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Comment les Anglais voient la France de Macron

dimanche 7 septembre 2025

La France est confrontée à une crise de la dette massive.
Alors pourquoi dépense-t-elle des milliards chaque année pour subventionner les entreprises ?
Le gouvernement est au bord de l’effondrement en raison des mesures d’austérité prévues. Il doit plutôt faire face aux coûts liés à la rigidité inutile de son marché du travail.

En tant que personne qui a toujours été opposée à l’austérité, je trouve que la France, avec une dette publique représentant 114 % du PIB et un déficit budgétaire de 5,8 % du PIB, est un casse-tête. Malgré des années de dénonciation de la part de ses adversaires de gauche et d’extrême droite qui accusent Macron de pratiquer un « ultralibéralisme », il n’y en a pas eu. Du moins pas au niveau macroéconomique, où les dépenses publiques françaises (57,3 % du PIB) et les recettes fiscales (51,4 % du PIB) sont parmi les plus élevées au monde, y compris les dépenses sociales, qui dépassent celles de tous ses voisins européens.

Dans le même temps, il est impossible d’avoir passé la dernière décennie en France sans être confronté à l’idée largement répandue et à l’accusation selon lesquelles les services publics sont en déclin. Les médecins et les infirmières dénoncent une pénurie de main-d’œuvre dans les hôpitaux publics ; les habitants des zones rurales dénoncent la fermeture des lignes de train rurales ; les étudiants et les universitaires dénoncent le manque de ressources pour les universités publiques, dont beaucoup sont confrontées à des infrastructures obsolètes, et pour la recherche.

Certaines des réponses à cette question ne sont pas strictement financières. Presque tous les pays du monde sont confrontés à une pénurie de personnel médical, qui s’est aggravée en France en raison du plafonnement des admissions dans les facultés de médecine, finalement levé en 2020. Au cours des 25 dernières années, la France a connu une augmentation de l’urbanisation, qui est passée de 76 % à 82 %. Maintenir le même niveau de transport et d’autres services dans les villes et villages ruraux en déclin impliquerait des dépenses par personne bien plus élevées que pour les citadins, ce qui reviendrait à détourner des ressources d’un domaine (quel qu’il soit et où qu’il se trouve) et soulèverait une question fondamentale d’équité. Les Français, pour leur part, voient les inconvénients de la concentration des décisions politiques à Paris et souhaitent massivement davantage de décentralisation.

Néanmoins, dans un pays qui consacre un pourcentage plus important de son budget que tout autre à l’ensemble de ces domaines, il n’y a pas assez d’argent pour tout le monde et la plupart des gens sont, contrairement à leurs homologues nordiques, dans une certaine mesure insatisfaits. Et bien sûr, la dette et le déficit atteignent des niveaux insoutenables. Que se passe-t-il donc ?

L’extrême droite accuse l’immigration et propage un discours fallacieux selon lequel les demandeurs d’asile seraient responsables de la pression exercée sur les services sociaux et les ressources publiques. Le Premier ministre centriste, François Bayrou, souhaite procéder à des coupes budgétaires dans tous les domaines afin de réaliser 44 milliards d’euros d’économies par an, ce qui aboutit à la proposition absurde de supprimer deux jours fériés (une mesure politique autodestructrice tellement extravagante que j’ai d’abord pensé, à tort je suppose, qu’elle n’avait été suggérée que pour servir de monnaie d’échange dans les négociations). La gauche, pour sa part, plaide de manière un peu plus raisonnable en faveur d’une taxation de la richesse, tout en étendant dans la pratique l’augmentation d’impôt proposée même aux personnes gagnant plus de 20 584 euros par an et en restant insensible à la plainte légitime selon laquelle les travailleurs indépendants, les entrepreneurs, les propriétaires de petites entreprises et les start-ups sont accablés par la paperasserie et les coûts administratifs liés à leur expansion.

Au milieu du désaccord sur la manière de gérer les finances françaises – un débat qui menace de faire tomber le gouvernement actuel lorsque Bayrou organisera un vote de confiance le 8 septembre –, presque personne ne parle franchement de la composante la plus importante des dépenses discrétionnaires du gouvernement français : les 211 milliards d’euros dépensés chaque année pour subventionner les entreprises afin qu’elles créent des emplois dans un pays où il est difficile et coûteux de licencier des travailleurs et où, par conséquent, les entreprises hésitent à embaucher. La France a créé un marché du travail inutilement rigide (les délais de préavis peuvent atteindre deux à trois mois), se retrouve avec un taux de chômage constamment supérieur à la moyenne de l’UE et des salaires qui n’augmentent pas assez rapidement pour satisfaire tout le monde, et dépense 211 milliards d’euros (soit plus que pour l’éducation) pour tenter de compenser. Si la France adoptait plutôt le modèle danois de « flexicurité », quelle part de ces 211 milliards d’euros pourrait être répartie entre la réduction du déficit et le renforcement des infrastructures dans les domaines de la santé, de l’éducation et des énergies vertes ?

Permettez-moi de préciser quelque chose avant d’être inévitablement mal compris. Tout cet argent ne doit pas être critiqué : le modèle français d’intervention massive de l’État dans l’économie est loin d’être inapproprié. C’est l’une des raisons pour lesquelles, malgré tous ses problèmes, la France conserve ce qui est peut-être la seule économie « à spectre complet » d’Europe, de l’agriculture à l’intelligence artificielle. Et si quoi que ce soit, cela s’avère de plus en plus pertinent à l’ordre du jour ; cela a toujours été le mode de fonctionnement de la Chine, et c’est de plus en plus celui des États-Unis.

Le capitalisme a besoin d’être orienté. À titre d’exemple, dans un capitalisme non orienté, nous nous retrouvons dans une situation confuse où différentes régions se livrent à une course vers le bas pour attirer les investissements dans des centres de données qui sont inévitablement alimentés par de nouvelles turbines à gaz et épuisent les ressources en eau locales, plutôt que de voir la réglementation et les incitations les orienter tous vers l’Islande, où ils pourraient être alimentés par son énergie géothermique plus que suffisante (et les gains distribués).

Dans un passé profondément imparfait, une partie de cette « orientation » était fournie par des règles et des traités internationaux, qui permettaient aux petits États d’être agiles et dynamiques. Cela a cédé la place à un nouveau monde où les nations – ou un club de nations – de taille suffisante peuvent être protectionnistes à l’extérieur et ainsi permettre un dynamisme et une innovation agiles dans le cadre de leurs propres règles internes. Le problème de la France est donc une question d’échelle. Comme tous les autres pays européens, elle est trop petite pour fournir de telles protections extérieures, une tâche qui doit incomber à l’UE. Du moins, si les dirigeants européens finissent par accepter que l’ancien monde auquel ils s’accrochent ne reviendra pas.

L’UE ne peut pas réussir sous sa forme actuelle dans un monde où le pouvoir prime sur les règles, et où les États-Unis et la Chine ont une vision holistique de la géopolitique et de l’économie et n’hésitent pas à user de leur influence dans un domaine pour servir leurs intérêts dans un autre. En revanche, l’UE peut réussir si elle adopte une approche typiquement française. Ce n’est pas seulement la France qui a besoin d’un impôt sur la fortune, c’est l’UE qui en a besoin ; ce n’est pas seulement l’agence spatiale française qui a besoin de plus de financement, c’est l’Agence spatiale européenne qui en a besoin ; ce n’est pas seulement la France qui devrait investir davantage dans les énergies vertes, c’est l’UE dans son ensemble qui a besoin d’indépendance énergétique grâce aux énergies renouvelables.

L’ironie, c’est que l’Europe ne sera pas poussée dans cette direction à moins que la France n’ait le poids nécessaire pour l’y inciter. Et pour cela, la France a besoin d’une économie performante et d’une classe politique capable d’avoir une conversation honnête et à long terme, plutôt que de chercher des boucs émissaires, de recourir à des artifices ou de se contenter du statu quo.

Alexander Hurst

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