Les Russes ont-ils inventé le « moteur éternel » ?
Après l’explosion qui s’est produite jeudi sur une base militaire russe dans la région d’Arkhangelsk et qui a tué cinq scientifiques en énergie atomique, des experts estiment qu’elle est liée aux tests sur le missile de croisière « Bourevestnik » qui serait à propulsion nucléaire, l’une des nouvelles armes « invincibles » vantées par le président Vladimir Poutine en début d’année. Quels sont les atouts de cette nouvelle technologie de propulsion, quels sont les défis à surmonter pour la mettre en œuvre, quel est l’enjeu politique pour Poutine ? Tour d’horizon en 3 questions-réponses.
Le « nouvel armement » qui a explosé jeudi sur une base d’essais de missiles dans le Grand Nord de la Russie est certainement un nouveau type de missile à propulsion nucléaire, dont la faisabilité et l’utilité sont mis en cause par de nombreux experts.
1. Quel est l’intérêt de propulser un missile avec de l’énergie nucléaire ?
Il est de pouvoir disposer d’un missile à portée en principe illimitée, explique à l’AFP Corentin Brustlein, directeur du centre des études de sécurité à l’Institut français des relations internationales (IFRI). « Cela permet en théorie de se libérer de la contrainte de la quantité de carburant que vous pouvez emporter », dit-il.
« Et avec une porté illimitée, vous pouvez faire de larges détours pour frapper l’adversaire sur des zones exposées, utiliser des trajectoires non surveillées, afin de contourner et surprendre les radars américains et leur défense anti-missile », ajoute-t-il.
« Les Russes ont une obsession concernant la défense anti-missile américaine et la menace qu’elle pourrait poser pour leur force de dissuasion, c’est-à-dire ils craignent que les Américains aient un jour la capacité de neutraliser leur arsenal par des moyens offensifs et défensifs », ajoute-t-il. « Cela remonte à la Guerre froide et à la guerre des étoiles de Ronald Reagan. Les Russes multiplient leurs options pour être certains de pouvoir pénétrer les défenses anti-missiles américaines ».
2. Quels sont les défis techniques ?
Ils sont énormes : il faut d’abord parvenir à miniaturiser un réacteur nucléaire au point de pouvoir l’embarquer à bord d’un missile, puis gérer la sécurité des chercheurs pendant les phases de tests, puis celle des opérateurs.
L’accident de jeudi s’est produit, selon l’agence nucléaire russe Rosatom, à bord d’une plateforme maritime alors que ses spécialistes fournissaient de l’ingénierie pour « la source d’énergie isotopique » du moteur du missile à l’origine de l’explosion.
« Pour le fonctionnement de tout ce qui est nucléaire, il y a un environnement sécuritaire indispensable qui est très lourd. Le maniement, la sûreté nucléaire, ce sont des contraintes énormes », assure l’ancien chef d’un service français de renseignement, qui, toujours tenu au devoir de réserve, demande à rester anonyme.
« Les Russes, héritiers des Soviétiques, ont tendance à mettre du nucléaire partout. Ils ne respectent pas les mêmes consignes de sécurité, parce qu’ils les jugent trop lourdes », ajoute-t-il. « La France y a renoncé il y a longtemps et a décidé de la réserver aux sous-marins et à son porte-avion. Pour le reste, est-ce que ça vaut le coup ? Nous avons pensé que non, et nous ne sommes pas les seuls. »
« La quantité de défis techniques qui se pose pour miniaturiser un réacteur nucléaire jusqu’à cette dimension-là, plus les contraintes sur les essais, sont énormes », confirme Corentin Brustlein. « C’est extrêmement complexe, pour un intérêt opérationnel douteux. Si on croise la difficulté technique, les conséquences politiques et environnementales et l’intérêt opérationnel, vous avez une équation extrêmement défavorable. »
De plus, pour l’expert militaire russe Alexandre Golts, le système de missile de croisière « Bourevestnik » (qui, selon des experts américains, est celui qui a explosé jeudi) « est complètement inutile, superflu ».
« Si les scientifiques russes avaient inventé un nouveau type de missile avec un moteur éternel, cela serait assez pour donner à la Russie une supériorité sur les États-Unis », a-t-il confié à l’AFP.
3. Y a-t-il une dimension politique dans cette volonté de se doter de missiles à propulsion nucléaire ?
Au début de l’année, Vladimir Poutine avait annoncé en grande pompe que son pays s’était doté de nouvelles armes « invincibles », à portée illimitée, impossibles à intercepter. Les missiles à propulsion nucléaire font partie de cet arsenal, estiment les experts, tout en assurant qu’ils n’étaient pas au point et pourraient ne jamais l’être.
« Il y a une dimension politique importante pour Vladimir Poutine : il veut montrer que la Russie reste une grande puissance militaire », assure le même chef d’un service de renseignement. « Les Russes ont toujours associé la puissance politique à la puissance militaire ».
« C’est une dimension d’affichage, nationaliste, extrêmement importante », ajoute Corentin Brustlein. « Poutine veut montrer que la Russie développe des systèmes que les États-Unis n’ont pas, qu’elle soutient la compétition technologique. »
Par Michel Moutot-20190815]