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L’Europe, rêve de conquérant ou origine commune

lundi 15 février 2010

Ce qu’enseigne la mythologie

La mythologie s’est emparée de ce terme d’Europe dont elle a voulu faire plus qu’une expression géographique, comme on a dit qu’était l’Italie avant son unification, ou l’étiquette d’une concertation économique qui masquerait la présence centrale de l’Allemagne, entravée dans ses droits politiques par les Etats-Unis deux fois entrés en guerre contre elle ; mais il s’agit d’une Allemagne encouragée à produire pour maintenir le niveau de vie de ses voisins vainqueurs cherchant le salut dans la spéculation financière, plus que dans l’innovation technique.

Dans tout cela la vérité se dérobe : « Europa » aurait été
mythologiquement une princesse palestinienne ou phénicienne enlevée par Jupiter et portée sous nos climats, d’où, faut-il le préciser, ses propres ancêtres seraient partis fonder Carthage, Tyr, Sidon et surtout Delphes et son sanctuaire, comme le croyaient les Anciens célébrant le retour annuel d’Apollon avec son char de cygnes en terre scandinave ou frisonne de la Mer Baltique.
Le philosophe Leibniz mentionne « l’hypothèse qui fait venir les Européens d’Asie » [1] L’identité est donc aussi vaste que l’origine est lointaine et se maintient sous une diversité plus apparente que réelle, entre différents peuples que ne séparent pas des frontières naturelles ou des rites religieux plus communs qu’on ne pense.

Cela pourrait au moins désigner des habitudes de vie ou de communauté, une descendance dont le point de départ est peut-être en partie énigmatique, dans l’état de nos connaissances. Tel linguiste et polyglotte traduit récemment Europa, par « vos aïeux » (Eure Opa).
Pourquoi non ? Et bien effectivement, le « pays du milieu », comme le nommait le philosophe Kant, en est l’Allemagne ; elle est, selon un mot repris par le candidat, rejeté par Sarkozy, à la présidence du Conseil de l’Europe, le syndicaliste chrétien luxembourgeois, ministre des finances et Premier ministre du Grand-duché, Jean-Claude Jüncker, le « moteur » du continent européen.

Et cette unification de l’Europe ? Est-ce une utopie ? De Gaulle a, avantageusement pour la France, tourné la lente et continue avancée historique vers l’Est et le Nord du « pré carré » des Rois de France et de leurs successeurs républicains, mais toujours aussi conquérants et séducteurs, de « notre nation qui a toujours été légère, quelquefois très cruelle » [2] en rêve d’unité. Le général de Gaulle a, comme de nombreux orateurs, présenté les contre-offensives impériales comme une tentative de vassalisation de l’Europe de la part de Charles Quint, et vu en Napoléon l’héritier romain de cette entreprise, du reste mieux admise des Autrichiens, des Italiens, de l’Allemagne et de Goethe même, que de Français inquiets de la concurrence politique et économique.

Il est aussi de bon ton de décrier l’entreprise européenne comme supranationale ; c’est oublier que le mot de France, plus exact que celui des Gaules - mot de racine germanique, Frei ou free, et Anses ou héros et demi-dieux - est un Empire supranational, ayant laissé coexister des peuples hétérogènes, tant en dogmes religieux qu’en degré de civilisation. De tels propos sur l’Europe anti-française ou la France anti-européenne ressemblent à des duels vaniteux, et leur interdiction a toujours été demandée au sein de la République des Lettres.

L’aristocratie est européenne

Nous en revenons toujours à un point de départ, à une origine, dont la pensée n’est pas absente des démagogues ou chefs de partis, puisqu’ils clament, libertins en tête, les « origines chrétiennes de l’Europe », certains courtisans du pouvoir précisant « judéo-chrétiennes », ce qui est aussi vain que de se prétendre rien qu’« abrahamique », car le concept est trop large pour être déterminant.

Dira-t-on que la rue parisienne de Notre-Dame des Victoires a un lieu de culte judéo-chrétien ? L’absurdité saute aux yeux. Nous sommes sûrs de la réponse négative des fidèles de l’« ancienne loi ». Qui ignore encore que l’Europe a eu et augmente son potentiel musulman, lequel fait moins peur aux néo-chrétiens indifférents à tout dogme, qu’à ceux qui, comme le dit Pascal « ont mépris pour la religion ; ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie ». [3]

Si l’on poursuivait le raisonnement du mathématicien français, il faudrait « commencer par montrer que la religion », l’islamisme, en l’occurrence, « n’est point contraire à la raison », ce qu’insinuait le Pape, et conséquemment, à l’entité européenne. L’Histoire penche en ce sens et il faut l’ignorance de la civilisation impériale des Hasbourg, pour contester que l’Europe n’ait jamais été musulmane, en premier la vaste ethnie turque civilisatrice qui hérita son drapeau et ses institutions de Byzance.

Il y a plus, l’Allemagne et la Turquie, la Hongrie (Slovaquie et Croatie, avec la Croatie turque ou Bosnie comprise) forment depuis la fin du 19e siècle un espace continu et organique, converti en alliance militaire jusqu’en 1918. Récemment, le Figaro, sous coupe états-unienne, a, pour discréditer la demande d’entrée de la Croatie à l’Union européenne, prétendu que le pays avait été occupé par les Turcs avant de tomber en Autriche-Hongrie : ce peuple croate migrant, d’origine en partie iranienne, comme s’en réclament ses historiens libéraux du 19e siècle et le prouvent les couleurs blanche et rouge de son damier national disant le nord et le sud en Iran, s’est donné à la couronne de Hongrie plusieurs siècles avant, qu’appelés et excités par les Français, les Turcs ne parcourent le pays, à l’appel de François Ier, pour intimider l’Allemagne.

Alors, regardons les choses de plus près, d’abord du point de vue des dirigeants européens pendant des siècles, toutes les familles régnantes avaient une patrie européenne, si patrie signifie bien la terre des pères. Et pour un esprit cultivé, Vienne aujourd’hui représente, en plus de la capitale de son Etat particulier, de son peuple entendu comme corps constitué, sa capitale impériale ; car il faut une tête à l’organisme pour vouloir et c’est ce qu’ont très bien compris les spéculateurs de Londres et de New York et leurs alliés américanisés de mœurs, à la Clémenceau chez nous, ou à la Masaryk à Prague (leurs épouses étaient américaines), à savoir que pour ruiner la société traditionnelle, il fallait décapiter sa puissance, ruiner les deux Empereurs germano-autrichiens, pour y imposer l’Empire sans visage, celui de l’inflation permanente, le continent des dupes.

L’Europe n’a eu de sens que sous une aristocratie dont nous voyons les restes, et cette même Europe ébranlée par le principe des nationalités, s’est aussitôt ressoudée aristocratiquement, mais avec celle de l’argent ; Chateaubriand fait cette observation dans son séjour à Prague en 1833, au tome 6 de ses Mémoires d’outre-tombe, et son propos n’est plus tenu maintenant que par Dieudonné !
Le « concert européen » d’hier devient aujourd’hui « concert financier », et dire que l’Europe est absente revient à désigner la réunion incomplète d’une agence mondiale de gouvernement et de taxation internationale, périodiquement attaquée, à gauche et à droite, pour paraître d’essence démocratique.

La question allemande pendante en Europe

Tout le monde aura bientôt une carte d’entrée à l’université autonome, la difficulté étant de payer, comme au péage de l’autoroute, et donc plus nombreux seront, collègues et étudiants confondus qui affirmeront sur la foi de leur diplôme qui est une « licence » ou permission d’écrire et de parler, que l’Allemagne vaincue, et affamée, avec vingt millions d’hommes sous les barbelés, a signé un traité de paix, que crucifiée par l’occupation militaire et démantelée, elle a ressuscité sous le miracle du plan Marshall et fut intégrée à l’OTAN.

Et après ce Credo, nous pouvons consulter les feuilles des nouvelles Apocalypses qui dévoilent que le pays pourra accueillir, après tant d’années de purgatoire, la faveur d’une colonie israélienne sur le sol allemand, après que les ennemis de l’Europe, les islamistes et leurs sœurs voilées, intégralement ou pas, auront découragé le retour à Canaan jamais accepté par les gens du lieu, qui ont comme le personnage de Molière « la forme enfoncée dans la matière », en somme un paysan du Danube ! Jusqu’où n’ira pas la grâce de Dieu qui laisse ouverte la porte au repentir, et par laquelle s’infiltrent aussi, direz-vous, les corrupteurs, comme dans la parabole du bon grain et de l’ivraie ?

A cet égard permettez-moi, comme visiteur de l’Allemagne, respirée de l’île de Rügen jusqu’au Tyrol, de Hambourg à Graz en Styrie, à la frontière slovène, de proposer quelques rectifications à l’opinion médiatique :

  • Aucun traité de paix n’a été signé entre l’Allemagne et les belligérants. Ses anciens territoires occupés administrativement par la Pologne et la Russie ont toujours en droit ce même statut.
  • Ce n’est pas le miracle allemand qui a été causé par le Plan d’aide du général Marshall, mais c’est le Plan Marshall « plan de redressement européen », d’aide financière, dont les intérêts ont été très vite remboursés, à la surprise des bailleurs de fonds et usuriers, qui a parasité l’économie allemande occidentale. L’industrie avait été démembrée, les propriétaires comme Krupp emprisonnés par les Américains, puis libérés quand les Alliés se sont vite rendus compte qu’il ne suffisait pas d’avoir du matériel allemand, mais que l’intelligence théorique et pratique, la discipline organisationnelle, bref politique au sens large, leur étaient nécessaire, car supérieure à la leur propre.

Mais la visée politique du plan Marshall, soutenu par la propagande, fut, à travers des crédits remboursables, d’approfondir la scission de l’Ouest et de l’Est européen et la scission de l’Allemagne, au profit non de l’une des parties, mais du consortium financier ou Léviathan qui absorbe le monde présent.

  • Le miracle du relèvement des pays européens, Angleterre et France en tête, vient de l’aide allemande et en premier, à la honte des Etats-Unis, il faut relever que des dizaines de milliers de brevets ont été volés et ont servi de moteur à la machine états-unienne.
  • La proposition de restitution de l’ancienne Prusse-Orientale, où est la ville de Königsberg, patrie de Kant, avait été faite par feu Brejnev, et Kohl, en cela fautif et certainement peu patriote, s’y est opposé par crainte de réactions occidentales, et lorsque le mur est tombé à Berlin, par décision des Soviétiques et avec accord des Américains, François Mitterrand qui y était opposé, mais n’était pas germanophobe comme en témoigne son éloge de l’armée allemande fait à Berlin en fin de carrière, a alors demandé l’engagement allemand de soutenir le franc et les monnaies européennes, en abandonnant le D-Mark et en acceptant l’Euro.

Il y a donc une vraie mauvaise foi de ceux qui prétendent défendre l’institution du franc contre l’Euro, car ce dernier n’a coûté qu’à l’Allemagne et il est probable que nous avons échappé à une inflation redoutable. La position de gens qui déblatèrent contre l’Allemagne, tel Villiers, n’expriment que leur alignement sur la Bourse de Londres et le clan Goldschmidt.
A cet égard la digestion par l’Allemagne fédérale toujours soumise à l’occupation étrangère, de l’Allemagne dite faussement de l’Est, en réalité médiane ou centrale, l’Est étant sous administration russo-polonaise, jusqu’au prochain ébranlement mondial rétablissant les choses en l’état initial, est achevée ; et l’usage d’un Euro fort, qui aurait dû ralentir le progrès du pays l’accélère, indépendamment de la crise financière passée et future.

Dans toutes ces circonstances l’Allemagne qui a sa force propre, a été politiquement menée. Elle ne peut rien d’autre.

Une partition unique d’Outre-Atlantique

Et tous les opposants ou partisans de l’Europe chantent avec des voix et au son d’instruments différents, mais en réalité lisent la même mélodie : pas de solution à la question allemande, une Europe faite par eux pour ne pas qu’elle se fasse d’elle-même et englobe non pas seulement l’espace de l’Atlantique à l’Oural, mais de Brest à Vladivostok.
Berlusconi verrait cette Europe d’un bon œil, et Poutine se déclare devant les caméras d’une usine de production à Vladivostok précisément, prêt à lui vendre un tout terrain « avec 10% de réduction », pour bien marquer la coopération européenne réussie, la même que le ministre italien du développement, Claudio Scajola, présente en annonçant la collaboration du russe Sollers et de Fiat au service de l’américain Chrysler, au même endroit.

La véritable visée serait bien celle proposée par Claudio Mutti, à la tête de sa revue Eurasia qui renouvelle l’expression de Paul Valéry, de l’Europe géographique, presqu’île de l’Asie ; en réalité, Asie et Europe ont une destination spirituelle unique, et ce malgré les « clashistes » à la Samuel Huntington qui n’ont de cesse, selon la prescription subversive de sa tradition de pensée, de semer les graines d’une lutte intestine partout, notamment pour dissoudre l’homogénéité sociale, car les ethnies, comme les familles ou les rites eux-mêmes sont à découvrir dans un tissu, selon l’art que Platon dit le plus philosophique, celui d’exercer la trame.

Les succès de cette Eurasie, qui a été la seule réalité, fâchent les Etats-Unis et leur visée de parasitisme géopolitique qui lancent des bombes médiatiques contre Berlusconi et organisent une alliance de l’extrème-droite et de la gauche débridée contre lui, en passant par les cabinets de juges centristes. Voyez toute la campagne mobilisant prostituées, cols révolutionnaires et autres crieurs publics contre un homme adulé la veille, se retrouvant vilipendé par l’ex extrémiste Fini et la gauche unis ? Et ceci exaspère d’autant plus le leadership états-unien et sa base financière mouvante que les derniers échos de la presse spécialisée annonce que « l’économie russe aurait progressé de 1,9 % fin 2009 et pour 2010, le PIB pourrait augmenter d’environ 3,1 %, selon le Kremlin. » [4]

Comment faire montre de discernement dans une atmosphère où la désinformation, comme la grêle, s’abat sur un peuple maintenu dans l’ahurissement perpétuel ? Nous ne raisonnons plus mais répondons à des excitations, comme des prisonniers d’un immense Guantanamo, étant sous l’emprise de l’appareil de propagande mis au point principalement par la marine états-unienne, dans la guerre psychologique mondiale en cours.

Nous conclurons donc ces observations sur l’Europe et les sentiments des partis à son égard par les mêmes termes de Voltaire dans sa lettre citée plus haut : « Il arrive quelquefois, dans de pareilles occasions, qu’on déplaît aux deux partis ; mais à la longue, la franchise et la pureté des sentiments réussissent toujours. »

Pierre Dortiguier pour Geopolintel

Notes

[1Nouveaux Essais sur l’Entendement humain, livre II, chapitre 2, « De la signification des mots ».

[2« lettre de Voltaire du 20 mai 1771 au maréchal duc de Richelieu

[3Introduction aux Pensées, article : Ordre

[4Tribune, 31 décembre 2009, p.5

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