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La France peut faire la guerre sans la déclarer

dimanche 2 juin 2024

Le Monde. Publié le 01 décembre 1990

Comment faire la guerre sans la déclarer ? Telle est la question qui peut se poser dans les prochaines semaines au gouvernement français et au président de la République.

Les textes institutionnels français sont formels : il ne peut y avoir de guerre sans déclaration. Encore faut-il s’entendre sur le sens de ces deux mots : la guerre et sa déclaration. Et c’est là que les ambiguïtés et les contradictions apparaissent. L’article 35 de la Constitution de 1958 est le plus bref de la loi suprême et l’un des rares à n’avoir jamais été appliqué depuis trente-deux ans qu’existe la V République : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. »

Ce texte reprend _ à quelques différences près _ ceux qui figuraient dans les Constitutions précédentes. Ainsi la loi du 16 juillet 1875, qui a régi la III République, prévoyait en son article 9 : « Le président de la République ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des deux Chambres. » La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, instituant l’Etat français du maréchal Pétain, indiquait, dans son article 16 : le chef de l’Etat « ne peut déclarer la guerre sans l’adhésion préalable et formelle des deux Chambres ». Enfin, la Constitution de la IV République du 27 octobre 1946 disposait en son article 7 : « La guerre ne peut être déclarée sans un vote de l’Assemblée nationale et l’avis préalable du Conseil de la République » (le Sénat de l’époque).

Ce qu’on a appelé les deux guerres d’Indochine et d’Algérie n’ont pas eu juridiquement ce caractère puisqu’il s’agissait, à l’origine, d’opérations de maintien de l’ordre dans des territoires sous souveraineté française. Aujourd’hui, l’article 35 de la Constitution figure dans le titre V qui règle « des rapports entre le Parlement et le gouvernement ». Cela signifie que c’est le Parlement, c’est-à-dire la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui doit accorder l’autorisation. Mais la Constitution ne précise pas s’il s’agit d’un vote séparé ou d’un vote en Congrès (réunion des deux chambres siégeant en commun à Versailles). De même, on peut supposer, en raison de sa place dans le titre V, que c’est au gouvernement, et non au président de la République, que cette autorisation doit être donnée. On peut donc en déduire que le gouvernement devrait alors déposer un projet de loi ou faire une déclaration devant l’Assemblée nationale et engager sa responsabilité sur ceux-ci. Le gouvernement pourrait également demander une délégation pour agir par ordonnance. C’est _ mutatis mutandis _ ce qui s’était passé lorsque le gouvernement Daladier, qui avait reçu les pleins pouvoirs en avril 1938, avait pu le 3 septembre 1939, déclarer la guerre à l’Allemagne par un simple communiqué.

Le Monde

Commission de Venise

Observatoire des situations d’urgence

La Constitution de la France contient deux dispositions relatives à l’état d’exception :

  • l’article 16 attribuant des pouvoirs exceptionnels au Président de la République
    Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu
  • l’article 36 sur l’état de siège.

L’article 16 n’a été appliqué qu’une seule fois, en 1961 après la tentative de coup d’État en Algérie française.

L’état d’urgence n’est pas en tant que tel encadré par la Constitution française. A deux reprises, le Conseil constitutionnel a statué que « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence » (Décisions n° 2015-527 QPC du 22 décembre 20 et n° 2016-535 QPC du 19 février 2016).

Dans le cas d’espèce, les autorités françaises n’ont pas utilisé les régimes d’urgence prévus par la législation en force (la loi n° 55-385 du 3 avril 1955), mais ont introduit, par une loi adoptée à cet effet en mars 2020, un nouveau régime « d’urgence sanitaire ».

En plus de ce qui précède, l’article 38 prévoit la possibilité que le gouvernement soit mandaté par le Parlement pour émettre des ordonnances législatifs : "Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.

A l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif."

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