Les forces hexagonales – plus ou moins 3500 hommes – occupent en effet une place déterminée dans un dispositif, lequel serait forcément remis en question dans sa totalité si un élément venait à en être retiré sans une soigneuse et longue planification préalable. De ce seul point de vue la France ne peut pas partir sauf à mettre en difficulté l’ensemble du dispositif de la Force internationale d’assistance et de sécurité - FIAS – conduite par l’Otan, sous commandement américain et sous couvert d’un mandat des Nations Unies. Une question cruciale d’ailleurs se pose, celle du nécessaire transfert des « responsabilités de sécurité » aux Afghans sans laquelle toute cette misérable guerre eut été totalement inutile. Or, dans la région de Surobi, la Kapisa, zone opérationnelle affectée à la France, représente un terrain particulièrement difficile à tenir, en raison notamment de sa grande complexité ethnique et tribale [2]. Logiquement, ce transfert aurait dû avoir lieu dès l’été 2011, mais les Américains s’y sont catégoriquement opposés… et sans ménagement. En principe la décision en revient au gouvernement fantoche afghan, mais en principe seulement. Il a suffi que l’armée américaine rajoute une condition sine qua non - la présence d’un axe routier national dans le secteur, ici absent - pour décider que le retrait français n’était ni opportun ni faisable. Rompez !
Un retrait ni stratégiquement opportun ni techniquement faisable
Dans une telle occurrence, la France manquerait doublement à ses engagements et aux devoirs qu’elle s’est à elle-même imposée en tant qu’État membre de l’Organisation des Nations unies, et en tant que signataire du Pacte de l’Alliance Atlantique, traité fondateur de l’Organisation du même nom. Ce faisant Paris sortirait de la légalité et de la Communauté internationale [3]. Est-ce seulement envisageable ?
Reste que nos politiques ne sont pas à ça près. Toutes les foucades et les coups de canif dans les traités sont toujours possibles. Au demeurant c’est avec beaucoup d’inconséquence que M. Hollande a pratiqué ici, à l’instar de son prédécesseur, la technique de l’effet d’annonce, se réservant d’éventuellement corriger le tir une fois installé dans les ors de la République. Cela augure pourtant mal de la suite des événements en ce que cela ouvre le bal quinquennal sur une duperie. Doit-on dire aussi que cela n’a pas été lancé en l’air, au cours de la campagne des présidentielles, par simple légèreté ?
M. Hollande est entouré de conseillers qui savent exactement de quoi il retourne. Le contraire n’est d’ailleurs pas imaginable et serait au final particulièrement inquiétant. Il est surprenant d’ailleurs qu’au cours de la campagne le candidat sortant et futur perdant n’ait pas relevé avec toute la vigueur nécessaire l’irréalisme du projet et de l’intention, lui qui en connaissait les ressorts cachés aux yeux de l’opinion ! Il est vrai que les questions extérieures, les crises en cours au Proche-Orient et en Asie centrale, les profondes mutations qui affectent de précaires équilibres internationaux, n’ont guère été évoquées tout au long d’une campagne électorale d’une consternante platitude… à l’image des deux compères qui se sont affrontés sans jamais franchir les limites de la bienséance consensuelle et surtout sans jamais aborder les questions de fond, celles qui engagent l’avenir d’une Nation ! De ce point de vue personne n’a noté le peu de distance séparant l’un de l’autre candidat, complices dans la sauvegarde d’un système fondé sur le mensonge par omission. Le silence n’est-il pas la meilleur façon de masquer les choses qui ne ce cas « n’existent pas » ?
Ni M. Hollande, ni M. Obama ne perdront la face
Inutile de dire que l’élection de M. Hollande a suscité de vives inquiétudes à Bruxelles siège de l’Otan. Vu de loin les socialistes français apparaissent soit comme des sauveurs (pour les Grecs par exemple ce qui est du plus haut comique), soit comme des croquemitaines. Il est vrai que les « riches » taxés à 75% au-delà d’un revenu de 1 million d’€ l’an, revêt une dimension surréaliste aux yeux du premier libéral (progressiste) américain venu pour lequel un imposition à 30% constitue une limite indépassable voire intransgressible.
Le Secrétaire américain adjoint à la Défense, à l’Europe et l’Otan, James Townsend a ainsi déclaré à propos des velléités françaises de départ précipité d’Afghanistan « J’ai parlé avec leur ministre de la défense Le Drian [il s’agit du shadow minister, la personnalité pressentie pour occuper le poste]. Ils se trouvent dans une situation avec laquelle beaucoup d’hommes politiques sont confrontés suite à une élection. Ils vont devoir gouverner. Ils vont se retrouver devant un sommet pour lequel beaucoup de travail a été accompli par les Alliés pour essayer de s’assurer que nous sommes tous unis sur la marche à suivre… Au sommet, nous ferons une déclaration relative à l’Afghanistan… Or le nouveau gouvernement français, au moment où il arrive au pouvoir, va devoir entrer dans un fleuve qui coule déjà… et l’Alliance veut s’assurer qu’une présence sera maintenue en continu après 2014 ». Le programme est clair, le plan est tracé et Hollande n’aura guère le loisir de discuter, il lui faudra, d’une façon ou d’une autre, obtempérer.
Gageons que dans ces conditions M. Hollande saura à Chicago se montrer accommodant et que le calendrier du retrait français sera aménagé de façon à concilier les divers intérêts et impératifs d’ordre stratégique, organisationnel, technique et politique qui entrent en ligne de compte… Dans cette perspective il est à parier qu’une fois de plus le départ des soldats français sera strictement calé sur le départ des GI’s américains dont l’annonce sera un puissant argument de campagne en vue d’une éventuelle réélection de l’actuel titulaire de la Maison-Blanche.
Un argument massue, en premier lieu parce que les dépenses induites par l’occupation de l’Afghanistan deviennent insupportables : en juillet dernier, soit en dix ans, il apparaissait que les États-Unis avaient gaspillé approximativement 320 milliards d’€. Et puis aujourd’hui, il s’agit de clore le plus en douceur possible ce nouveau chapitre désastreux de l’histoire militaire américaine… Au plan militaire disons-nous, parce que les bénéfices géopolitiques éventuels des dévastations afghanes ne se comptabilisent pas sur le court terme ! Finalement, parce qu’il est temps de clore ce théâtre d’opérations afin de pouvoir, le cas échéant, ouvrir d’autres fronts de guerre. L’Iran par exemple contre lequel l’offensive a été reportée d’une année sous la pression des états-majors tant israéliens qu’américains .
[4]
Quant à la France prise dans l’actuelle tourmente de la dette souveraine, elle se trouve confrontée aux mêmes difficultés financières que les États-Unis… Il y a un an, 27 000 militaires français étaient déployés à l’étranger, or le budget 2011 limitait à 640 millions d’€ les dépenses liées aux opérations extérieures. Budget qui en réalité aura certainement atteint le milliard d’€ en fin d’année. De cela évidemment, les finalistes de la course à la présidence se sont bien gardés de parler. On comprend mieux aussi pourquoi M. Hollande semble pressé de clore le peu reluisant épisode afghan qui aura causé la morts de 82 soldats en pure perte si l’on considère la récente offensive Taleb sur Kaboul… non en raison d’un prurit moral aigu, tout bonnement parce que la France n’en a plus les moyens.
L’agitation tient lieu d’action
Le 12 juillet 2011, emboîtant le pas au président Obama [5], M. Sarkozy annonçait à l’occasion d’une visite surprise à Kaboul le retrait accéléré des 4000 militaires français d’Afghanistan. Un quart devait être rapatriés avant la fin de 2012, le retrait définitif étant prévu en 2014. Presque un an plus tard ce sont toujours quelque 3500 hommes qui sont encore présents sur le sol afghan. M. Hollande fera-t-il mieux ? Rien n’est moins certain ! Au mieux il tiendra l’échéancier de M. Sarkozy – donc rien de nouveau – soit le rapatriement de 1300 hommes d’ici la fin de l’été 2012… Une procédure renouvelée d’alignement sur le désengagement Yankee que les Socialistes auraient eu du mal à désavouer puisque le PS s’était prononcé, en novembre 2010, lui aussi, pour un « retrait coordonné avec le désengagement américain ». Un plan américain d’évacuation (dicté a priori essentiellement par des considérations de fiasco militaire quasi intégral, un coût monstrueusement exorbitant et un refus grandissant de l’opinion publique américaine qui s’est moulé à bon escient sur des considérations de politique intérieure liée à l’élection présidentielle américaine de novembre 2012, tout autant que sur le calendrier politique français, ce qui convenait autant au candidat malheureux Sarkozy qu’au vainqueur Hollande à présent héritier de dispositions dont il n’hésitera pas à se prévaloir, n’en doutons pas.
Quant au retrait américain proprement dit il relève du grand art tout autant que du tour de passe-passe : M. Obama claironnait en juillet 2011 l’annonce du départ d’Afghanistan d’un premier contingent de 5000 GI’s sur cent mille (les derniers ne devant revenir au pays pas avant 2015)… Il fallait cependant voir dans cette amorce spectaculaire de reflux, à la fois un aveu de plate déconfiture et une habile manipulation : si effectivement à l’été 2012, 33 000 personnels sont censées avoir quitté les vallées de l’Hindou Koush, cela n’interviendra qu’après que le même Obama eut augmenté en décembre 2009 les effectifs américains basés en Afghanistan de quelque 30 000 hommes. Retrait claironné et conçu bien évidemment pour son rendement électoral basé sur un principe analogue à celui des soldes : les prix augmentent au préalable afin de rendre plus alléchant le rabais ensuite consenti [6].
Intérêts convergents Obama/Hollande
Ce pourquoi le Sommet de Chicago pourrait voir se préciser un nouveau calendrier de retrait coordonné entre les divers membres de l’Otan empêtrées dans une confrontation aussi asymétrique que sanglante, rebaptisée pour les besoins de la cause « assistance et sécurité » ! Une telle annonce permettrait à n’en pas douter au président Démocrate américain de redorer un blason que l’exécution extra judiciaire d’un pseudo Ben Laden n’est pas parvenue à faire mieux briller. Mais jusqu’où pourra-t-il également aller au-delà de l’effet d’annonce ?
Notons que par une certaine ironie de l’histoire, les prétentions du président français à s’affranchir de toutes règles de bonne conduite internationale (mandat des Nations Unies oblige : lorsque l’on accepte une mission de paix et de stabilisation l’on est présumé aller jusqu’au bout, non ?) et du respect des traités, pourrait servir à M. Obama de prétexte à hâter le mouvement tant le « fardeau de l’homme blanc » [7] se fait désormais politiquement écrasant (« mais qu’allaient-ils faire dans cette galère ? »). Cela avons-nous dit, pour redéployer éventuellement ses troupes sur d’autres fronts présentant un caractère d’urgence accrue : Iran, Syrie… Algérie peut-être si tout y bascule à nouveau comme en 1991 après des élections dont les résultats laissent assez perplexes.
Et puis plus une centaine de milliers de « contractors », personnels de sécurité et mercenaires de tous poils, occupent le terrain pour un certain temps encore. Au moins aussi longtemps que la manne financière issue de l’exportation massive d’héroïne perdurera. Et le flux n’est apparemment pas prêt de se tarir dans un pays devenu le premier État narcotrafiquant de la planète par l’ampleur de production (de 7 à 8000 Tonnes/an… à comparer au 180 T produites la dernière année d’existence – 2001 - de l’Émirat islamique afghan !).
Guerre de l’opium
Grâce à l’action civilisatrice de l’Otan sous la houlette de la démocratie universelle façon Wall Street, l’Afghanistan fournit à présent 90% de la production mondiale de produits opiacés qui, selon la version politiquement correcte, servirait exclusivement à financer la résistance afghane… en réalité et « accessoirement » les chefs de guerre et tribaux liés de l’actuel clan au pouvoir, celui des Karzaï ! Ce pourquoi, le 5 avril 2012, Alexandre Grouchko, vice-ministre russe des Affaires étrangères dénonçait sans ambages le rôle de l’Otan dans le trafic d’héroïne en provenance d’Afghanistan… trafic causant en Russie plus de 30 000 décès l’an, tout en favorisant la pandémie sidaïque et en permettant au crime organisé de prospérer comme jamais.
Ce qu’établit formellement un rapport rendu public le 21oct. 2009, intitulé « Toxicomanie, criminalité et insurrection » de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC)… « L’opium afghan : une menace transnationale…[le rapport] décrit quelles conséquences dévastatrices les 900 tonnes d’opium et 375 tonnes d’héroïne sorties clandestinement d’Afghanistan chaque année ont en termes de santé et de sécurité dans les pays situés le long de la route des Balkans et de la route eurasienne en direction de l’Europe, de la Fédération de Russie, de l’Inde et de la Chine. Il y explique comment la drogue la plus meurtrière au monde a donné naissance à un marché d’une valeur de 65 milliards de dollars où s’approvisionnent 15 millions de toxicomanes, marché qui cause jusqu’à 100 000 décès par an, qui favorise la propagation du VIH à une vitesse encore jamais vue et qui, surtout, finance des groupes criminels, des insurgés et des terroristes. Environ 40 % de l’héroïne afghane (soit 150 tonnes) passe clandestinement au Pakistan, à peu près 30 % (105 tonnes) en République islamique d’Iran et 25 % (100 tonnes) en Asie centrale ».
Au sommet de l’Otan de Bucarest en 2008, le président Medvedev avait offert de remettre à disposition les lignes ferroviaires russes pour assurer le transport depuis ou vers l’Europe du matériel non militaire en provenance ou en direction d’Afghanistan. Le 5 avril 2012, Alexandre Grouchko, lequel devrait devenir dans les prochains jours le représentant permanent de la Russie auprès de l’Otan, déclarait donc dans un entretien à l’Agence de presse Ria Novosti que ce fret sera désormais régi par un nouveau Protocole en vertu duquel les convois de l’Otan pourront faire l’objet de fouilles approfondies par les services de sécurité russes affectés à la lutte contre les narcotrafics. Des dispositions qui ne devraient pas calmer le jeu Est-Ouest à l’heure où les tensions se révèlent particulièrement vives entre Washington et Moscou à propos de l’installation, en Europe orientale et en Mer Baltique, d’un système antimissile prétendument destiné à contrer une attaque balistique iranienne… mais perçu, à juste titre, comme un quasi casus belli, par le président Poutine et ses conseillers militaires.
La Russie a déjà par le passé et à plusieurs reprises dénoncé le rôle de l’Otan, notamment en présentant le dossier au Conseil de Sécurité, dans le trafic d’héroïne, sachant que 193 000 hectares dévolus à la culture du pavot sont situés à 92 % dans les zones contrôlées par les forces du Pacte atlantique ! On comprendra à ce titre que Vladimir Poutine regarde son pays comme cible d’une authentique « agression par l’héroïne », autrement dit une version actualisé des « Guerres de l’opium » que les Britanniques livrèrent à la chine des Qing au milieu du XIXe siècle, et entend agir et réagir en conséquence…
Afghanistan nouveau Vietnam ?
On jugera à l’aune des informations qui viennent d’être données ci-dessus, la déclaration, le 24 janvier, du général allemand Carsten Jocobson, porte-parole de l’Otan pour l’Afghanistan, soulignant le « succès remarquable » obtenu par les troupes d’occupation au cours de l’année 2011.
Pourtant, à titre indicatif, en tant que « marqueur » de ce tonitruant « succès », les chiffres afférents aux décès de soldats (fournis par l’Onu elle-même) font état d’une hausse de 39% des incidents armés en 2011, alors que les insurgés se montrent de plus en plus capables de monter des coups d’éclat, comme l’attaque à Kaboul de l’ambassade américaine. À telle enseigne que l’Otan a semble-t-il retiré ses officiers des ministères afghans. La haine des uniformes étrangers paraît à présent rassembler et unir le peuple afghan. Quant à la nouvelle armée afghane, elle se sent trahie par la précipitation - devenue sensible - à vouloir partir de leurs bons alliés, faisant que les désertions maintenant se multiplient…
Succès si remarquable que l’on se bouscule désormais au portillon pour évacuer un pays intenable où les forces afghanes formées par les occidentaux, retournent de plus en plus fréquemment leurs armes contre leurs supposés sauveurs fourriers de la démocratie et de la libération de la Femme ! Ainsi, depuis le début 2012, 17 soldats de l’Otan ont en effet été exécutés par des policiers ou des soldats afghans [8]. Assassinats qui sont devenus une menace aussi importante que les attentats suicides ou les bombes improvisées. En près de trois mois ces actes représentent 20% des pertes. Le 20 janvier dernier ce sont quatre soldats français qui trouvent la mort sous les coups d’un déserteur. Le 26 mars un officier afghan abat deux soldats à l’entrée d’une base. Le 6 mai un soldat de l’Otan était tué par un individu portant l’uniforme afghan, une semaine auparavant, dans la province de Kandahar, un agent des forces spéciales afghanes retournait son arme contre ses alliés, tuant un soldat américain, deux militaires afghans et un interprète… En dépit de ses 130000 soldats, l’Isaf associée aux troupes de l’Opération « Liberté immuable » spécifiquement américaine, rencontre à l’évidence un franc et « remarquable succès »… auquel l’histoire devra associer M. Sarkozy et son « suppléant » M. Hollande, lesquels auront bien mérité de l’internationale des marchands de mort, narcomafias, industries de l’armement, mercenariat en tout genre !
Dans un tel contexte, les Américains pourront-ils tenir encore longtemps sans dévoiler totalement au monde l’ampleur de leur échec ? Auront-ils le loisir d’évacuer leurs troupes en bon ordre. Les morts se multiplient au sein des forces de l’Otan et de leurs supplétifs afghans à telle enseigne que les statistiques sérieuses et exhaustives sont introuvables. Aucune publicité n’est faite relatives aux pertes coalisées et pour cause. Nous sommes loin des décomptes macabres et bidouillés qu’égrènent mécaniquement les communiqués de presse ayant trait à la Syrie : l’on sait apparemment mieux ce qui se passe chez les autres que chez soi !