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Parler vrai, triangulation, méthode Alinsky... quels sont les concepts utilisés par Emmanuel Macron ?

samedi 22 avril 2023

2017
Si Emmanuel Macron se présente comme le chantre du nouveau monde, il s’inspire énormément des concepts de l’ancien, en sciences politiques comme en communication. Triangulation, méthode Alinsky, parler vrai... retour sur des stratégies devenues cultes déployées en macronie.

La triangulation ou le triptyque hégélien

« En science politique, la triangulation désigne le fait pour une personnalité politique de présenter son idéologie comme étant « au-dessus et entre » la droite et la gauche de l’échiquier politique » selon Wikipedia. Le concept a été théorisé par Dick Morris, le conseiller politique de Bill Clinton dans les années 1990 qui rappelle -au passage- que ce n’est autre que le triptyque hégélien : thèse, anti-thèse, synthèse. « À l’origine quand j’en ai parlé, je l’ai fait dans les termes d’Hegel, que j’avais étudié à Oxford. Mais en politique américaine nous parlons de triangulation. » De la déréglementation à l’équilibre budgétaire, Dick Morris a ainsi préconisé tout un attirail de politiques différentes des politiques traditionnelles du Parti démocrate pour tracer une troisième voie. Soit le fameux « et en même temps »... quand bien même aujourd’hui l’expression n’a plus trop de sens politiquement parlant tant Emmanuel Macron a choisi de faire pencher la balance à droite toute.

La méthode Alinsky

Attention, pas de malentendu : la France insoumise a totalement préempté cette méthode portant le nom du sociologue américain issu de la gauche radicale des années trente et quarante qui l’a théorisée et mise en pratique à Chicago. Le sujet a d’ailleurs été longuement débattu lors de la convention du mouvement à Clermont-Ferrand les 25 et 26 novembre. Mais La République En Marche entend mettre une option sur le sujet. D’ores et déjà, selon l’Obs, un professeur américain aurait été dépêché pour vanter les vertus du community organizing aux troupes de marcheurs. Il faut dire que le concept est bien connu outre-atlantique. Lorsqu’elle était étudiante, Hillary Clinton a écrit une thèse sur Saul Alinsky intitulée « Une analyse du modèle Alinsky ». Barack Obama, président des États-Unis de 2008 à 2016, s’est lui-même inspiré des idées d’Alinsky en utilisant le concept de « démocratie participative ». Mais de quoi s’agit-il précisément ? La France insoumise énumère dans une note révélée par 20 minutes , les quatre étapes de cette méthode :

« Frapper aux portes »
« Tisser les colères »
« Cibler les puissants »
« Agir nous-mêmes »

En d’autres termes, faire du porte-à-porte dans les quartiers populaires, et interroger les habitants sur leurs difficultés au quotidien. Les faire ressortir. Les partager. Et enfin, agir collectivement pour les résoudre. L’objectif ? Arracher des petites victoires qui donneront envie aux habitants de s’investir pour en décrocher de plus grandes. Pas idiot dans un contexte où le combat politique se mue en combat de proximité. Dans un monde où les corps intermédiaires tentent à disparaître sous l’effet du jacobinisme ambiant, le Président et les élus locaux, à commencer par les maires, sont finalement les seuls visages connus des citoyens. Or, la ruralité, l’organisation des territoires et la répartition des richesses seront très certainement les enjeux fondamentaux des années à venir. La REM et les Insoumis l’ont bien compris et entendent s’y préparer activement.

Le parler-vrai

Lors de son intervention dominicale sur TF1 du 15 octobre, Emmanuel Macron, interrogé par les journalistes sur son utilisation du terme « bordel », soutient qu’il s’agit ni plus ni moins d’ « un discours de vérité » alors que « nos élites politiques se sont habituées à ne plus dire les choses, à avoir un discours aseptisé, comme si ce qui est intolérable c’est le mot, et pas la réalité qu’il y a derrière. » L’utilisation de ce terme faisait évidemment écho aux ouvrières de Gad qualifiées par le ministre de l’Economie de l’époque « d’illettrées », mais aussi à la polémique sur le « costard », en passant par sa déclaration sur les « fainéants » qui voudraient l’empêcher de mener à bien ses réformes une fois devenu président. Dernière en date, devant le peuple le guyanais fin octobre, Emmanuel Macron est venu pour « dire les choses en vérité », lui qui n’est « pas le Père Noël. » Ce style serait le reflet de sa droiture morale si l’on en croit ses partisans. Pas de langue de bois mais des termes abrupts pour rallier les foules à sa lecture de la réalité sociale. Mais que veut bien dire « parler vrai » ? Originellement durant l’Antiquité, le parler vrai, appelé « parrêsia » était un discours de vérité en totale opposition à la posture sophiste dont les opinions étaient présentées comme versatiles. Tout comme les bons discours, « parler vrai » implique dès lors une prise de risque et une volonté de rencontre. Ce qui n’est pas toujours le cas avec Emmanuel Macron qui laisse finalement peu de place à ses contradicteurs et dont les mots peuvent blesser et rompre -à terme- le lien qui l’unit aux Français. « Parler vrai. Si j’avais touché des droits d’auteur sur l’emploi de la formule, ma fortune serait faite », rappelle Michel Rocard qui a fait de cette expression le titre de son ouvrage majeur. Avant d’ajouter : « J’ai voulu enrichir la politique d’une notion mais c’est plutôt le vocabulaire qui s’est accru d’une expression. Elle est devenue rituelle et -paradoxe- figure parmi les stéréotypes qu’elle entendait combattre ».

Anne-Claire Ruel

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La triangulation, une stratégie politique pour mieux brouiller les lignes

Picorer une partie des idées de l’adversaire pour l’affaiblir : manœuvre ancienne mais concept récent, forgé par un conseiller de l’ex-président américain Bill Clinton. Manié ensuite avec maestria par le leader britannique Tony Blair, l’exercice est aussi pratiqué par Emmanuel Macron.

Par Luc Cédelle

Histoire d’une notion. Avant de désigner une figure de l’art politique consistant à aller piocher dans le programme ou les idées de l’adversaire, la triangulation a d’abord été une affaire de géomètres. Avec un certain flou historique, son origine est généralement située environ 600 ans avant notre ère et attribuée au savant grec Thalès, auteur présumé du théorème qui porte son nom. Entre autres exploits, il aurait mis au point une méthode permettant, en positionnant sur le rivage deux observateurs situés à une distance connue et en utilisant les propriétés des triangles (notamment le fait que la somme des trois angles est toujours de 180 degrés), de mesurer la distance séparant de la côte un bateau éloigné.

Ce procédé a, depuis, été utilisé dans une infinité de domaines. Par exemple, pour déterminer l’altitude des montagnes ou pour dresser des cartes précises en mesurant, de triangle en triangle, les distances à vol d’oiseau. Mais au-delà des mesures physiques, il existe de nombreuses transpositions métaphoriques du concept de triangulation, notamment en psychologie où il s’agit de l’introduction d’un tiers entre deux personnes.

« Diviser pour régner »

Lorsqu’un enfant réclame à l’autre parent ce que le premier lui a déjà refusé, il fait sans le savoir de la triangulation, qui s’apparente alors au « diviser pour régner ». On ne s’étonnera donc pas que la triangulation, manœuvre un peu compliquée mais souvent payante, soit intégrée à la boîte à outils du stratège politique.
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Réussies ou ratées, les exemples de triangulations politiques abondent. Si la chose est sans doute aussi ancienne que la politique elle-même, le concept est d’un usage récent. La paternité en revient à Dick Morris, conseiller politique de Bill Clinton, alors qu’il travaillait en 1996 pour la réélection de ce dernier, finalement acquise haut la main alors qu’elle se présentait très mal.

La définition qu’il en donne dans un entretien en 2000 au magazine Frontline est une version de la classique « troisième voie » : « Prendre vraiment le meilleur de chaque camp et parvenir ainsi à une solution au-dessus de leurs positions respectives. » En ce sens, la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, qui promettait le 17 avril 2017 de choisir « le meilleur de la gauche, le meilleur de la droite et même le meilleur du centre », a été une magistrale triangulation, laissant toutefois entrevoir la déroutante plasticité du macronisme.

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