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Lettre ouverte au Président du Conseil de l’Ordre des Médecins

samedi 18 janvier 2020

Docteur Jacques KOTOUJANSKY
Interne des Hôpitaux de Strasbourg
Spécialiste en gynécologie-obstétrique
Ex-praticien t.p. et attaché au C.H. de Sélestat-Obernai
Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg
D.E.A. de Physique fondamentale (Université de Strasbourg)

Docteur Patrick BOUET
Président du Conseil nationalde l’Ordre des médecins
4, rue Léon Jost 75855 PARIS Cedex 1

Monsieur le président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM),
Pour la première fois depuis mon serment d’Hippocrate devant le Conseil départemental de l’Ordre du Bas-Rhin, le 18 janvier 1979, à l’âge de vingt-cinq ans, étant interne des hôpitaux et à l’issue de mon Service national, je m’adresse à un médecin que je ne connais pas sans utiliser la formule traditionnelle : « cher confrère ». Elle m’apparaît, hélas ! par trop convenue, envers vous.Si vous êtes certes un confrère, vous ne m’êtes plus du tout « cher », et pas davantage les membres du Conseil national. Cette réprobation est due à la prise de position de l’Ordre en faveur de la « procréation médicalement assistée » (PMA, plutôt qu’AMP) à ouvrir aux femmes n’étant pas en couple stable avec un homme. Le CNOM était allé à l’Assemblée nationale dire que l’Ordre n’y voyait pas d’obstacle, car il s’agirait d’une « demande sociétale ».

Fuyez, Loths, de Sodome et Gomorrhe brûlantes !(...)
Vous êtes compagnons du méfait pour vous taire.
Aggripa d’Aubigné, Les Tragiques

Il s’agit plutôt de la tolérance de l’opinion publique, rendue aboulique et anomique, envers des demandes communautaristes ultra-minoritaires, mondialisées, que la presse, audio-visuelle d’État, ou écrite subventionnée par l’État, ou privée de groupes capitalistes poursuivant les mêmes objectifs libertaires que l’État ou les lui inspirant,- est chargée de faire accepter aux Français quine demandaient rien de tel, comme d’ailleurs la quasi-totalité des personnes concernée

Ce n’est pas d’un jugement moral sur l’homosexualité qu’il s’agit : choix privé pour la vie privée, aussi ancien que notre espèce (et quelques autres, parfois), ces compagnonnages ne devraient pas concerner la maternité par l’insémination anonyme, et demain, sans nul doute, sur la pente suivie depuis vingt ans, la paternité par la « gestation pour autrui (GPA) », et voilà tout.

Le piteux avis émis par le CNOM pour justifier son revirement sur la PMA, avance « une souffrance » à entendre. Sachant que de tous temps il était possible de féconder par donneur anonyme, sans les médiations actuelles, l’on doit se demander pourquoi cela n’était jamais entré dans les mœurs de l’Humanité. C’est qu’à l’évidence il y a là un interdit anthropologique relatif à la dualité essentielle de notre espèce, interdit que vous piétinez inconsidérément avec les partisans de l’élargissement de la PMA. Puis-je me permettre de rappeler que figure dans notre serment d’Hippocrate : « et mon état ne servira pas à corrompre les mœurs » ?

La vaillante assemblée ordinale nationale n’a pas eu trop de ses cinquante-six membres pour décréter benoîtement que cette pratique, rigoureusement interdite jusqu’à ce jour, relèverait à présent de la « bienfaisance » ou de la « non malfaisance ». Et celui qui opposerait un refus ferait alors preuve de « malfaisance » en n’écoutant pas « une souffrance » ? (Comme celui, peut-être,qui opposerait la clause de conscience à une demande d’avortement ?) Vous rendez-vous compte que vous invoquez là ce que les jésuites « molinistes » du 17è siècle appelaient la direction d’intention, sévèrement moquée par Blaise Pascal (VIIè Provinciale) qui la résumait ainsi : « quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention ; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin »...

La souffrance intime à venir de l’enfant ainsi conçu, privé de l’une de ses ascendances parentales, élevé par des « parents 1 & 2 » de même sexe, ces confrères et consœurs de l’Ordre y ont-ils assez songé ? Croient-ils avoir tout compris de la biologie du développement affectif, de la genèse de l’attachement, des interactions non verbales si complexes et si imparfaitement connues chez le petit de l’Homme, comme le laissent voir les études d’éthologie des primates et d’autres d’espèces vivant en société ? Mesurent-ils assez, certes les progrès médicaux, mais surtout nos béantes insuffisances s’agissant de tant d’affections somatiques, pour s’aventurer en matière psycho-affective et pour prendre la responsabilité de créer, par méconnaissance des réalités, en excluant le père, ou demain certainement, quand on le leur demandera, la mère,- des carences affectives irréversibles perturbant l’épanouissement de la personnalité ?

En définitive et très banalement, l’Ordre « ayant extrême peur de faillir en chose qu’il avait tant à cœur, se laissa enfin emporter à l’opinion commune, qui suit toujours ceux qui vont devant,comme les grues » (M. de Montaigne, Les Essais I, 26).

La nouvelle modalité de la PMA, à mes yeux tragique, fait l’objet d’un débat au Parlement dont l’issue est prévisible. Le programme électoral de l’actuel chef de l’État, et celui de la majorité politique y afférente, prévoyaient explicitement cette ouverture. Il appartenait aux citoyens, à l’instant du vote, de choisir en conscience, ou de ne pas choisir, parmi les programmes, si tant est qu’ils aient mesuré, au milieu de soucis plus immédiats pour un si grand nombre d’entre eux, la responsabilité morale qui leur incombait sur cet enjeu de civilisation.

En revanche, comme petit-fils, petit-neveu, fils, neveu, époux, père, grand-père, oncle, cousin,comme citoyen et comme gynécologue, je suis en droit de désapprouver sans appel que la « main médicale » puisse être appelée à contribuer à la naissance d’enfants délibérément sans père identifié. Pour ma part, cela va sans dire, je ne donnerais jamais suite à une demande de cette nature, nonobstant toute loi le permettant. Je me désolidarise donc radicalement du CNOM actuel à qui je dénie de représenter mes intérêts moraux de médecin français.

J’ajoute que l’avortement médicalisé, certes une transgression caractérisée de la morale traditionnelle, néanmoins utilisé par l’Humanité de tous temps, relève d’une autre catégorie morale car il fait suite à un refus, simple ou double, et n’aura, par définition, pas de suites chez un enfant- si du moins l’on excepte ce que découvre la psychanalyse transgénérationnelle.

Je sais que les sondages d’opinion indiqueraient, à les en croire, que beaucoup de Français ne voient pas d’obstacles à l’insémination intra-utérine par donneur anonyme (et cela au moins jusqu’à la majorité de l’enfant), en cycle spontané ou stimulé, à quoi se résume, pour le médecin,cette « PMA »-là. Je sais aussi, hélas !, que des médecins ou bien l’appellent de leurs vœux, ou bien l’acceptent avec indifférence en regardant ailleurs. Je ne saurais trop le déplorer et trop regretter leur silence. Je crains d’y voir la dégradation du niveau d’exigence des structures intégratives de la morale et de la sociabilité - famille, religion, école, lycée, faculté, humanisme classique, spectacles, etc., - depuis les années 70, au profit d’un utilitarisme moral exclusif, de procédures décisionnelles algorithmiques et, pour la médecine, du primat des techniques au détriment de l’empathie - ce dont commencent à se plaindre nos patients - et du précepte : Homosum ; humani nihil a me alienum puto (Térence), notre devise de médecins.

Je dis que les médecins qui prêteront leur concours à une insémination anonyme ne mesurent pas le dégât moral irréversible qui en résultera chez leurs concitoyens quant à la considération envers notre profession, devenue celle de techniciens agissant sur commande.

Sans me montrer blessant envers les requérantes, je ne puis me déprendre de la certitude que,si cette insémination est une pratique banale des élevages, l’absolue dignité et l’absolue singularité de la personne, impératifs catégoriques et « loi morale dans mon cœur » (E. Kant) sous l’empire desquels j’exerce, en toute laïcité, érigent là une barrière infranchissable, pour la femme, pour l’homme, pour l’enfant à naître, pour le médecin, et pour l’humanité de l’Homme.

Je voudrais rappeler ici la Lettre aux instituteurs de Jules Ferry (1883), ministre républicain (et franc-maçon) sur la morale de l’école laïque, et que je crois toujours d’actualité : « ...[par] les principes mêmes de la morale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères [...] sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques [...] car ce que vous allez communiquer à l’enfant [...] c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. »La laïcité de la IIIè République n’était pas le nom tolérable donné à l’athéisme d’État par la Vè actuelle.

Au premier rang de cette sagesse universelle des civilisations on trouve la loi naturelle relative à la filiation pour laquelle jusqu’à présent aucun législateur, en aucun lieu et en aucun temps,n’avait introduit l’anonymat de convenance. Mais l’exemple vient à présent de la société états-unienne, décadente, profondément désordonnée, que suit servilement une société française oublieuse de ce qu’elle fut, déboussolée et ballottée à tous les vents du mondialisme.

Je suis issu de l’émigration russe et ma parenté a souffert des deux totalitarismes du 20è siècle,celui de la Classe en URSS et celui de la Race en Allemagne, et avait, au milieu des persécutions,comme étoile dans la nuit, la France, malgré ses défaillances, la France et ses héros, soldats,résistants et citoyens qui ne se résignaient pas. De ce passé familial et de ma propre vie, je me suis forgé une conception élevée, exigeante, de l’identité de la France (F. Braudel), aujourd’hui envoie de perdition, et je ne suis plus sûr que mes ascendants feraient à présent le même choix pour leur terre d’immigration. Il semble en effet dévolu à notre temps de voir à l’œuvre en France le totalitarisme de l’Individu libéral-libertaire, du Désir individuel (« C’est mon choix »), de la Marchandise et du Spectacle de la Marchandise (G. Debord), asservissant de fait l’Individu en prétendant le sacraliser.

Je suis entré à la faculté de médecine en 1971 ; la France allait être agitée l’année suivante parla question de l’avortement et j’ai encore en mémoire les protestations de votre lointain prédécesseur à la présidence du CNOM, l’éminent chirurgien J.-L. Lortat Jacob, qui s’opposait à ce qu’une loi l’autorisât. De lui à vous, du refus de l’« IVG » à la « PMA-pour-toutes », en passant parle « PA-C-S » et « le mariage pour tous-tes », pour aller demain vers « la gestation-pour-autrui »(GPA), son inévitable prolongement ayant déjà cours ailleurs, il est permis, avec une grande mélancolie, de mesurer le chemin parcouru par la France officielle, et par l’Ordre avec elle, en un demi-siècle sur les questions dites « sociétales » ; cette France officielle qui est très ordinaire, très médiocre, très conformiste et enfin très déchristianisée (sauf les jours d’enterrement...), dans le maelström éthique de l’Occident.

Ayant participé en 2013 aux défilés des opposants au prétendu « mariage homosexuel » il s’est produit en moi une dissidence intime envers mon pays officiel, et la « PMA-pour-toutes » ne pourra que l’amplifier. Mal à l’aise comme citoyen en raison dudit « mariage », c’est à présent comme médecin que je suis heurté dans mes convictions les plus affirmées.

J’inclus dans ma réprobation le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui a pris la même position que l’Ordre sur l’élargissement de la PMA et ainsi participe également à la minoration de la famille naturelle, base de la société. La lecture de son avis, en forme, là encore, de plat ralliement, montre qu’en dehors d’une transcendance assumée ou du respect d’une loi naturelle, -naturelle parce qu’universelle, - ce genre de comité où les matérialistes excèdent de loin les spiritualistes, ne peut que suivre le mouvement conduit par les plus remuants et par les techniciens dominés par l’esprit du temps.

En revanche, l’on doit applaudir l’avis sévère donné le 21 septembre dernier par l’Académie nationale de médecine à une large majorité : « La conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n’est pas sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant ». Et l’Académie de rappeler que « la figure du père reste (...) fondatrice pour la personnalité de l’enfant ». Ah ! quelle différence avec la piteuse reddition sur ce sujet du CNOM et du CCNE...

Notre pays étant, sociologiquement, très majoritairement catholique à en juger du moins parles rituels des enterrements, il est permis de s’attrister pour l’Église de France - hormis monastères, couvents, ordres missionnaires, et exceptions faites de tant de prêtres et de laïcs dévoués - de ce que le rôle résiduel qui est à présent le sien de « partenaire d’évènementiel »,public ou privé, gai ou triste, dans ses églises désertées et sans curés autochtones, semble assez lui convenir et de même à nombre de catholiques, même pratiquants. L’athéisme pratique ambiant qui en est la cause nous éloigne beaucoup de cette définition virile (H. de Montherlant, in Port-Royal) : « La religion n’a pas été établie pour bien chanter, mais pour bien mourir à soi-même.

Ainsi, à mon sens, le « Ralliement » de 1892 de l’Église à la République et la loi de séparation de 1905 n’interdiraient nullement, devant le projet violemment transgressif de cette PMA élargie,une protestation unitaire, solennelle et de grande ampleur. La servitude est donc ici consentie parles évêques, de défaite en défaite. Le revirement de la Conférence des Évêques de France minorant le 18 septembre dernier son timide soutien de la veille(!) aux manifestations des opposants à la nouvelle PMA, est accablant de pusillanimité. Dans ce contexte, l’incendie de Notre-Dame de Paris (accidentel, ou criminel ?...) peut se voir comme le sinistre augure de l’effacement du catholicisme en France.

Au CCNE, l’unique représentant ès qualités du catholicisme, nommé là par le précédent chef de l’État, est une journaliste, ex-directrice du quotidien La Croix, -journal ayant appelé au vote pour l’actuel chef de l’Etat,- gage sûr qu’aucune vague ne serait soulevée, et que pourrait sans controverse se concrétiser Le meilleur des mondes (A. Huxley).

À l’inverse, l’on rappellera la parole évangélique (Matt. 18.7) :« Malheur au monde à cause des scandales ! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! »...Cette critique (laïque) vaut pour le protestantisme et le judaïsme qui semblent relativement consentants ; seuls l’orthodoxie et l’islam restent fermes.

Qui, enfin, ne voit que : et l’eugénisme d’État que connaissent les gynécologues suivant les grossesses, et le prétendu « mariage homosexuel », et « la mort euthanasique » donnée au malheureux V. Lambert, et l’insémination anonyme préparée dans les athanors à l’azote liquide des sorciers modernes, et (demain) la « GPA », dessinent le pentagramme d’un funeste « Œuvre au noir » mondialisé, désacralisant cruellement l’Humanité ? Et n’oublions pas que la loi dite de« bioéthique », relative à la « PMA élargie », sera accompagnée d’autres sorcelleries de gamètes et d’embryons aux applications lucratives pour la technoscience...

Mais s’il y a d’abord la « PMA élargie » dans ma réprobation envers l’Ordre, j’y ajoute : en premier lieu cette mort donnée à l’hôpital public du malheureux V. Lambert avec l’appui de la justice administrative et du pouvoir exécutif, procédure que l’Ordre a entérinée ; en second lieu,votre acharnement, président Bouet, à persécuter le Pr H. Joyeux pour cause de résistance à la dictature vaccinale qui sévit en France2 ; et enfin, la procédure saugrenue récemment introduite pour les élections ordinales, à savoir des « binômes féminin/masculin » (comme l’écrit le Bulletin de l’Ordre, sagement conforme à la doxa féministe ambiante), avec pour conséquence une abstention massive des médecins, obérant très fortement la représentativité de l’assemblée élue.

L’institution ordinale m’apparaît renouer avec ce qui lui fut reproché jadis : sa trop grande complaisance envers les injonctions idéologiques des pouvoirs publics du moment.

Si je paie de bon cœur la part de ma cotisation obligatoire pour l’Ordre départemental, en revanche, ayant perdu toute considération spéciale envers les membres du CNOM solidaires de son funeste avis ou ne marquant pas leur réserve sur cette question, c’est la part nationale de cette cotisation que j’acquitterai à contrecœur.

De surcroît, et sans vouloir préjuger de la défense que vous présenterez, ce n’est pas le dernier rapport, très sévère, de la Cour des comptes sur le budget du CNOM qui m’inciterait à l’indulgence : le relâchement de la discipline financière de l’institution ordinale a semblé concomitant de celui de son exigence éthique.

Il en va des nations comme des personnes et : « Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant »(A. Gide). Je n’ai pas le sentiment que mon pays suive sa pente dans le bon sens, pente que suit avec lui l’Ordre des médecins. Mais, si les civilisations sont mortelles (P.Valery), bien davantage le sont les totalitarismes et leurs morales ; ainsi, qui vivra verra...

Avec cela, je ne puis, président Bouet, que vous adresser mes froides salutations.

Docteur Jacques KOTOUJANSKY

Janvier 2020

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