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Côte d’Ivoire : un coup d’État soutenu par la France

Qui risque d’embraser toute l’Afrique de l’Ouest

lundi 11 avril 2011

Déjà engagée en Libye, Paris doit maintenant faire face à un nouveau front de guerre en un combat tout aussi douteux que celui du Golfe des Syrtes. Une nouvelle aventure néocoloniale, dans le pire sens du terme, d’où la France ne sortira certainement pas grandie et où ses intérêts risquent de se trouver durablement mis à mal.

Le 28 novembre les États-Unis, l’Union Européenne, le Conseil de sécurité et quelques autres déclaraient Alassane Ouattara vainqueur du scrutin présidentiel ivoirien en validant, malgré des bourrages d’urnes constatés dans les provinces du nord, les résultats publiés par une commission électorale indépendante. Cependant le Conseil constitutionnel ivoirien (réputé avoir annulé plusieurs centaines de milliers de votes défavorables au président sortant Laurent Gbagbo), prend fait et cause en faveur celui-ci, lequel s’appuie sur l’armée et le commerce du cacao dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial [1]

Grosso modo, Gbagbo, chrétien évangéliste, représente les ethnies autochtones du Sud face, au fils d’immigré voltaïque, le Mossi Alassane Dramane Ouattara. Un musulman dont l’épouse est issue d’une famille sépharade algérienne (mariage conclut en 1990 à la Mairie de Neuilly-sur-Seine par M. Sarkozy en personne). Un homme issu à la deuxième génération de l’immigration clandestine voltaïque, celle-ci ayant percolé vers le nord ivoirien pour littéralement le coloniser, jusqu’à être au bord de prendre aujourd’hui, par voie électorale, le contrôle du pays tout entier.

Après quatre mois de piétinement, les forces d’Alassane Ouattara, ont brutalement entrepris une marche victorieuse vers Abidjan, capitale économique ivoirienne qu’elles ont atteinte en quatre jours à peine et qu’elles encerclent à présent. Une bataille à l’issue maintenant imminente dont l’enjeu est la prise du pouvoir par le candidat nordiste, Ouattara, reconnu et soutenu par la Communauté internationale (une Chimère conceptuelle qui représente essentiellement une coalition oligarchique d’intérêts transnationaux), mais beaucoup moins par l’Union africaine, ce syndicat de chefs d’État quasi indéboulonnables. Un consensus international qui se manifeste sur le terrain par le truchement des forces d’interposition de l’ONUCI créée en avril 2004 par la R.1528 et par les 1650 soldats français de l’Opération Licorne.

À l’heure actuelle, il serait intéressant d’apprendre d’où M. Ouattara tire les armements surabondants qui équipent ses troupes ? De quels surplus militaires ont été extraits les équipements qui lui donnent un avantage significatif ? Des matériels dont l’origine ne se situe certainement plus dans les entrepôts de l’ex Union soviétique depuis que le trafiquant Viktor Bout s’est fait piéger en Thaïlande par des agents américains et extrader aux É-U où il sera jugé pour avoir alimenté la plupart des guerres du continent noir ces vingt dernières année ?

Or à l’instar de Kadhafi qui voit dans la révolte de Bengazi la marque d’Al Qaïda (ce qui ne serait pas entièrement faux si l’on se réfère à la présence de combattants djihadistes et non d’une organisation sortie toute armée de la cervelle des communicants de la Maison-Blanche et du Pentagone), le camp Gbagbo dénonce pour sa part l’opération Hydre [2] qui aurait été lancée par la CIA avec le soutien fort discret de l’Élysée. Chacun sait que l’on ne prête qu’aux riches !

Deuxième question : les intention de Paris sont-elles parfaitement pures ? En marge de la question relative à la sécurité des 12 200 ressortissants français (11 800 à Abidjan même) parmi lesquels 7300 binationaux, que le gouvernement a décidé de regrouper à Port-Bouët (un camp situé à proximité immédiate de l’aéroport international que nos militaires ont investi dimanche au grand dam des loyalistes) il s’agirait de savoir si oui ou non la France apporte un soutien indirect ou quelconque aux ouattarristes ? Ce dont elle se défend, mais ce qui serait éminemment cohérent avec la reconnaissance par les NU de la présidence Ouattara et l’embrigadement de la France dans son camp au nom – comme toujours – de valeurs messianiques de la République ! Mauvais perdants, les loyalistes considèrent eux que, sous couvert de protéger les expatriés (sans distinction de nationalité), Paris adopte une posture néocolonialiste en s’ingérant de façon partisane dans le règlement d’un contentieux électoral ne regardant que les Ivoiriens.

Ainsi, peu avare de déclarations enflammées, les porte-paroles de M. Gbagbo en concluent que « la France est entrée en guerre contre la Côte d’Ivoire. » Pour outrancier qu’il paraisse ce point de vue n’est pourtant pas totalement absurde. C’est d’ailleurs bien ce qui risque d’advenir si la guerre civile ne s’arrêtant pas à la prise d’Abidjan et va crescendo avec de vilaines tueries à la clef. Gbagbo jouant son pis aller n’a-t-il pas lourdement armé quelques milliers de jeunes qui écument la ville et y sèment le chaos ?

De bon ou de mauvais gré la France sera partie prenante d’un conflit vraisemblablement appelé à perdurer après l’installation aux commandes d’Alassane Ouattara. Situation qu’elle aura en amont participé peu ou prou à faire naître, notamment lorsque la présidence française s’est précipitée aussitôt après des élections contestées pour adouber Ouattara et alors que le contentieux électoral commençait à se développer. Ici un parallèle s’impose avec la Libye où la France a pris de la même mauvaise manière l’initiative très prématurée de reconnaître le Conseil national de Bengazi comme gouvernement provisoire libyen. Acte unilatéral qui a eu pour conséquence d’enclencher un processus de guerre ouverte.

À partir de là, craignons que le conflit ivoirien ne fasse également tache d’huile en s’étendant à toute l’Afrique de l’Ouest où les embrasements inter ethniques sont une constante immémoriale. Par contagion le Sénégal, pourtant réputé pour sa stabilité mais travaillé par une sourde fermentation islamiste, pourrait à son tour connaître des moments difficiles ; pour ne pas parler du Nigéria où les affrontements Nord/Sud sont une donnée structurelle… Qui ne se souvient de la sécession du Biafra chrétien entre 1967 et 1970, soldée par un à deux millions de morts ? L’actuel climat du pays Ibos montre qu’à l’évidence les plaies y sont toujours à vif et peuvent se rouvrir à tout moment !

Il est certain que l’argument d’un « nécessaire secours à des populations désarmées victimes expiatoires de la vindicte des tyrans », nous est resservi à chaque conflit et à tous les coups emporte sans problème l’adhésion d’opinions publiques médiatiquement conditionnées en faveur de guerres qui ne disent pas leur nom et qui le plus souvent se livrent sans mandat international exprès. Nous l’avons vu en Irak en 1991 et 2003, en Serbie en 1999, tout récemment en Libye sur la bonne foi de l’envoyé très spécial de la World Cie, M. B.H. Lévy. Nous sommes donc, selon toute apparence, en passe de voir se répéter un scénario presque identique en Côte d’Ivoire. Les étrangers y étant détestés, particulièrement les Libanais et les Français identifiés pour leur plus grand préjudice à la diplomatie délétère de M. Sarkozy de Nagy-Bocsa, s’y trouvent exposés aux coups des milices et des francs-tireurs des deux bords. Le prétexte humanitaire est par conséquent ici incontestable et sans avoir besoin de forcer le trait ou d’inventer de toutes pièces des tragédies sur mesure.

En effet, milices et troupes régulières étant la plupart du temps composées de coupeurs de route et autres bandits de grands chemins qui, à l’occasion du chaos ambiant, font ripaille de pillages, de meurtres, de vols, de viols et de rapts crapuleux, il va de soi que la sécurité des biens et des personnes n’est pas à l’ordre du jour. Une situation récurrente en Afrique sub-saharienne pourtant indépendante depuis plusieurs décennies (pour les membres de l’Union française, depuis 1962), une Afrique qui est encore loin d’être parvenue à chasser ses démons ataviques et sa haine latente d’ethnie à ethnie. À telle enseigne que le massacre de Duékoué en date du 1er avril - 800 cadavres excusez du peu – est imputé au camp des « bons » ouattaristes labellisés démocrates par l’Occident libéral.

Il n’est au final point question d’effectuer un choix entre les deux camps, ni non plus de les renvoyer dos-à-dos. La géopolitique et la défense des intérêts majeurs des Nations se situant par-delà les critères de la morale ordinaire, seul un décryptage aussi poussé que possible doit permettre de connaître qu’elles sont les forces en présence et les mécanismes militaires, diplomatiques, économiques et financiers qu’elles mettent en en œuvre. À ce stade, il faut s’interroger sur la légitimité d’un pouvoir, celui de M. Ouattara, déjà entaché par une boucherie d’une telle ampleur et au-delà de la « gouvernabilité » tout court de la Côte d’Ivoire ? Car nous devrions très vite apprendre, si la presse s’en donne la peine, que les auteurs de ces meurtres de masses sont des mercenaires ayant essaimé depuis le Libéria voisin. De jeunes Libériens qui ont fait leurs premières armes comme enfants soldats au service du juteux commerce des diamants de sang ayant prospéré à l’ombre des places diamantaires de Londres, New York, Tel-Aviv, Bombay et surtout de la plus importante d’entre elles, Anvers.

La dernière et lancinante question à laquelle le proche avenir devrait répondre, est de savoir comment une « démocratie » plus ou moins stable pourrait sortir de telles décombres et de tels bains de sang ? C’est d’ailleurs à juste titre que d’aucuns commencent à craindre un nouveau Rouanda ! Sans aller jusque là, l’expérience historique, comme le simple réalisme, inclineraient cependant davantage au pessimisme qu’à autre chose. En outre quel pourra être le degré de « crédibilité » d’un gouvernement qui se sera installé avec l’appui d’une soi-disant communauté internationale et de ses hommes d’armes ? En vérité grâce à l’intervention de puissances extérieures venues s’ingérer dans les Affaires (certes sanglantes) d’un pays souverain sous couvert une fois de plus d’urgence humanitaire. Cela après avoir, par des politiques au mieux erronées, au pire perverses, créé les conditions de l’affrontement. Les dites forces humanitariennes sont in fine rarement là où les massacres interviennent, mais elle ne se gênent pas pour outrepasser le mandat international qui leur a été concédé et poursuivre leur propres buts de guerre, jamais avoués et toujours dissimulés !

Léon Camus

Notes

[1La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao est paralysée depuis l’élection présidentielle de novembre 2010. La bataille du cacao est devenue l’un des enjeux majeurs de l’affrontement de MM. Gbagbo et Ouattara. Ce dernier, après sa reconnaissance par la Communauté internationale, a fait procéder au blocage des exportations de cacao afin d’assécher les finances de son rival. Mais l’offensive lancée par les hommes de Ouattara, lui a permis de prendre San Pedro, premier port mondial d’exportation de cacao. Ce faisant les opérateurs du négoce cacaoyer craignent maintenant que le déblocage des 400 000 tonnes de cacao entreposées par le gel des exportations, ne conduise à un effondrement des cours. Du coup, ils anticipent dès à présent une baisse a priori prévisible.

[2Les attaques sur tous les fronts contre les positions « loyalistes », depuis lundi le 28 Mars, auraient reçu un soutien logistique voire auraient été coordonnée par le biais de personnels relevant de l’Opération Licorne. Offensive planifiée en amont par les Services spéciaux américains et encadrés par d’anciens officiers de Tsahal. L’Opération aurait été baptisée « Hydre »

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