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1960 : Rueff-Armand, un rapport visionnaire

samedi 25 juin 2016

On compte parmi les textes évoqués de façon rituelle dans les débats sur la croissance française le rapport Rueff-Armand de 1960. Evocation essentiellement intellectuelle, car il ne fut guère appliqué. Si le redressement opéré à cette époque a reposé sur les propositions de Jacques Rueff, ce ne fut pas le résultat du rapport cosigné avec Louis Armand.

Revenu au pouvoir en mai 1958, le général de Gaulle s’assigne trois objectifs : une nouvelle Constitution, la sortie du guêpier algérien et la stabilisation financière. En ce printemps 1958, la situation économique est délicate. Les devises en caisses représentent l’équivalent d’un mois d’importations. L’inflation, contenue en 1956 et 1957 grâce à un sévère contrôle des prix, a repris sur un rythme annuel de 15 %.

De Gaulle nomme Antoine Pinay aux finances. Se méfiant de lui, il lui impose de travailler avec Jacques Rueff. Polytechnicien, inspecteur des finances, celui-ci a occupé divers postes de responsabilité dans l’administration, de conseiller de Poincaré lors de la stabilisation du franc de 1928 à directeur du Mouvement général des fonds, l’ancêtre de la direction générale du Trésor.

Rueff met au point un plan d’austérité en deux volets qui entre dans l’histoire sous le nom de « plan Rueff-Pinay » : une dévaluation et un retour à l’équilibre budgétaire. En 1959, pour la première fois depuis 1930, le budget est en excédent.

DE GAULLE N’EN SENT PAS L’URGENCE

Fort de ce succès, Rueff propose à de Gaulle d’engager des réformes structurelles. Mais comme, depuis 1950, le taux de croissance moyen est de 4,9%, de Gaulle n’en sent pas l’urgence. Un décret du 13 novembre 1959 crée donc un comité présidé par le premier ministre, Michel Debré, et chargé « d’examiner les situations de fait ou de droit qui constituent d’une manière injustifiée un obstacle à l’expansion de l’économie ».

Ce comité a deux vice-présidents, Jacques Rueff et Louis Armand. Polytechnicien comme Rueff, ingénieur du corps des Mines, Louis Armand a fait l’essentiel de sa carrière dans les chemins de fer, devenant président de la SNCF en 1955. Outre ses deux vice-présidents, le comité réunit 14 membres, hauts fonctionnaires, syndicalistes et chefs d’entreprise. Il rend en juillet 1960 un rapport largement inspiré par les vues libérales de Rueff.

Trois des phrases du début résument la philosophie du texte : « Il est aisé de constater qu’en fait, certaines législations ou réglementations économiques ont actuellement pour effet, sinon pour but, de protéger indûment des intérêts corporatifs qui peuvent être contraires à l’intérêt général et, notamment, aux impératifs de l’expansion » ; « Le comité estime qu’un blocage rigoureux des prix et des salaires ne peut être qu’une mesure de circonstance, justifiée seulement par des situations très exceptionnelles » ; « L’inadaptation de l’administration publique à ses diverses fonctions constitue un frein à l’expansion ».

Ce diagnostic sur les blocages de l’économie française est conforté par les analyses de certains enjeux à venir. Ainsi, le rapport s’inquiète de l’évolution de la qualité de l’enseignement, et s’interroge sur les retraites en des termes prémonitoires : « L’accroissement du nombre et de la proportion des personnes âgées pose un problème important sous une forme nouvelle, qui exigera un examen approfondi de certaines conceptions sur leurs conditions de travail et de retraite. »

LIBÉRER LES PRIX

Les recommandations s’organisent autour de cinq thèmes : « Réduire les rigidités qui affectent l’économie ; éliminer les atteintes à la véracité des coûts et des prix ; écarter les obstacles à une croissance harmonieuse ; remédier aux insuffisances de l’information et de l’instruction ; réformer l’administration. »

Leur contenu traduit la volonté du comité de libérer les prix et de renforcer la concurrence. On y trouve des propositions fortes comme l’abandon de la loi de 1948 sur le blocage des loyers mais aussi un examen de certaines professions comme les - déjà célèbres - taxis parisiens. Au point de se perdre dans les détails... Le rapport contient, par exemple, cette phrase : « Le comité a constaté la nécessité de favoriser l’expansion du marché des jus de fruits et des eaux minérales et la diminution du prix de vente de ces produits » !

Appel à la liberté économique et à la concurrence, le rapport Rueff-Armand reste assez largement lettre morte. Le contrôle des prix, dont la suppression était si importante aux yeux de Rueff, n’a disparu qu’en décembre 1986. Et la commission Attali a retrouvé en 2008 pratiquement le même nombre de licences de taxi à Paris que le comité Rueff-Armand...

Jean-Marc Daniel

Dans « Le Monde » du 21 mars 1969 : « Extirper les pratiques malthusiennes »

Dix ans après la publication de leur rapport, Jacques Rueff et Louis Armand font le point des obstacles au dynamisme de l’économie française devant la commission des finances de l’Assemblée nationale.

L’assainissement financier de 1959 devait fournir le fondement d’une action réformatrice propre à extirper de notre économie les pratiques malthusiennes, causes de la limitation de nos facultés et de la médiocrité de notre niveau de vie« , ont déclaré MM. Rueff et Armand, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale. Cette action, dont le rapport, présenté à la fin de 1959, énonçait les divers chapitres possibles, exigeait en premier lieu »la réforme des pratiques malthusiennes qui marquaient notre politique de crédit« , ont-ils ajouté. Or, »si en ce domaine des progrès ont été accomplis, l’essentiel reste à faire". La commission Rueff-Armand avait d’ailleurs été privée à l’époque de tout pouvoir de recommandation sur le problème du crédit (...).

Pris au pied de la lettre, le couplet de La Marseillaise : « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus » signifierait, par exemple, qu’un enfant entrant dans la « carrière » après la mort du premier de ses parents aurait eu un emploi à 14 ans en 1730, à 40 ans aujourd’hui, et à 45 ans en l’an 2000.
« Ce devrait être une fonction essentielle et permanente du gouvernement, a ajouté M. Louis Armand, de veiller à l’efficacité des structures administratives, tant publiques que privées. La complexification progressive est une conséquence quasi inévitable de la croissance. Il faut que dans chaque administration, dans chaque entreprise, un organisme ait mission d’extirper le bois mort et de rendre aux structures l’efficacité dont le vieillissement spontané tend constamment à les priver. »
M. Rueff a d’autre part insisté sur la nécessité de rétablir dans notre pays un véritable marché de l’argent, l’expérience ayant montré que, faute d’une telle organisation, les rapatriements massifs de capitaux consécutifs à l’assainissement financier de 1958 n’avaient pas provoqué la baisse normale des taux qu’on aurait été en droit d’attendre et dont les banques auraient pu profiter pour réduire le montant de leurs escomptes auprès de l’institut d’émission.

« Le Monde » du 21 mars 1969.

Dates

27 décembre 1958 : Adoption par le conseil des ministres du plan Pinay-Rueff qui prévoit une dévaluation de 17,5 %, la création du nouveau franc et le retour à l’équilibre budgétaire.

13 novembre 1959 : Création par décret du « comité chargé d’examiner les situations de fait ou de droit qui constituent d’une manière injustifiée un obstacle à l’expansion de l’économie », sous la présidence du premier ministre Michel Debré, et la vice-présidence de Jacques Rueff (1896-1978) et Louis Armand (1905-1971).

1er janvier 1960 : Lancement du nouveau franc.

21 juillet 1960 : Le rapport est remis à M. Debré (www.ladocumentationfrancaise.fr/var... rapports-publics/ 074000508/0000.pdf).

12 septembre 1963 : Plan de stabilisation du ministre des finances Valéry Giscard d’Estaing visant à stopper l’aggravation de l’inflation.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/economie/arti...

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