Mennessier. J’ai été interpellé par ce que j’ai entendu. Et surtout lorsque vous avez organisé la confrontation entre le commissaire Malon et ses hommes, Cohen et Burle. Cela a confirmé le climat. Le directeur du SRPJ a-t-il dit ou non : « A Paris, ils veulent un accident, ils l’auront ». Tout s’est passé comme si... Les commandants Cohen et Burle expliquent que le commissaire a retenu les rênes de l’enquête. Les actes importants, qui auraient pu concerner la piste Jandoubi, la persuisition, le commissaire Malon a confirmé qu’il n’était pas chaud pour que cela soit fait tout de suite : « Je n’ai peut-être pas dit que cela allait polluer l’enquête »...
Je ne fais aucun reproche au commissaire d’avoir demandé à ses hommes d’être délicats avec Mme Mordjana. Y-a-t-il une rivalité entre M. Cohen et le jeune commissaire ? Je ne sais pas. Mais on a découvert que le commandant Cohen avait rédigé un rapport, et que sa hiérarchie l’avait mis dans un tiroir. Il a senti que la situation n’était pas normale au SRPJ pendant cette semaine. La PJ a considéré que la priorité était d’entendre les salariés, il y a eu 500 PV. Je ne suis pas dans la tête du commissaire Malon, je ne sais pas s’il exécutait les ordres de M. Bréard. C’est un fait. Il a mis ses hommes sur la piste chimique.
La deuxième chose qui m’a frappée, c’est le témoignage de M. Bouchitey, le patron des RG, sur la fameuse note. Il a dit que c’étaient des renseignements bruts de décoffrage. Il a indiqué que toutes les vérifications ont invalidé la note. Ce que je retiens, c’est la confirmation qu’il existait bien à Toulouse une mouvance afghane, le pôle Artigat, le pôle du Tabligh. Il existe en France des gens qui font des stages en Afghanistan, qui apprennent à mettre un explosif dans un téléphone, et qui reviennent... Ce sont des gens qui se sont formés à certaines méthodes, qui ont des convictions. Et des gens comme cela il y en a dans toutes les villes françaises. J’ai cité un rapport des RG en 2005 une tendance à l’islamisation d’une frange de la société française. M. Bouchitey a confirmé qu’il existait une mouvance à Toulouse. Il a dit : « Certains ont fait l’objet de procédures ».
On a effectivement appris l’arrestation de gens d’Artigat, on l’a écrit au juge Perriquet. Ces personnes avaient été auditionnées dans le cadre de l’affaire AZF. C’était trop tard. Le dossier était fermé. Mais la semaine dernière, le tribunal de Paris a jugé ces gens-là. Le procureur nous en a parlé. C’est donc qu’il a eu accès au dossier. Peut-être que nous pourrions avoir accès nous aussi au dossier. Et si ces gens d’Artigat, en 2001, avaient recruté ? Avaient cherché du nitrate ? Ce n’est pas un fantasme. On a lu récemment un article sur un garçon interpellé et qui voulait voler du nitrate... Il en existe, des gens qui veulent passer à l’action. Et peut-être que cela existait en 2001, il y avait peut-être des gens qui sont allés trouver Jandoubi".
Dans la salle, Me Levy proteste.
Me Foreman : « Je ne porte pas d’accusation contre Hassan Jandoubi. Je dis que peut-être les mêmes gens qui en 2005 recrutaient dans les cités toulousaines ont peut-être en 2001 essayé d’approcher des gens d’AZF pour voler du nitrate. M. Bouchitey nous a confirmé que ces gens, en 2001, étaient là. Il nous a dit aussi : »d’autres font l’objet d’objectifs du service".
L’audience a aussi apporté confirmation de la faisabilité de l’attentat. M. Van Schendel a reconnu que 30 cm suffisaient. Le TATP, explosif à la mode au début des années 2000, ne laisse aucune trace. Alors, nous dire qu’on n’a pas retrouvé de trace ! Et du chlore, on en a retrouvé des traces, peut-être ? Non. Alors. J’ai des faits, des poignées de faits isolés. Ils ont peut-être un lien. Ces faits sont dans le dossier. Comme la présence avérée à Toulouse de cette mouvance afghane.
Un deuxième fait. Le 1er septembre, la SNPE reçoit la visite d’artificiers. Vous avez ordonné une commission rogatoire. Les artificiers disent : « On avait reçu des instructions pour aller à la SNPE. C’étaient des instructions spécifiques en dehors des visites de routine ». On leur a demandé si c’était urgent. Ils ont dit que non. Et qu’ils y sont allés pour un risque d’attentat. Les artificiers ne se déplacent pas pour autre chose. Qui leur a demandé d’y aller ? Impossible de retrouver l’origine de l’ordre. Ce n’est pas neutre que depuis 2001 certaines autorités savent que depuis le début du mois il y avait un risque d’attentat à la SNPE et qu’il ait fallu attendre 2009 pour savoir. Une deuxième équipe vient à la SNPE ce 1er septembre. On n’a pas retrouvé cette autre équipe. (...).
Pas de suite malgré nos demandes.
Je continue. Avant l’explosion, trois appels sur le 17. Un appel le 20 dans la matinée qui concernait l’histoire Elagoun, le garçon qui a été mis hors de cause. En 2004, cela sort grâce à un journaliste du Figaro. On a ouvert la porte et on l’a refermée. Le même jour, le 17 reçoit un autre appel : un regroupement d’islamistes et de gens d’extrême droite impasse Palayré. Cette impasse dessert Tolochimie, le local technique de la mairie de Toulouse. Le matin de l’explosion, autre appel sur un vol. Ce sont des faits. Et puisque je parlais de Tolochimie, voici ce que j’ai appris en lisant le livre de M. Mennessier, Tolochimie a alerté la DST sur le comportement de deux employés d’une entreprise sous-traitante. L’un d’eux, employé dans la restauration, dit qu’il est prêt à mourir pour sa religion. La DST s’est précipitée le lendemain chez ses employés, et ils ont été mis hors de cause. On aurait peut-être pu avoir ces informations dans le dossier.
Encore un fait. Les responsables du Tabligh sont à Toulouse les 20 et 21 septembre. Les RG sont au courant.
Le 21 septembre, il y a des incidents entre les chargeurs et les chauffeurs sur le site AZF. On en a beaucoup parlé. M. Ben Driss nous l’a dit. L’enquête a confirmé ces incidents. M. Maillot avait été averti. M. Pons a dit : « Ce n’est pas la peine de les virer, c’est leur dernier jour ».
Ces faits sont validés. Autre fait rapporté, et pour cause, M. Lacoste est mort. Lacoste, le collègue des chargeurs, aurait dit : « ces gens là, ils vont faire péter l’usine ». Autre fait. Hassan Jandoubi perd son badge. Le 21 septembre, deux amis de Jandoubi manquent à l’appel, El Bechir et Souilla. Sur les quatre collègues de Jandoubi, deux qui le connaissent bien ne sont pas là. Ce sont des faits, pas des fantasmes.
Coincidence, je sais que le parquet le considère, et je pense aussi que les enquêteurs n’ont même pas pris conscience de ces faits. L’autopsie de Jandoubi. Malon n’a pas pris au sérieux cette histoire de caleçons. Voilà. Les faits.
Que peut-on en faire ? Peut-on les relier ? Je pensais penser en revue les différentes investigations qui n’avaient pas été faites.
Je vous ai déjà parlé de l’enquête de flagrance. Au bout de 8 jours, on ouvre une information. 2000 actes. Combien d’actes sur la piste volontaire ? 85. En pourcentage, 5%. Le procureur avait parlé de 90%...
C’est un signe, allez...
Qu’est-ce qu’on a regardé au bout de quinze jours ? Le cambriolage du local technique de la mairie. On vérifie l’affaire Agraniou, c’est un responsable de la sécurité d’Airbus qui a signalé cela aux enquêteurs. Agraniou n’était pour rien dans cette histoire, mais on n’a rien démontré. Ensuite, il y a des PV concernant les caleçons de Jandoubi, je m’étais promis de ne pas en parler. La PJ a interrogé l’ambassade d’Israel, des autorités religieuses. La lettre de l’ambassade d’Israel n’a pas démenti en réalité que dans certains cas c’était une coutume chez des gens qui prévoyaient de se faire sauter. Voilà ce qui a été fait pendant quinze jours.
Nous, nous sommes avocats, pas policiers. On nous dit : vous pouvez faire des demandes d’investigations. (...)
Que pouvait-on faire ? Investiguer sur les cartes Sim volées au CHU de Toulouse. Les enquêteurs auraient pu aller un peu plus loin. La téléphonie, on aurait pu exploiter les facturations détaillées. J’ai versé dans le dossier un article du Nouvel Observateur sur le démantèlement d’un groupe salafiste qui prévoyait un attentat sur un site industriel en Italie. La cellule de Milan a été démantelée à la suite du démantèlement d’une cellule de Francfort, qui voulait faire sauter la cathédrale de Strasbourg en 2001. Jandoubi était à Francfort en février 2001.
Un fait. Jandoubi a dissimulé ce voyage à sa femme. On pouvait investiguer sur les cartes Sim volées, vérifier les dates des voyages de Jandoubi. El Béchir donne le numéro de téléphone du garage de Hambourg au policier, qui ne vérifie pas. Et je reviens sur cette rumeur : Lacoste disait : ils vont faire péter l’usine. Le garçon qui appelle le 17 pour l’impasse Palayré.
J’espère que les services officiels ont vent d’un risque d’attentat à la SNPE, j’espère qu’il y a eu des hélicoptères qui ont surveillé le pôle chimique, je l’espère en tant que citoyen. Nous avons demandé d’interroger le ministère de la défense de lever le secret sur les mesures de surveillance du pôle chimique. J’ai à peu près tout dit sur la piste volontaire.
Je ne voulais pas vous convaincre de la culpabilité de Jandoubi. J’ai discuté avec des gens qui le connaissaient. On essaie de comprendre. S’il a joué un rôle dans un scenario, c’est celui qui pouvait ouvrir les portes, faire entrer quelqu’un. On n’a pas élucidé le deuxième interlocuteur dans la dispute avec les chargeurs...
Je m’arrête là. Je crois avoir donné plus de faits, tout en m’abstenant d’affirmer qu’ils ont un lien, que les experts n’en ont donné sur la piste chimique. La piste de l’acte volontaire, j’affirme qu’elle a un niveau de vraisemblance raisonnable qui justifiait des vérifications qui n’ont pas été faites, et qui laissera toujours un doute sur ce dossier.
L’autre fantasme : il y a eu deux explosions à Toulouse le 21 septembre 2001. Y a-t-il eu une explosion, ou deux ? Très vite est arrivée l’explication sismologique avec Mme Souriau. Elle a défini une hypothèse. « Messieurs mesdames, vous n’avez pas entendu deux explosions, vous en avez entendu une avec les pieds, l’autre avec les oreilles ». Une fois par le sol, une fois dans l’air : un seul événement. Enormément de Toulousains ne croient pas à cette explication. Vous avez entendu José Domenech qui a travaillé sur les témoignages.
J’en citerai un seul.
Celui de Lionel Cazeaux, informaticien appelé à la Semvat à côté d’AZF, à moins de 600 m du cratère, le son met une seconde à lui parvenir. Lionel Cazeaux fait partie de ces gens pour lesquels on a un repère objectif. Il est informaticien. Il travaillait. « Vers 10h17, une détonation de faible intensité se fait entendre. Simultanément à cette déflagration, j’ai constaté une coupure de courant anormale. Toutes les machines s’arrêtent. La lumière s’éteint. Puis le courant revient au bout de 3 à 4s. Ma console s’est réinitialisée normalement, et lorsque la machine a réinitialisé la mémoire de l’ordinateur, et à ce moment là une autre détonation s’est produite avec un effet sismique. Les vitres ont volé en éclats ». Il a estimé à 10 secondes le temps entre les deux détonations. Voilà quelqu’un à qui on ne fera pas croire qu’une onde sismique a pu éteindre la lumière et les ordinateurs. Et des témoignages comme celui-là, il y en a des paquets dans le dossier.
Alors, un peu de science et de technique. M. Pheulpin nous dit de l’explication de Mme Souriau : « Cette constatation ne peut constituer seule la preuve que l’explosion unique est bien à l’origine des deux événements sonores. Une étude complémentaire pourrait apporter une explication. La seule solution mathématique se situe en altitude ».
On a fait venir M. Naylor et M. Grenier. En 2004, on ne disposait que de quatre enregistrements, après, on en a obtenu davantage et on les a donnés. M. Grenier, comme M. Naylor, a conclu aussi à une explosion en altitude. Que peut-on faire ? On nous dit : « Vous semez le trouble, c’est votre stratégie de défense ». On aurait pu cacher le rapport, cela aurait fait un autre rapport caché... On a donné ce rapport, mais on n’a pas pu l’interpréter. On n’arrive pas à assembler les pièces du puzzle...
On a demandé à ces experts de localiser ce bruit en altitude.
L’explication simpliste selon laquelle les Toulousains ont entendu l’explosion avec les pieds est... simpliste.
Etait-il raisonnable de confier à la justice pénale la recherche de la vérité ?
Vous avez fait remarquer à M. Van Schendel qu’il avait une mission très large. Dans d’autres pays, ce n’est pas le juge pénal qui fait ce travail. Quand il se passe une explosion, il y en a une commission d’enquête. On en a eu, l’Ineris, la Drire, mais ces enquêtes ont été inhibées par l’enquête pénale. Quand on demande à MM. Van Schendel et Deharo de comprendre les causes de l’explosion, on leur donne une mission impossible. Ils partent avec leur vision du dossier, et construisent ce dossier avec cette vision. Et pendant ce temps là, la machine pénale se met en marche. J’aurais souhaité que la justice s’occupe exclusivement de la piste volontaire. Regardez ce qui se passe pour l’accident de l’A33O : le BEA enquête, c’est un organisme indépendant. On aurait pu imaginer à Toulouse une enquête technique indépendante. Imaginons un mécanisme avec une vraie enquête scientifique. Mais vous voilà héritiers d’un dossier qu’il vous faut conclure. Je ne pense pas que la vérité sortira de votre jugement. Peut-être qu’un jour, dans quelques décennies, on comprendra ... Je ne voudrais pas que l’on croit que toutes les pistes ont été fermées, bien peu ont été véritablement exploitées".
L’audience est suspendue. Le procès reprend lundi à 9h30.
Sabine Bernède
La Dépêche du Midi